Jardiner comme Piet Oudolf
Par Julie Boudreau
Si vous avez déjà déambulé sur le High Line à New York ou traversé le Lurie Garden de Chicago, vous connaissez très bien le travail du pépiniériste et designer de jardins, Piet Oudolf. Ses jardins à l’allure naturelle suscitent l’admiration même auprès des non-jardiniers!
Mais, pour des horticulteurs et des jardiniers le moindrement passionnés, les jardins de Piet Oudolf nous confrontent à des milliers de questions. Comment fait-il pour réussir à créer des jardins aussi beaux et qui ont l’apparence de ne pas être entretenus, mais qui n’ont pas l’allure d’un champ laissé à l’abandon? Quelle est cette plante splendide que je n’ai jamais vue de ma vie? D’où lui vient l’idée de combiner telle plante avec telle autre plante? Quoi? C’est beau même à l’automne, quand on ne coupe pas les hampes florales?
Bref, que l’on contemple ces jardins avec les yeux du cœur ou avec les yeux de la raison, ils sont fascinants!
Piet, le designer et pépiniériste
Originaire des Pays-Bas, Piet Oudolf est d’abord et avant tout un designer de jardins. Devant le manque de disponibilité de certaines plantes qu’il affectionnait particulièrement, il est devenu producteur et pépiniériste, avec Anja, son épouse. La pépinière était donc attenante à leur résidence, dans un petit village de l’ouest des Pays-Bas, nommé Hummelo. Son jardin est devenu un merveilleux site d’expérimentation qui lui a permis de raffiner son art et d’introduire une quantité impressionnante de nouvelles plantes vivaces dignes de mention. Le jardin de Hummelo a accueilli des milliers d’admirateurs, mais il est officiellement fermé au public depuis 2018. Il existe une magnifique plante vivace nommée en l’honneur de ce jardin, la bétoine ‘Hummelo’ (Stachys ‘Hummelo’), qu’Oudolf utilise souvent dans ses créations.
Une route naturellement tracée
Il serait faux de prétendre qu’Oudolf est l’ultime créateur de l’approche naturelle au jardin. Chaque parcelle de l’histoire a pavé la route au travail créatif de Oudolf. On peut remonter aux jardins paysagers anglais du 18e siècle, qui ont aboli les lignes droites (disons que c’est une extrême simplification de cette approche paysagère!). On ne peut passer sous silence l’influence des plates-bandes de vivaces mixtes de Gertrude Jekyll, au 19e siècle, qui ont lancé cette idée des plantes qui «entrent» les unes dans les autres. Puis, Vita Sackville-West a renchéri à Sissinghurst avec les plantations informelles dans les années 1930. Et ainsi de suite!
Là où le travail de Oudolf se démarque, c’est principalement dans cette immense connaissance des végétaux à tous les stades de leur croissance. En effet, pour qu’une plante obtienne son sceau d’acceptation, elle doit posséder certaines caractéristiques.
Par exemple, Oudolf s’est intéressé à l’apparence du feuillage au printemps, avant l’arrivée des fleurs. Il a aussi noté l’allure esthétique des fleurs séchées et des fruits, après la floraison. Le port de la plante, sa longévité, sa vigueur ou sa capacité à se ressemer sont aussi des détails qui sont pris en considération. Bref, la floraison n’est pas le principal attrait de la plante. C’est une des caractéristiques de la plante.
La «recette» d’un jardin à la Oudolf
Avant de donner platement la méthode à appliquer pour arriver à imiter la nature sans en faire partie, il est absolument essentiel de souligner le caractère instinctif, voire poétique, de la création et de la plantation des jardins d’inspiration naturelle. Dès le dessin au plan, on change la donne. Le plan n’est pas précis et il permet une plantation plus intuitive. Telle plante ira à peu près ici. Tiens, plantons cette autre plante de façon éparse à travers la plate-bande et remplissons l’espace avec une petite graminée ornementale.
