La paresse automnale: la marque d’un vrai héros écologique
Vous regardez votre jardin en ce matin de novembre, tasse fumante entre les mains, bien au chaud dans votre doudoune préférée, et vous vous sentez un peu coupable. Les tiges séchées de vos échinacées se balancent dans le vent, les feuilles mortes s’accumulent sur vos hostas, dont les feuilles sont toutes aussi mortes… et votre voisin, lui, a déjà tout ratissé.

Respirez profondément. Votre «paresse» est en fait un cadeau précieux à la biodiversité. Pendant que la nature s’endort tranquillement, votre jardin à l’air négligé devient un refuge vital pour des centaines d’espèces qui se préparent pour l’hiver. Laissez-moi vous expliquer pourquoi ne rien faire est en fait… exactement ce qu’il FAUT faire.
Les plantes ne dorment pas, elles déménagent
On pourrait croire que votre vivace qui brunit et dont les tiges se dessèchent est déjà «morte» pour l’hiver. En réalité, elle orchestre un déménagement logistique impressionnant. Imaginez une usine qui ferme pour la saison basse: avant de barrer les portes, on ne jette pas l’équipement, on le range soigneusement au sous-sol. C’est précisément ce que font vos vivaces en automne.
Déclenchées par le raccourcissement des jours (pas par le froid, fait surprenant!), les plantes activent un processus de remobilisation des nutriments. À travers leurs tiges encore fonctionnelles, elles rapatrient méthodiquement leurs ressources vers les racines. Les chiffres sont éloquents: jusqu’à 90% de l’azote et 80% du phosphore (selon les plantes!) contenu dans les feuilles sont récupérés et stockés dans les racines pour lancer la croissance du printemps prochain en force. Ce processus prend de six à dix semaines complètes. C’est d’ailleurs la raison pourquoi certains légumes racine (panais, topinambours) sont meilleurs après quelques gels. Ce n’est pas «le gel» qui fait la magie ici, c’est tout simplement le fait de leur laisser le temps de faire des réserves savoureuses!
Couper vos vivaces en octobre revient à bloquer le camion de déménagement en pleine route. Tous ces nutriments précieux, que la plante a investi tant d’énergie à mobiliser, sont jetés au compost au lieu d’être mis en banque pour l’an prochain. Vos plantes se réveilleront au printemps avec des réserves amoindries, moins vigoureuses, plus vulnérables.
Les tiges sèches ne sont pas des déchets: ce sont des autoroutes de nutriments encore en fonction en novembre.
Un hôtel cinq étoiles caché dans les tiges creuses
Si vous n’avez pas fait votre ménage en octobre et que vous hésitez maintenant devant vos sécateurs en vous demandant si c’est le bon moment, sachez que pendant que vous réfléchissez, des centaines de locataires invisibles ont déjà emménagé dans votre jardin pour l’hiver.
Environ 30% des abeilles sauvages nord-américaines (quelque 300 espèces dans le nord-est) hivernent dans les tiges. Elles ne vivent pas en ruches, mais dans les cavités creuses ou spongieuses de vos plantes, et ce, été comme hiver!
Les petites abeilles charpentières Ceratina, ces bijoux bleu vert métallique qui bourdonnaient autour de votre monarde et de vos framboisiers cet été, hibernent à l’intérieur même des tiges qu’elles ont creusées.

Les abeilles maçonnes, pollinisatrices hors pair de nos pommiers, passent l’hiver sous forme de pupes dans les tiges sèches. Un coup de sécateur en novembre et vous venez de détruire toute une génération d’abeilles qui aurait pollinisé votre jardin l’an prochain.

Les abeilles ne sont pas seules. Les chrysopes, dont les larves dévorent vingt fois plus de pucerons que les coccinelles, fixent leurs cocons sous les tiges et l’écorce pour passer l’hiver. Les mantes religieuses attachent leurs oothèques (sacs d’œufs) aux tiges robustes en fin d’été pour que leurs œufs survivent à l’hiver. Les exemples sont très nombreux!
Le réseau mycorhizien des champignons bat son plein
Sous vos pieds, pendant que vous songez à bêcher vos platebandes, se déroule une fête de réseautage intense. L’automne n’est pas une période de repos pour les champignons mycorhiziens, ces partenaires invisibles qui connectent les racines de vos plantes. C’est au contraire leur haute saison. Pendant que les arbres rapatrient leurs nutriments vers le bas, les champignons intensifient leurs connexions, multiplient leurs filaments, et agissent comme des courtiers habiles pour échanger et stocker les nutriments que les plantes leur confient.
Remuer la terre en automne, c’est dynamiter ce réseau au pire moment possible. Les filaments fongiques, longs et fragiles, sont déchiquetés par le bêchage. Les études montrent que les sols non perturbés hébergent 121% plus de biomasse microbienne que les sols travaillés: plus du double! Le monde du tout petit est d’une importance capitale en jardinage!

