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Jardiner comme Piet Oudolf

Par Julie Boudreau

Si vous avez déjà déambulé sur le High Line à New York ou traversé le Lurie Garden de Chicago, vous connaissez très bien le travail du pépiniériste et designer de jardins, Piet Oudolf. Ses jardins à l’allure naturelle suscitent l’admiration même auprès des non-jardiniers!

Mais, pour des horticulteurs et des jardiniers le moindrement passionnés, les jardins de Piet Oudolf nous confrontent à des milliers de questions. Comment fait-il pour réussir à créer des jardins aussi beaux et qui ont l’apparence de ne pas être entretenus, mais qui n’ont pas l’allure d’un champ laissé à l’abandon? Quelle est cette plante splendide que je n’ai jamais vue de ma vie? D’où lui vient l’idée de combiner telle plante avec telle autre plante? Quoi? C’est beau même à l’automne, quand on ne coupe pas les hampes florales?

Bref, que l’on contemple ces jardins avec les yeux du cœur ou avec les yeux de la raison, ils sont fascinants!

Piet Oudolf est un designer de jardin et un pépiniériste qui a réalisé des projets partout dans le monde. Photo: Christopher Flack sur Wikimedia Commons

Piet, le designer et pépiniériste

Originaire des Pays-Bas, Piet Oudolf est d’abord et avant tout un designer de jardins. Devant le manque de disponibilité de certaines plantes qu’il affectionnait particulièrement, il est devenu producteur et pépiniériste, avec Anja, son épouse. La pépinière était donc attenante à leur résidence, dans un petit village de l’ouest des Pays-Bas, nommé Hummelo. Son jardin est devenu un merveilleux site d’expérimentation qui lui a permis de raffiner son art et d’introduire une quantité impressionnante de nouvelles plantes vivaces dignes de mention. Le jardin de Hummelo a accueilli des milliers d’admirateurs, mais il est officiellement fermé au public depuis 2018. Il existe une magnifique plante vivace nommée en l’honneur de ce jardin, la bétoine ‘Hummelo’ (Stachys ‘Hummelo’), qu’Oudolf utilise souvent dans ses créations.

Une route naturellement tracée

Il serait faux de prétendre qu’Oudolf est l’ultime créateur de l’approche naturelle au jardin. Chaque parcelle de l’histoire a pavé la route au travail créatif de Oudolf. On peut remonter aux jardins paysagers anglais du 18e siècle, qui ont aboli les lignes droites (disons que c’est une extrême simplification de cette approche paysagère!). On ne peut passer sous silence l’influence des plates-bandes de vivaces mixtes de Gertrude Jekyll, au 19e siècle, qui ont lancé cette idée des plantes qui «entrent» les unes dans les autres. Puis, Vita Sackville-West a renchéri à Sissinghurst avec les plantations informelles dans les années 1930. Et ainsi de suite!

Là où le travail de Oudolf se démarque, c’est principalement dans cette immense connaissance des végétaux à tous les stades de leur croissance. En effet, pour qu’une plante obtienne son sceau d’acceptation, elle doit posséder certaines caractéristiques.

Par exemple, Oudolf s’est intéressé à l’apparence du feuillage au printemps, avant l’arrivée des fleurs. Il a aussi noté l’allure esthétique des fleurs séchées et des fruits, après la floraison. Le port de la plante, sa longévité, sa vigueur ou sa capacité à se ressemer sont aussi des détails qui sont pris en considération. Bref, la floraison n’est pas le principal attrait de la plante. C’est une des caractéristiques de la plante.

Les fleurs et les fruits séchés font partie intégrante des jardins de Oudolf. Ce sont des jardins que l’on fauche une fois seulement, au printemps. Photo: Esther Westerveld sur Wikimedia Commons

La «recette» d’un jardin à la Oudolf

Avant de donner platement la méthode à appliquer pour arriver à imiter la nature sans en faire partie, il est absolument essentiel de souligner le caractère instinctif, voire poétique, de la création et de la plantation des jardins d’inspiration naturelle. Dès le dessin au plan, on change la donne. Le plan n’est pas précis et il permet une plantation plus intuitive. Telle plante ira à peu près ici. Tiens, plantons cette autre plante de façon éparse à travers la plate-bande et remplissons l’espace avec une petite graminée ornementale.

En général, et c’est une donnée qui revient dans plusieurs ouvrages concernant les plantations d’allure plus naturelle, on devrait consacrer environ 70% de l’espace à des plantes dites structurantes. L’autre 30% est offert aux plantes de remplissage. Aussi, sur de grandes superficies, une des astuces est de créer un bloc de cinq ou six plantes, que l’on reproduit, mais en variant les proportions de chaque plante. Par exemple, on planterait une grosse masse d’astilbes roses dans le 1er bloc, et trois petits regroupements d’astilbes roses dans le second bloc. Dans le 1er bloc, on trouverait des molinies de petite taille (Molinia spp.) disposées de façon éparse, mais elles formeraient une large bande dans le second bloc.

