Si vous êtes un jardinier s’émerveillant des petites merveilles de la nature comme moi… eh bien, vous vous faites sans doute juger quand vous vous extasiez sur les jolies toiles matinales dans votre pelouse.
Mais aujourd’hui, vous avez le droit de vous «lâcher lousse» dans votre appréciation de ces jolies toiles perlées d’eau de rosée. Et vous savez ce qui est encore plus joli que la toile elle-même? Son petit nom! On m’a déjà dit qu’on les appelait des mouchoirs de fées.
Dans la magie et la pelouse enchantée
J’en ai énormément chez moi et je m’en émerveille chaque fois. C’est délicat, fragile, comme une fine dentelle en suspension sur l’herbe, et quand le soleil l’illumine, les petites gouttes de rosée se transforment en diamants. Dentelle et diamants: mouchoir de fée. C’est tout à fait poétique!
Bon, je sais, les artistes, vous vous dites «oh, les diamants sont de jolies broderies décoratives», les romantiques, vous vous dites «oh, les diamants sont des larmes de fées», et les hommes (pardonnez-moi cette blague sexiste!), vous vous dites «les fées, ça fait des crottes de nez en diamants quand ça se mouche?».
N’y pensez pas trop, d’accord? Quand on pousse la métaphore trop loin… Bref, on appelle ça des mouchoirs de fées!
Dans le cauchemar de votre chroniqueuse
Dans le monde des arthropodes, plusieurs animaux font des toiles. Certains y protègent leurs œufs, tapissent leurs cachettes, ou font un jeu de «suit le fil» où la femelle trouvera éventuellement de quoi se féconder. Le ver à soie n’est autre qu’une chenille dont on déroule le cocon pour ensuite filer le précieux fil et le transformer en textile. Les humains ne voient pas toujours ces fils ou ces toiles parfois minuscules, alors jamais on n’imaginerait que les grillons, par exemple, font de la soie!
Mais moi, je suis au courant de ce fait. Du coup, quand j’ai commencé mes recherches pour rédiger cet article, je m’attendais à… à peu près n’importe quoi.
Quelle ne fut pas ma déception (et mon horreur!) de découvrir que ces toiles sont faites par mes ennemies jurées: les araignées! J’ai eu un gros dilemme: j’arrête et je change de sujet, ou bien je continue et je brave toutes les images horribles qu’il y a sur les sites et articles?
Vous êtes chanceux, vraiment chanceux… J’ai décidé de persévérer. Mais ne vous étonnez pas si j’effleure seulement le sujet et s’il n’y a pas de photo d’araignées dans mon article. Moi, j’avais envie de parler de beauté. Pas de ces épouvantables bestioles!
Dans la désillusion et le courage
Les responsables de ces jolies toiles seraient des araignées de la famille des Linyphiidae. Elles représenteraient environ 40% de toutes les araignées sur le territoire québécois, mais sont également répandues ailleurs dans le monde. On estime que plus de 600 espèces de cette famille sont présentes au Canada, et ce nombre serait semblable en Europe. Ce sont des araignées généralement petites, de seulement quelques millimètres, et elles sont très similaires d’une espèce à l’autre, ce qui rend leur identification difficile.
Certaines espèces seraient plus présentes dans certains types de végétation, mais après vingt minutes de lecture et de sursaut à chaque chargement de page web avec des images, je n’ai pas eu le courage de pousser plus loin. De toute façon, les noms en latin de bestioles grosses comme une tête d’épingle, ce n’est pas trop intéressant, n’est-ce pas? Pas aujourd’hui, en tout cas!
Si vous voulez savoir ce que j’ai enduré (voir à quoi ça ressemble), je vous mets un lien intéressant: www.natureweb.com/famille/linyphiidae
Les petites coquines qui vivent dans la pelouse sont bien souvent accrochées sous leur toile, le dos vers le sol. C’est un bon moyen de se protéger de la rosée matinale, en plus d’avoir un piège efficace pour capturer les insectes marcheurs.
