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Les plantes d’intérieur patrimoniales

20160120A.jpgSi vous visitez n’importe quelle jardinerie ou même une grande surface, il y a toujours un département de plantes d’intérieur, mais elles vendent essentiellement toujours les mêmes variétés depuis des années. Cependant, quand vous visitez des particuliers, vous remarquerez plusieurs plantes d’intérieur ne sont jamais (ou presque jamais) offertes en pépinière. Souvent ces gens ont reçu ces plantes d’amis ou lors d’échanges. Et si vous retracez l’histoire de la plante en question, vous découvrirez qu’elle est échangée ainsi, de jardinier en jardinier, depuis très longtemps, souvent un siècle ou plus, souvent passée d’une génération à l’autre dans la même famille, entre amis ou parfois dans un marché aux puces.

La plupart de ces plantes ont déjà été commercialisées, mais ne le sont plus depuis belle lurette. N’essayez pas de les retrouver dans le commerce: vous perdrez votre temps. Posez quelques questions lors une réunion de société d’horticulture, cependant, et vous trouverez facilement une petite bouture ou une division. Faute d’un meilleur nom, je appelle ces végétaux «plantes d’intérieur patrimoniales», mais si vous avez une meilleure suggestion, je suis tout ouïe!

Conditions

Pour être une plante d’intérieur patrimoniale digne de mention, d’après ma définition du moins, il faudrait que la plante ait une longue histoire de culture comme plante de maison: au moins 30 ans. Aussi, il serait important qu’elle soit essentiellement absente du marché commercial. Ainsi j’élimine d’office la plante araignée (Chlorophytum comosum ‘Vittata’), même si elle peut effectivement être passée de génération en génération, car n’importe qui peut facilement en acheter une dans une jardinerie, ce qui diminue sa valeur patrimoniale. C’est la même chose pour le célèbre philodendron grimpant (Philodendron hederaceum, généralement connu sous son ancien nom, P. scandens oxycardium). Il fut introduit en 1936 par la chaîne de magasins Woolworth et il est fort possible que votre spécimen ait une longue histoire dans votre famille tout comme vous auriez pu l’acheter la semaine dernière. C’est la même chose pour les divers dracénas (Dracaena spp.), le pothos (Epipremnum aureum), le caoutchouc (Ficus elastica), le jade (Crassula argentea), le hoya (Hoya carnosa), le clivia (Clivia miniata), le dieffenbachia (Dieffenbachia spp.) et pour plusieurs autres. Non pas que je veux douter de l’ancienneté de la lignée cultivée chez vous qu’on peut tracer, j’en suis certain, jusqu’à l’arche de Noé, mais il y aurait pu avoir des substituts, puisque ces plantes sont encore très courantes sur le marché. Donc la preuve de sa patrimonialité est difficile à faire.

Quelques plantes patrimoniales

Voici quelques exemples de végétaux qui, d’après moi, sont des plantes d’intérieur qui sont véritablement passées d’une génération à une autre depuis fort longtemps et presque jamais offertes dans le commerce: des plantes d’intérieur patrimoniales. Juste les maintenir est une contribution à sauvegarder un élément de notre histoire horticole commune et aussi un petit pied de nez aux professionnels de l’horticulture qui calculent qu’une plante d’intérieur n’a pas besoin de durer plus de 8 semaines.

Trois bégonias historiques

Dans ce groupe il y a au moins trois bégonias avec une très longue histoire à raconter.

Begonia x erythrophylla

Le bégonia nénuphar (Begonia x erythrophylla) est parmi les premiers hybrides de bégonia jamais produits et fut introduit en Allemagne en 1845. Avec ses feuilles d’apparence cirée presque rondes de couleur rouge vin, ses fleurs roses en hiver et son port légèrement retombant à cause de ses rhizomes rampants qui débordent du pot, il fait un excellent choix pour le panier suspendu.