L’automne est aussi la saison de reproduction des vers de terre: ils creusent des tunnels plus profonds, s’accouplent, et pondent. Un coup de bêche en octobre interrompt brutalement ces préparatifs hivernaux.
Pourquoi l’automne est-il pire que le printemps pour perturber le sol? Parce qu’en automne, les organismes se préparent activement à survivre l’hiver. Au printemps, ils émergent de leur dormance dans des conditions favorables (températures croissantes, nourriture disponible) qui permettent une récupération rapide. Perturber en automne, c’est saboter les préparatifs de survie juste avant un grand voyage de plusieurs mois.
Les feuilles mortes: votre meilleur investissement
Jetons maintenant un regard sur ces feuilles qui vous narguent depuis la pelouse. La recherche scientifique est catégorique: les laisser en place offre des bénéfices multiples.
- Isolation thermique: les sols protégés par une couverture de feuilles restent humides et non gelés pendant que les parcelles nues gèlent dur.
- Nutriments gratuits: l’azote et le phosphore non absorbés retournent au sol via la décomposition des feuilles. C’est de l’engrais maison, livré gratuitement, parfaitement dosé par la nature. Pailler avec des feuilles déchiquetées réduit même les besoins en fertilisation du printemps suivant.

- Hôtel hivernal: 94% des papillons de nuit tombent des arbres sous forme de larves pour faire leur cocon dans les feuilles mortes. Les magnifiques papillons lune enveloppent leurs cocons de feuilles et de soie. Les reines de bourdons (chacune pouvant fonder une colonie de 300 à 800 ouvrières) s’enfouissent à quelques centimètres sous les feuilles. Les lucioles, dont les populations déclinent dramatiquement, passent leur longue vie larvaire à chasser et dormir dans les feuilles en décomposition. Et n’oublions pas les coccinelles indigènes du Québec, elles hibernent sous les feuilles mortes, pas dans les maisons. (Les coccinelles asiatiques, elles, sont une espèce invasive qui cherche plutôt à entrer chez nous pour hiverner, mais ça, je vous en ai déjà parlé dans un autre article!)
- Protection physique: une couverture de feuilles peut réduire l’érosion du sol de 99%. Elle ralentit le ruissellement, augmente l’infiltration de l’eau, prévient le compactage, et maintient l’humidité: que de beaux avantages en prévision des pluies de novembre et des crues du printemps!
Bref, les feuilles, ça prépare un tabarouette de bon sol pour l’année prochaine!

Conseils pratiques pour jardiniers déculpabilisés
Vous voulez aider la biodiversité en faisant moins? Voici comment:
À l’automne, retirez uniquement les plantes malades. Puis arrêtez tout. Sérieusement, arrêtez. Rentrez, préparez-vous un chocolat chaud et regardez les feuilles tomber. De toute façon, on est fatigués de notre saison de jardinage…
Laissez là, debout, toutes les vivaces saines (échinacées, rudbeckies, asters, verges d’or, monardes, etc.), les graminées ornementales, les arbustes (framboisiers, sureau, sumac, etc.). Si vous êtes infatigables, vous pouvez ratisser un peu les feuilles de la pelouse vers les platebandes. Trois à quatre pouces de feuilles dans les plates-bandes sont parfaits. Même pas besoin de les déchiqueter, car les tiges sèches vont les protéger du vent!
On coupe seulement au printemps (fin avril-mai): attendez les températures au-dessus des 10 °C jour et nuit. Coupez à 30-40 cm, pas au sol. Déplacez (ne retirez pas) les mottons de feuilles trop épais vers d’autres zones du jardin. Laissez des sections de tiges à pleine hauteur dans les coins moins visibles.
Pour les esthètes inquiets: créez une bordure nette entre pelouse et platebande. Ratissez le devant (visible), mais laissez les débris végétaux au fond. Ajoutez une fine couche de compost sur les feuilles pour une apparence plus soignée. L’œil du voisin sera attiré par les bords nets et ignorera joyeusement le reste.
De la paresse à l’héroïsme
Vous n’êtes pas paresseux, vous êtes efficace et scientifiquement informé. Vous économisez du temps, de l’argent (adieu, sacs de paillis!) et même votre dos. Vous ne négligez pas votre jardin, vous créez un habitat faunique certifié. Ce n’est pas du désordre, c’est de la structure hivernale avec intérêt architectural. Les tiges givrées scintillant au soleil de janvier sont magnifiques et les graminées retenant la neige créent des décors magiques.