En général, et c’est une donnée qui revient dans plusieurs ouvrages concernant les plantations d’allure plus naturelle, on devrait consacrer environ 70% de l’espace à des plantes dites structurantes. L’autre 30% est offert aux plantes de remplissage. Aussi, sur de grandes superficies, une des astuces est de créer un bloc de cinq ou six plantes, que l’on reproduit, mais en variant les proportions de chaque plante. Par exemple, on planterait une grosse masse d’astilbes roses dans le 1er bloc, et trois petits regroupements d’astilbes roses dans le second bloc. Dans le 1er bloc, on trouverait des molinies de petite taille (Molinia spp.) disposées de façon éparse, mais elles formeraient une large bande dans le second bloc.
Aussi, Oudolf regroupe les plantes selon l’effet recherché ou un sentiment à exprimer: aride, luxuriant, aérien, exubérant, argenté… Dans tous ces ouvrages, que ce soit Jardins naturalistes: Les meilleures plantes vivaces ou Plantation: Nouvelle perspective, Oudolf est très généreux du partage de ses expériences. Ses sélections de plantes vivaces et ses plans de plantation ont de quoi faire saliver les mordus.
Qu’est-ce qu’une plante structurante?
Dans la conception même de tout jardin, il faut reconnaître que les plantes n’ont pas toutes le même poids ou la même valeur. Certaines plantes, de par leur forme ou leur stature, figurent davantage sur la liste des plantes remarquables et remarquées. C’est ce que j’appelle parfois des plantes vedettes. À la différence que dans mon cas, une plante vedette est souvent une plante qui porte des fleurs impressionnantes. Pour Oudolf, on relègue la floraison au second plan. Une plante structurante est donc une plante qui a une belle stature en toute saison. C’est une plante qui se remarque et qui se démarque.
Les plantes structurantes ne sont pas nécessairement des plantes de grande taille. Par exemple, les achillées (Achillea spp.) et les sedums d’automne (Hylotelephium spectabile) sont considérés comme des plantes structurantes.
En général, ce sont des plantes qui offrent une floraison qui se démarque, mais aussi des fleurs séchées et des fruits séchés dignes de mention. Citons en exemple les amsonies (Amsonia spp.), la barbe de bouc (Aruncus spp.), les asters (Aster spp.), les échinacées (Echinacea spp.), les monardes (Monarda spp.) et la grande véronique (Veronicastrum virginicum).
Qu’est-ce qu’une plante de remplissage?
Les plantes de remplissages sont des plantes généralement à texture fine ou à floraison discrète. Leur rôle dans l’agencement est de rehausser la valeur des plantes structurantes. Cela n’en fait pas des plantes moins intéressantes ou moins belles. Elles permettent parfois un temps d’arrêt, une pause visuelle qui aide à «lire» le paysage plus facilement. Oudolf les nomme aussi la matrice. Dans certains cas ou pour certaines zones, il peut s’agir d’une seule et même espèce. Celle-ci remplit tous les espaces vides entre les plantes structurantes.
En général, ce sont des plantes que l’on cultive en grands massifs. Il peut s’agir de graminées ornementales de petite taille, comme la seslérie d’automne (Sesleria autumnalis) ou la sporobole à glumes inégales (Sporobolus heterolepis). Le coréopsis ‘Moonbeam’ (Coreopsis verticillata ‘Moonbeam’) ou certains géraniums vivaces (Geranium spp.) peuvent aussi devenir des plantes de remplissage efficaces.
Ne pas oublier les plantes éparses!
Et c’est ici que se trouve la petite touche finale qui donne aux jardins de Oudolf cette impression de nature. Dans la nature, certaines plantes apparaissent comme des petites taches de couleurs qui se manifestent ici et là. Dans une organisation la plus aléatoire possible, ce sont en général, des plantes qui se ressèment ou qui sont d’une grande docilité.
L’idéal pour obtenir un effet de spontanéité est de lancer des semences à la volée. Mais on peut aussi s’amuser à insérer ces plantes sans suivre un plan bien précis, y allant au ressenti.
Les roses trémières (Alcea rosea), les benoîtes (Geum spp.), plusieurs géraniums vivaces (Geranium spp.), ou des pavots d’orient (Papaver orientale) se prêtent bien à ce jeu de l’éparpillement.