Begonia x ricinifolia ‘Immense’

B. x ricinifolia ‘Immense’) porte bien son nom. Avec ses grandes feuilles vertes en forme d’étoile asymétrique qui peuvent mesurer jusqu’à 1 m de largeur, cet hybride de 1847 ne donne pas sa place. Les verticilles d’écailles poilues rouges sur ses pétioles créent autant de surprise, sans parler de son épais rhizome rampant. Il fleurit l’hiver, produisant des bouquets de petites fleurs rose pâle.

Ces deux premiers bégonias peuvent être multipliés par boutures de feuilles et même par boutures de section de feuille, ouvrant grand les possibilités d’échange!

Begonia ‘Lucerna’

Le bégonia aile d’ange (Begonia ‘Lucerna’ [‘Corallina de Lucerna’]) fut hybridé en Suisse en 1892 et est encore largement distribué. Avec son port dressé, ses feuilles en forme d’aile joliment tachetée d’argent et ses fleurs pendantes roses en été, il ne ressemble nullement à ses deux cousins. Ce bégonia se multiplie par boutures de tige.

Iris d’appartement

Neomarica northiana

L’iris d’appartement (Neomarica northiana) ou plante des apôtres (ainsi appelée car on dit que le plant doit avoir 12 feuilles avant de fleurir) fut introduit dans les années 1920. Il ressemble à un iris par son feuillage ensifore en éventail et ses fleurs éphémères bleu et blanc (elles ne durent qu’une journée chacune). Les feuilles émergent d’une tige aplatie ressemblant à une feuille ordinaire, mais après la floraison la tige continue de s’allonger et forme un bébé à son extrémité. Le poids du bébé fait pencher la tige et, quand il y a plusieurs tiges retombantes, la plante fait une jolie plante retombante. Je vois souvent cette plante dans les maisons, mais jamais en pépinière.

Billbergie penchée

Billbergia nutans

On voit rarement cette broméliacée (Billbergia nutans) à rosette très étroite et aux feuilles presque graminiformes, poussant dans de denses touffes, ailleurs que dans les jardins botaniques… et les maisons privées. Dans les années 1930, pourtant, il fut très populaire comme plante de Noël, car il fleurit tout naturellement à cette saison et tolère sans peine les conditions d’intérieur les plus diverses. Il faut croire que ses fleurs retombantes vertes à marge pourpre foncé, portées sur une tige arquée rose, ne sont pas assez colorées pour le marché moderne, ou pas assez durables (elles ne persistent qu’environ 2 semaines alors que les fleurs de l’aechméa fascié, une autre broméliacée durent 6 mois!), mais c’est une excellente plante pour les échanges, car il produit une profusion de rejets et fleurit fidèlement à tous les ans.

Le vrai cactus de Noël

Schlumbergera x buckleyi

On peut mettre le vrai cactus de Noël (Schlumbergera x buckleyi), avec ses longues branches retombantes aux marges crénelées et aux fleurs pendantes, sur la liste des plantes d’intérieur partimoniales, car quand l’avez-vous vu en pépinière la dernière fois? C’est plutôt son cousin, le cactus d’automne (S. truncata), aux tiges fortement dentées, mais qui préfère fleurir en novembre, qu’on voit dans les magasins. Il s’y fait passer pour l’original, mais les bons jardiniers ne sont pas dupes. Découvrez ici comment distinguer entre les deux. Le vrai cactus de Noël n’est pas apprécié des pépiniéristes et alors on ne le trouve presque jamais en vente, car ses branches retombantes s’entremêlent avec celles de ses voisins, rendant son transport compliqué. Ainsi ils préfèrent offrir des cactus d’automne, au port dressé et donc moins sujet à se mélanger, quitte à tricher pour forcer ces derniers à fleurir à Noël.