Alors, installez-vous confortablement, servez-vous un second breuvage chaud et regardez votre jardin s’endormir en paix. La nature sait ce qu’elle fait depuis des millions d’années. Votre seul travail? La laisser faire. Votre paresse automnale est, littéralement, de l’héroïsme écologique. Félicitez-vous: vous pouvez même vous récompenser avec un biscuit pour accompagner votre tasse fumante!
Excellent ! Très bon article 😉
Très drôle et toujours très instructif !
J’ai toujours hâte au jeudi pour te lire.
Bravo Audrey pour cette chronique qui sait si bien nous déculpabiliser et nous faire décrocher de cette foutue manie des apparences et qui mine notre société sur plusieurs plans d’ailleurs.
Je suis paresseuse moi aussi. J’avais pour habitude de ramasser les feuilles de mes hostas au printemps. Mais avec votre article cela confirme mon idée de laisser le tout sur place même au retour de la chaleur. Merci.
Chère Audrey, quel article instructif et inspirant ! J’ai toujours été ultra paresseuse à l’automne, pensant que ces astilbes, par exemple, que je laisse pourrir sur place alimenteraient leur sol au printemps. Mais, il y a tellement plus. Tellement plus ! Merci de partager votre science avec nous ! On nous a toujours appris que la paresse était un gros défaut ! Pas toujours. Pas avec nos végétaux.
Un café au lieu d’un chocolat chaud, ça fait pareil ??
Xxxxxx
Café, thé, chocolat… tant qu’il y a un biscuit ! Hihi
Adorable comme toujours! Je fais suivre à ma soeur pour qu elle attrappe ma paresse ? mon passage préféré : habitat faunique certifié……structure hivernale avec intérêt architectural … et BISCUIT ?
MERCI@
Extraordinaire article. Où la poésie et la rigueur scientifique se mêlent au bon sens. Merci Audrey, j’apprécie énormément chacune de vos interventions !
C’est un des plus beaux articles que j’ai lu sur ce blogue – je suis émue!
Wow tout le monde! Vous vous surpassez pour me donner de bons commentaires aujourd’hui ! <3 Ça me touche, merci!
Petite merveille d’automne, cet article! .Est-ce qu’on laisse les feuilles s’accumuler sur le gazon, même si celui-ci est trop long ?
Moi qui me sentais coupable de ne pas tout nettoyer à l’automne! Voilà un changement de paradigme que me fait tellement de bien. Vive la paresse automnale! Merci tellement Audrey de permettre à la grand-maman, que je suis, de profiter de l’automne autrement!!!!
Excellent article.
Chère Audrey,
C’est tellement un grand plaisir de vous lire et encore plus ce matin. Oui, il fait bon de siroter mon thé (pardonnez, je ne bois pas de café) et de voir autant de beauté autour de moi, suite à ce merveilleux texte poétique. Ce n’est pas un fouillis, c’est presque de l’art de voir un tel mélange de couleurs dans le boisé, sur le terrain et les plates-bandes…Vive la farniente d’automne! ????????????
Votre très bon article me rassure et surtout me déculpabilise, sans compter que votre plume est ravissante. J’en arrive même à bénir le mal de dos qui m’empêche de travailler fort au jardin et de passer en mode grand ménage. Je regarde le jardin qui a l’air d’un gros bordel… et je le trouve beau. J’imagine désormais toute la vie qui grouille là-dessous pour préparer un printemps luxuriant ! Merci Audrey.
Merci pour cet article qui me confirme dans ma vision du jardin. Je crois que le jardin d’automne est mon préféré avec ses nombreux coloris de feuillage, de vivaces fanées, les boules noires des échinacées et des rudbeckies, les asters en core en fleurs. Avec toutes cette vie cachée dont vous parlez! Vive la nature et le Jardinier Paresseux. Et merci pour votre belle plume!
Merci Audrey! Très intéressant.
Merci pour vos textes inspirants et instructifs qui sont devenus ma première lecture du matin. J’ai décidé de suivre vos conseils cet automne et j’ai bien ri en regardant la cour léchée de mes voisins alors que la mienne est remplie de tiges séchées remplies de nutriments. Bien hâte de voir les résultats au printemps. Bonne journée!