Voici une portion d’un plan dessiné par Oudolf. Remarquez l’absence de précision de la conception. Les petits X et les points de couleur désignent les plantes éparses qui vont s’entremêler avec les autres vivaces du projet. Photo: John Lord sur Wikimedia Commons

Aussi, Oudolf regroupe les plantes selon l’effet recherché ou un sentiment à exprimer: aride, luxuriant, aérien, exubérant, argenté… Dans tous ces ouvrages, que ce soit Jardins naturalistes: Les meilleures plantes vivaces ou Plantation: Nouvelle perspective, Oudolf est très généreux du partage de ses expériences. Ses sélections de plantes vivaces et ses plans de plantation ont de quoi faire saliver les mordus.

Qu’est-ce qu’une plante structurante?

Dans la conception même de tout jardin, il faut reconnaître que les plantes n’ont pas toutes le même poids ou la même valeur. Certaines plantes, de par leur forme ou leur stature, figurent davantage sur la liste des plantes remarquables et remarquées. C’est ce que j’appelle parfois des plantes vedettes. À la différence que dans mon cas, une plante vedette est souvent une plante qui porte des fleurs impressionnantes. Pour Oudolf, on relègue la floraison au second plan. Une plante structurante est donc une plante qui a une belle stature en toute saison. C’est une plante qui se remarque et qui se démarque.

Les plantes structurantes ne sont pas nécessairement des plantes de grande taille. Par exemple, les achillées (Achillea spp.) et les sedums d’automne (Hylotelephium spectabile) sont considérés comme des plantes structurantes.

En général, ce sont des plantes qui offrent une floraison qui se démarque, mais aussi des fleurs séchées et des fruits séchés dignes de mention. Citons en exemple les amsonies (Amsonia spp.), la barbe de bouc (Aruncus spp.), les asters (Aster spp.), les échinacées (Echinacea spp.), les monardes (Monarda spp.) et la grande véronique (Veronicastrum virginicum).

Qu’est-ce qu’une plante de remplissage?

Les plantes de remplissages sont des plantes généralement à texture fine ou à floraison discrète. Leur rôle dans l’agencement est de rehausser la valeur des plantes structurantes. Cela n’en fait pas des plantes moins intéressantes ou moins belles. Elles permettent parfois un temps d’arrêt, une pause visuelle qui aide à «lire» le paysage plus facilement. Oudolf les nomme aussi la matrice. Dans certains cas ou pour certaines zones, il peut s’agir d’une seule et même espèce. Celle-ci remplit tous les espaces vides entre les plantes structurantes.

En général, ce sont des plantes que l’on cultive en grands massifs. Il peut s’agir de graminées ornementales de petite taille, comme la seslérie d’automne (Sesleria autumnalis) ou la sporobole à glumes inégales (Sporobolus heterolepis). Le coréopsis ‘Moonbeam’ (Coreopsis verticillata ‘Moonbeam’) ou certains géraniums vivaces (Geranium spp.) peuvent aussi devenir des plantes de remplissage efficaces.

L’aménagement de la High Line à New York a grandement contribué à faire connaître le travail de Oudolf partout dans le monde. Sa mission était de conserver l’allure naturelle et dominée par les graminées de ce lieu, telle qu’elle était avant le réaménagement du site. Photo: Beyond my Ken sur Wikimedia Commons

Ne pas oublier les plantes éparses!

Et c’est ici que se trouve la petite touche finale qui donne aux jardins de Oudolf cette impression de nature. Dans la nature, certaines plantes apparaissent comme des petites taches de couleurs qui se manifestent ici et là. Dans une organisation la plus aléatoire possible, ce sont en général, des plantes qui se ressèment ou qui sont d’une grande docilité.

L’idéal pour obtenir un effet de spontanéité est de lancer des semences à la volée. Mais on peut aussi s’amuser à insérer ces plantes sans suivre un plan bien précis, y allant au ressenti.

Les roses trémières (Alcea rosea), les benoîtes (Geum spp.), plusieurs géraniums vivaces (Geranium spp.), ou des pavots d’orient (Papaver orientale) se prêtent bien à ce jeu de l’éparpillement.

En conclusion, on peut dire que les jardins de Piet Oudolf sont un heureux mariage entre les connaissances techniques et une vision artistique. On ne peut arriver à de tels résultats sans avoir une connaissance très approfondie de nos ingrédients, c’est-à-dire les plantes. Et aussi une connaissance aussi accrue de leur milieu de culture, le sol. Ce savoir s’acquiert sur des dizaines d’années d’expérimentation. Et comme je le répète souvent à mes élèves, il y a de nombreuses connaissances concernant les plantes qui ne se trouvent pas dans les livres. Il faut les avoir cultivées en différents endroits pour bien connaître ses plantes!

Puis, la poésie! Les émotions générées à la vue des jardins d’Oudolf font aussi partie du talent du créateur. L’art de la composition, du placement des massifs, de la répétition, de l’évolution saisonnière. Tout cela, mis ensemble, forme le portrait enchanteur qui se tient à la fine ligne entre le jardin ornemental et la prairie sauvage et naturelle.

Le jardin de Lurie Garden, à Chicago, est construit sur un stationnement souterrain. Chaque saison offre son propre spectacle. Photo: Esther Westerveld sur Wikimedia Commons
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