Fougère de Boston

Le véritable Nephrolepis exaltata ‘Bostoniensis’

Il est très risqué d’inclure cette plante sur la liste des plantes d’intérieur patrimoniales, car il y a beaucoup de sosies encore sur le marché, l’espèce Nephrolepsis exaltata, sans parler d’autres Nephrolepis, ayant donné naissance à plus de 100 cultivars au cours du dernier siècle! Mais la «vraie» fougère de Boston, Nephrolepis exaltata ‘Bostoniensis’, est une plante plus grosse que les cultivars modernes, avec des frondes de souvent 1 m de longueur qui retombent tout droit vers le sol. Cette plante, introduite en 1894, avec ses nombreux rhizomes rampants minces et poilus, tombant plus bas encore que le feuillage comme de minces spaghettis verts, trônait sur un piédestal dans le parloir (une pièce uniquement réservée pour les invités de marque… et les funérailles) de chaque maison. On trouve encore des spécimens gigantesques de cette fougère, notamment dans les églises et les couvents, mais plus rarement, à cause de sa taille, dans les maisons privées.

Le pandanus

Pandanus veitchii

Encore une plante trouvée rarement ailleurs que lors des échanges (bien que j’ai récupéré le mien d’une poubelle il y a quelques années), le pandanus (Pandanus veitchii) est un arbre polynésien qui a abouti dans les serres de Veitch Nurseries d’Angleterre vers la fin les années 1800. Dans la maison, il forme une assez grosse plante aux feuilles linéaires arquées d’apparence vernissée, avec de petits crochets acérés à la marge et au revers de la feuille. Les feuilles sont striées blanc et vert. Avec le temps la plante produit des racines aériennes assez impressionnantes… et une profusion de bébés qui émergent de sa base et à travers ses feuilles qui permettent de le partager avec des amis. Encore une plante qu’on ne voit jamais en jardinerie, mais que je vois dans beaucoup de fenêtres quand je prends ma marche du soir.

Le kalanchoé de Grémont

Kalanchoe daigremontiana

Cette plante succulente au port dressé (Kalanchoe daigremontiana, anc. Bryophytum daigremontianum) est reconnue surtout pour ses longues feuilles triangulaires à la marge crénelée d’où pendent de nombreuses petites plantes appelées propagules. Elles tombent au moindre toucher et s’enracinent dans les pots voisins. Ainsi, chaque propriétaire en a toujours des dizaines à offrir aux visiteurs. Les jardineries n’apprécient pas sa tendance à envahir les autres plantes qu’ils mettent en vente (après tout, imaginez le désherbage qu’il leur faudrait faire!) et l’offrent rarement, mais le kalanchoé de Grémont, habituellement appelé tout simplement kalanchoé, est couramment cultivé dans bien des demeures. Offrez-lui beaucoup de soleil et laissez-le sécher entre deux arrosages et il n’est pas du tout difficile à cultiver. Mais vous aussi risquez de trouver sa tendance à sauter de pot en pot un peu désagréable.

Il existe plusieurs autres kalanchoés qui produisent le même genre de propagule, mais K. daigremontiana est le «plus patrimonal» de son genre.

Piléa à feuilles de pépéromia

Pilea peperomioides

Ce piléa (Pilea peperomioides) a une histoire fascinante. Contrairement aux autres plantes mentionnées ici, il n’a jamais été produit commercialement, mais c’est néanmoins propagé à travers le monde uniquement par le partage de boutures. C’est le missionnaire norvégien Agnar Espegren qui a trouvé cette plante poussant en pot en Yunnan, Chine. Il a ramené une bouture en Norvège en 1946 et a commencé à partager la plante avec ses parents et amis. Dès le début des années 1980, la plante avait déjà fait le tour du monde et j’ai pu obtenir une bouture d’une amie. Je l’appelais la plante mystère, que je n’arrivais pas à l’identifier. Je pensais toutefois que c’était un pépéromia. Il m’a fallu plusieurs années de recherche pour apprendre son vrai nom et pour découvrir que ce n’était pas un pépéromia, mais un piléa qui ressemblaient à un pépéromia, le sens du nom Pilea peperomioides. Les feuilles vertes parfaitement rondes sont la principale attraction de cette plante, car il fleurit rarement. J’avais publié un article sur son histoire à l’époque, dans la défunte revue À Fleur de pot.

Et d’autres?

Avez-vous d’autres suggestions d’autres plantes d’intérieur patrimoniales, soit des plantes d’intérieur passées de génération en génération depuis fort longtemps, mais presque jamais offertes dans le commerce? Si oui, laissez-moi le savoir.

 

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