En conclusion, on peut dire que les jardins de Piet Oudolf sont un heureux mariage entre les connaissances techniques et une vision artistique. On ne peut arriver à de tels résultats sans avoir une connaissance très approfondie de nos ingrédients, c’est-à-dire les plantes. Et aussi une connaissance aussi accrue de leur milieu de culture, le sol. Ce savoir s’acquiert sur des dizaines d’années d’expérimentation. Et comme je le répète souvent à mes élèves, il y a de nombreuses connaissances concernant les plantes qui ne se trouvent pas dans les livres. Il faut les avoir cultivées en différents endroits pour bien connaître ses plantes!
Puis, la poésie! Les émotions générées à la vue des jardins d’Oudolf font aussi partie du talent du créateur. L’art de la composition, du placement des massifs, de la répétition, de l’évolution saisonnière. Tout cela, mis ensemble, forme le portrait enchanteur qui se tient à la fine ligne entre le jardin ornemental et la prairie sauvage et naturelle.
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Bel article ce matin. Merci de m’avoir fait connaître M. Oufolf.
… Oudolf
Wow, quel artiste que tu m’as fait connaître.
Merci, nous avons un jardin similaire maintenant sur le toit des stationnements des jettés dans le vieux Port. Peut-être un sujet d’u e prochaine chronique?
Hélène
Voila un article inspirant, sans « humour » qui alourdit le texte, sans sous-texte éco-moralisateur. Parlez-nous plus des jardins du monde. Jardins modernes comme ceux-ci et jardins anciens. J’ai juste envie de sauter dans un avion et d’aller visiter les jardins de ce monsieur 🙂 Bravo et merci.
Merci…un génie a découvrir!!
Magnifique! Merci, c’est très inspirant!
Très bel article qui nous fait du bien ce matin, tout aussi poétique et inspirant que les jardins d’Oudolf! 🙂 Merci Julie!
Merci pour ce texte inspirant Cela nous aide dans nos réflexions !
Merci de nous faire connaître M. Oudolf et quelques-uns de ses jardins, j’adore!
Bonjour,
Garden designer anglais = concepteur de jardin français
Notre langue a des mots, alors on s’en sert!
Vraiment???
Diane,
vraiment, vraiment.
@
Catherine,
vous avez tout à fait raison de le souligner, notre langue est tellement belle qu’elle mérite d’être soignée aussi bien que le plus beau des jardins.
Merci de l’avoir fait.
comment faire pour me désabonner? je ne peux plus continuer. Merci infiniment pour tous les bons conseils, toutes les informations pertinentes.
Juste une petite précision sur la barbe de bouc (arunculus). J’ai été surpris, l’été dernier, de retrouver tous mes arunculus décimés par ce qui semblait être des tenthrèdes, comme chez les azalées. Cette plante n’avait pas de problème en Amérique du Nord. Après une recherche, j’ai découvert que quelqu’un de Stoneham, village à 30 km au nord de Québec, avait par mégarde rapporté cet insecte d’Europe. Actuellement il se retrouve dans ma ville, et va sûrement migrer à toute l’Amérique. J’ai jeté tous les plants, car éliminer cet insecte est quasiment impossible. Donc à éviter dans ma région.
Même chose chez moi. Toutes mes barbes de bouc sont infestées de tenthrèdes. Malgré mon travail pour en venir à bout, elles prolifèrent. Je me vois obligée de tout enlever. Ces « bibites » sont rendues à Alma au Lac-St-Jean. Quel dommage!
Votre article me donne des connaissances nouvelles et me donne le goût d’innover davantage dans mon jardin. Merci.
Un bel article, très intéressant, qui donne envie de tout connaitre de cet artiste paysager. Merci.
Belle découverte en ce matin pluvieux… Merci infiniment !
WoW! Super intéressant ton article Julie! Je pense que je vais acheter un de ses livres et tu m’a donné le goût d’aller faire un tour à New-York même si je suis un vrai rat des champs ! Merci mille fois.
J’adore te lire
Je trouve cet article très intéressant. Un bon guide pour faire un aménagement. Merci beaucoup de nous le partager.
Merci <3
J’aimerais me procurer Dream Plants for the Natural Garden. L’avez-vous lu ou regardé ? J’hésite à l’acheter, car je me demande si ces plantes sont disponibles à Montréal. Environ quel pourcentage des variétés sont disponibles ici, diriez-vous ? Merci à l’avance ! m. 🙂