La plupart des jardins conçus au Québec sont planifiés pour plaire à l’œil: on utilise l’agencement des couleurs et des formes des fleurs, des feuillages et des structures pour créer un effet qui fait plaisir à voir. Et c’est déjà très bien, car tout le monde apprécie un beau jardin. Mais peut-on pousser un peu plus loin et créer un jardin qui plaît non seulement à la vue, mais aussi aux quatre autres sens: l’odorat, l’ouïe, le goûter et le toucher? Pourquoi pas? Voici quelques idées pour y parvenir.
L’odorat
C’est le plus facile des «autres sens» à satisfaire, car plus plusieurs plantes sont parfumées. Pensez aux fleurs de la jacinthe, du daphné, de l’alysse odorante et du seringat, tellement parfumées qu’on les hume à 2 mètres. Mais toutes les fleurs réputées parfumées ne le sont pas: à force de travailler sur l’aspect visuel des plantes, en créant des fleurs plus grosses et plus durables aux couleurs plus intenses, les hybrideurs ont souvent négligé le parfum. Ainsi, alors que la rose est depuis toujours réputée pour son parfum, beaucoup de rosiers modernes sont inodores ou presque. C’est souvent la même situation pour le pois de senteur, l’héliotrope et le nicotiana odorant. Idéalement, vous irez en pépinière sentir les fleurs avant d’acheter le plant.
Astuces d’odeurs
Pour profiter pleinement des fleurs parfumées, pensez rehausser les plantes sur un muret ou les cultiver en panier suspendu, cela afin que le parfum soit au niveau des narines. Aussi, les effluves se concentrent par temps calme, mais se diffusent et se perdent au vent. Donc, un jardin parfumé sera, de préférence, protégé du vent. Notez que plusieurs fleurs ne sont parfumées que la nuit (brugmansia, julienne des dames et le nicotiana odorant (la forme sauvage: Nicotiana sylvestris). Pensez les planter autour d’une terrasse où vous passez vos soirées ou à la fenêtre de votre chambre à coucher.
Il y a aussi le feuillage qui peut être aromatique, comme celui de certaines fines herbes (thym, origan, romarin, lavande, etc.), mais aussi des plantes strictement ornementales, comme le genévrier, l’armoise et le thuya. Le géranium de senteur (Pelargonium spp.) est celui qui offre le plus de choix de parmi toutes les plantes à feuillage aromatique: il y a des dizaines de variétés qui sentent le citron, la rose, le pin, la pomme et même la menthe au chocolat et bien d’autres. Et le mélianthe (Melianthus major) dégage un arôme de beurre d’arachide quand on le frotte!
Plantez les végétaux à feuillage aromatique le long des sentiers, car c’est en les frôlant que leur arome se dégagera.
L’ouïe
Comme un jardin peut-il titiller l’ouïe? Après tout, les plantes ne chantent pas ni ne jouent de musique! Mais d’autres objets dans le jardin peuvent lui donner un effet musical. Un jet d’eau dans le jardin ajoutera un bruit des plus sympathiques. Et que dire du doux tintement d’un carillon éolien? Et même sans artifices, le vent, en faisant bouger le feuillage, crée des sons intéressants, notamment chez les plantes plus hautes et donc les plus exposées au vent: les arbres et les arbustes.
Mais si peu de plantes ont un effet auditif remarquable, on peut quand même attirer les oiseaux chanteurs au jardin. En général, plus que vous avez une variété de conditions chez vous, plus les oiseaux visiteront votre terrain. Une pelouse nue attirera peu d’oiseaux chanteurs, mais un mélange de plates-bandes, d’arbustes, d’arbres et de pelouse attirera une vaste gamme d’oiseaux. Pensez aux plantes à fruits comme le sorbier, l’amélanchier ou l’argousier ou aux graines comestibles, comme le tournesol, l’échinacée ou la verge d’or. Et ajouter un petit bain d’oiseaux pour que les oiseaux restent plus longtemps au jardin.
Enfin, le bourdonnement des abeilles est une musique à ne pas dédaigner. Parmi les plantes qui attireront des hordes d’abeilles pendant de longues périodes et feront ainsi chanter votre jardin, il y a le thym, la nepeta et l’angélique.
Le goûter
D’abord, une première règle: ne goûtez pas aux plantes à moins de savoir non seulement qu’elles sont comestibles, mais que la partie que vous consommez est comestible. Par exemple, seul le pétiole de la rhubarbe se mange, le reste est toxique. Manger les tiges ou le feuillage des plants de tomates ou de la pomme de terre rendra malade. Cela dit, il y a des légumes et des fruits que tout le monde connaît bien et que vous pouvez facilement inviter dans votre aménagement.
Pensez notamment aux plantes doublement sensorielles, qui sont à la fois très jolies (attirantes à l’œil) et bonnes à manger, comme la bette à carde, le basilic pourpre ou la laitue rouge. Ou encore, aux plantes au goût réellement surprenant, comme le stévia, dont les feuilles sont 100 à 300 fois plus sucrées que le sucre, le bégonia tubéreux aux fleurs à la fois sûres et sucrées, ou le fruit miracle (Sensepalum dulcificum) qui supprime les goûts d’amertume et d’acidité pendant 30 minutes à 2 heures. Ainsi même un citron sera sucré si vous le mangez après avoir mâché un fruit miracle!
Le toucher
On pense rarement à toucher aux plantes, mais pourtant l’expérience peut être drôlement intéressante. Plusieurs plantes sont couvertes de poils doux et ont la texture du satin. C’est le cas de la molène soyeuse, de l’oreille d’ours et de la sauge argentée. D’autres ont une texture rugueuse non seulement surprenante, mais agréable, comme la bourrache, le houblon et la garance des teinturiers. Et pour une expérience sensorielle encore plus osée, pourquoi ne pas frôler une ou deux plantes piquantes? En voici trois qui ne perceront pas la peau, mais saisiront quand on les caresse doucement: l’épinette, le chardon écossais et le panicaut (Eryngium).
Votre propre jardin sensoriel
À bien y penser, vous avez déjà sans doute la base d’un jardin sensoriel dans votre cour, car plusieurs plantes courantes attisent plus d’un sens. Il suffit surtout de ralentir quelques minutes pour regarder, sentir, toucher, écouter et même goûter aux plantes que vous avez déjà. Je suis certain que vous ferez de belles découvertes!
Larry Hodgson a publié des milliers d’articles et 65 livres au cours de sa carrière, en français et en anglais. Son fils, Mathieu, s’est donné pour mission de rendre les écrits de son père accessibles au public. Ce texte a été publié à l’origine le 18 mai 2013 dans le journal Le Soleil.