Je suis un citoyen hors-la-loi… modèle!
Tous les ans, à cette période-ci, les municipalités commencent à mettre en vigueur leur programme estival de restrictions d’arrosage. Vous le connaissez sans doute: les gens dont l’adresse civique est un chiffre impair peuvent arroser tel jour, ceux dont le chiffre est pair tel autre jour. Dans ma ville, on restreint même l’arrosage après 21 h. Comme si on pouvait assez bien voir à la noirceur pour arroser!
Les restrictions sur l’arrosage
En tant que personne responsable, je devrais normalement encourager les gens à suivre ces règlements. Mais dans ce cas-ci, ce n’est pas possible. Car ces lois sont ridicules! Que quelqu’un m’explique comment j’économise de l’eau en arrosant le lundi plutôt que le mardi. Si j’applique la même quantité d’eau, cela ne change strictement rien. Par contre, je trouve effrayante la façon dont les gens gaspillent l’eau sur leur terrain. Certains terrains sont tellement arrosés, tout en respectant les règlements, que c’est tout juste si leur maison ne flotte pas!
Personnellement, j’admets que je triche. J’arrose quand bon me semble, peu importe la journée. Je suis donc un hors-la-loi, et, d’ailleurs, fier de l’être. Et je ne me sens pas irresponsable pour autant. Bien au contraire, je juge que j’économise beaucoup plus d’eau en étant paresseux qu’en suivant les règlements.
Comment j’économise l’eau au jardin
D’abord, je n’arrose jamais ma pelouse, sauf les sections nouvellement ressemées. Pourquoi le ferais-je d’ailleurs? Le gazon, une fois bien établi, est parfaitement capable de supporter la sécheresse. D’accord, il devient gris-vert par temps de sécheresse, voire beige si la sécheresse est très longue. Mais il redevient vert comme… comme un vert de golf dès que les pluies reviennent. Pour la pelouse, je me fie entièrement à Dame Nature. Je sais qu’elle verdira dans quelques jours ou, tout au plus, quelques semaines. Donc, jusqu’ici, ma municipalité et moi sommes parfaitement d’accord: aucun danger que la police de l’arrosage vienne m’arrêter.
Aussi, je suis un bon citoyen, car je n’ai pas de piscine. Saviez-vous que le remplissage des piscines et l’arrosage des gazons monopolisent plus de 90 % de l’eau utilisée à l’extérieur? Déjà, j’économise assez d’eau pour espérer que la police de l’arrosage se sente coupable de m’arrêter.
L’arrosage des plantes potagères
J’arrose cependant abondamment mes plantes potagères, et cela sans la moindre gêne. Et la loi me donne raison, d’ailleurs: ces plantes étant destinées à nourrir les citoyens, les municipalités ne restreignent pas ce type d’arrosage. Après tout, imaginez les répercussions si on trouvait une pauvre famille végétarienne réduite à quémander des carottes dans la rue parce que la méchante ville les empêcherait d’arroser leur potager! Même là, je suis un bon citoyen: je paille abondamment mes légumes, ce qui réduit l’évaporation et la température du sol, donc les besoins en arrosage du potager. Contrairement aux pelouses, les légumes ne tolèrent aucun manque d’eau. Même les petits stress dus à un manque d’eau occasionnel réduisent la quantité et la qualité de la récolte.
Là où je triche vraiment, cependant, c’est dans la plate-bande. Du moins, dans certaines parties de la plate-bande. Je ne me donne pas la peine d’arroser les arbustes et vivaces bien établis, même s’il fait très chaud et sec, car ces plantes n’en ont tout simplement pas besoin. Leurs longues racines vont chercher l’eau en profondeur.
D’accord, leur croissance et leur floraison peuvent ralentir par temps de canicule, mais il n’y a aucun dommage à long terme et je suis bien trop paresseux pour arroser juste pour le plaisir de le faire.
L’arrosage de la plate-bande: ma tricherie
C’est plutôt le long de la maison, sous l’avant-toit, où aucune goutte d’eau de pluie ne parvient au sol, que je triche. J’y ai installé des boyaux suintants (genre de boyau d’arrosage fait de pneus recyclés et percé de minuscules trous par lesquels l’eau peut suinter). Je les mets en marche quand bon me semble, n’importe quel jour de la semaine et à n’importe quelle heure. Un vrai criminel à l’œuvre! Que la police vienne m’arrêter: je ne me sens pas le moindrement coupable. J’ai fait plus que ma part partout ailleurs sur le terrain et j’ai économisé beaucoup d’eau en n’arrosant pas le gazon et les plantations qui n’en ont pas besoin. Et le boyau suintant gaspille moins d’eau que l’arroseur habituel qui lance l’eau dans l’air où elle s’évapore en bonne partie avant même d’atteindre les racines. (S’il y a quelque chose qui devrait être illégal, quant à moi, c’est d’arroser sa pelouse!) Pour une fois, laissez-moi donc ma petite exception, car ces plantes ne peuvent pas survivre sans arrosage.
D’ailleurs, je ne m’attends pas à ce que la police vienne de sitôt. Voyez-vous, avec un boyau suintant caché de la vue par une bonne couche de paillis, il n’y a aucun signe extérieur que j’arrose. Je branche le boyau sur une minuterie, je le fais fonctionner environ deux heures une fois par semaine et, sous le paillis, le sol refait ses réserves d’eau. Même mes voisins «senteux» (si j’en avais, bien sûr: mes voisins actuels sont tous très gentils et compréhensifs) ne le sauraient pas.
Il ne reste qu’un seul danger: une dénonciation venant de l’interne. À ce jour, aucun problème, mais, pour être certain, je ne dis jamais à mon épouse, à mes enfants, à mon chat ou à mon chien quand je sors pour arroser. Après tout, on ne sait jamais!
Larry Hodgson a publié des milliers d’articles et 65 livres au cours de sa carrière, en français et en anglais. Son fils, Mathieu, s’est donné pour mission de rendre les écrits de son père accessibles au public. Ce texte a été publié à l’origine en juillet 2000 dans Fleurs, Plantes et Jardins.
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