Dans la tête d’un jardinier… et d’une jardinerie!
Vous devez être contents d’avoir des petits soldats qui mangent les insectes de la pelouse. Plusieurs larves d’insectes nuisibles vivent au sol et peuvent être consommées par les araignées: leur présence est une bénédiction. (Surtout parce qu’elles ont la décence de rester sous la toile et que je ne les vois pas!) En plus, elles ne s’attaquent pas aux humains puisqu’elles sont trop petites pour nous mordre, et elles ne cherchent pas à rentrer dans les maisons (ouf!).
Mais attention! Il existe un sosie à ces mouchoirs de fées, et si vous n’êtes pas capable de faire la différence, il se pourrait que vous vous fassiez arnaquer en jardinerie!
Très semblable de loin, on ne peut se tromper en se rapprochant. Cette «toile» est en fait un mycélium. C’est la partie généralement souterraine des champignons. Dans le cas présent, il s’agit d’une maladie appelée taches en dollars (dollars spots) qui est en fait une attaque de champignons du genre Clarireedia, anciennement connu sous le nom de Sclerotinia homoeocarpa.
Pour reconnaître cette affection, il faut regarder les toiles de près. Si l’aspect est une géométrie générale et irrégulière, mais lisse comme un tissu léger, c’est l’œuvre d’un de vos petits soldats. Si l’apparence est plutôt mousseuse ou cotonneuse, que des espèces de plumeaux se forment sur les brins d’herbe, et que vous ne voyez pas les formes géométriques, c’est le champignon. Celles-ci ne persistent pas toute la journée, mais des taches jaunes de quelques centimètres de diamètre finissent par apparaître dans la pelouse.
Les conditions de développement de ce nuisible sont les suivantes: un sol sec et pauvre, une humidité ambiante élevée, des températures assez chaudes le jour (entre 20 et 30 °C), et plus fraîches la nuit. Bref, au Québec, ça peut frapper au printemps, tôt en été, et à l’automne. C’est un problème qui semble assez répandu, surtout sur les terrains de golf.
Dans tous les cas, c’est facile à éviter… sauf pour les terrains de golf!
En utilisant sa logique de jardinier, pas besoin de dépenser des centaines de dollars pour guérir vos taches de dollars! Si les jardineries et compagnies d’entretien de pelouse vous vendent des engrais miracles, des surfaçages, des cures d’aérations, etc., sachez que c’est parce qu’il est interdit de répandre des fongicides sur la pelouse d’un particulier au Québec. Autrement dit: pas de remède simple et efficace à vaporiser, et beaucoup de charlatans en vue!
Vous me voyez venir: il vous suffit de changer vos habitudes de tonte et le problème se réglera de lui-même!
Tondez moins court et moins souvent pour que le sol reste plus humide; laissez vos rognures sur place pour engraisser votre sol; laissez de la variété s’installer dans votre pelouse pour que leurs racines aèrent en profondeur, ce que la simple pelouse ne fait pas.
Avec ces quelques bonnes habitudes, ça devrait se résorber. Si vous êtes TRÈS atteints, donner un coup de pouce en épandant de l’engrais et/ou du compost peut aider. Arroser le matin est également préférable à l’arrosage en après-midi ou en soirée pour que l’eau pénètre en profondeur sans s’évaporer ou créer une humidité exacerbée le soir.
Il est quand même à noter que l’arrosage de sa pelouse est interdit dans plusieurs municipalités et que ce conseil s’applique sans doute plus aux terrains de golf. Après tout, ils ne peuvent laisser pousser l’herbe ou laisser les rognures sur place, eux!
Bref, cet article qui se voulait une ode à la magnificence de la nature a pris un virage inattendu. Mais la complexité de ses liens et sa diversité ne font-ils pas un peu aussi partie de beauté de la nature?