Par Julie Boudreau
Tout jardinier vit avec l’illusion que tout le sol qui entoure sa propriété lui appartient et qu’il peut en disposer comme bon lui semble. Autrement dit, on peut tout planter, n’importe où. Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas, car plusieurs municipalités imposent des règles de bonne conduite citoyenne qui limitent la hauteur des haies, la hauteur de la pelouse et même ce que l’on peut ou ne peut pas planter devant sa maison.
Si de telles règles existent, c’est qu’un jour ou l’autre, des citoyens plus zélés que les autres ont porté plainte et ont invité la ville à légiférer en la matière. Les lois et les règlements découlent souvent des abus de la minorité. Mais avec la grande mouvance environnementale que nous vivons, il est plus que temps de remettre en question certaines de ces contraintes végétales.
La petite histoire
Il y a environ une dizaine d’années, la présence de potagers en façade faisait les manchettes. En effet, de nombreuses municipalités du Québec les interdisaient et on allait même jusqu’à remettre des amendes salées à ceux qui osaient cultiver quelques tomates et quelques carottes aux vues et au su de leurs voisins.
Depuis, la situation a pris un beau virage et de plus en plus de municipalités ont modifié leur réglementation pour autoriser la culture des plantes comestibles en devanture des bungalows des villes et des banlieues. Il faut dire que c’est la mobilisation citoyenne qui a fait bouger les choses. À coup de pétitions et de revendications aux assemblées des conseils de ville, les jardiniers ont fait prévaloir leur point. Et on les a écoutés!
Au Québec, c’est la municipalité de Drummondville qui a brisé la glace. Puis, les villes de Québec, Victoriaville, Sherbrooke, Lévis et Gatineau, pour ne nommer qu’elles, ont emboîté le pas.
Pourquoi s’y opposer?
Les passionnés de plantes comestibles et d’agriculture urbaine trouvent tout naturel de planter des légumes et des fines herbes à grandeur de leur terrain. D’ailleurs, les adeptes des principes de permaculture savent qu’on ne doit laisser aucun centimètre carré de terre dépourvu de végétation. Et tant qu’à planter quelque chose, autant que cela serve!
Par contre, les non-jardiniers voient les choses tout autrement. En général, les interdictions de planter des potagers en façade étaient justifiées par des raisons d’ordre esthétique. Eh oui, la belle pelouse parfaite… encore! On rêvait de belles maisons de banlieue, toutes identiques, aménagées avec goût, avec quelques beaux arbustes et un grand espace dégagé recouvert de pelouse qui met en valeur l’architecture de la maison. La beauté et l’harmonie avant tout! C’est donc par crainte de perdre nos belles banlieues dans un fouillis végétal que les municipalités ont légiféré.
Une autre raison qui limitait la culture des potagers en façade est la sécurité publique. Et je dois reconnaître ici que je vois la validité du commentaire. Des végétaux plantés en bordure des routes peuvent nuire à la visibilité, en particulier sur les coins de rue. Cela peut causer des accidents. C’est la raison pourquoi certaines municipalités, qui autorisent les potagers en façade, vont demander une bande de dégagement sans cultures près de la rue. Certaines vont même dicter la hauteur maximale des bacs de culture et des végétaux.
Il ne devrait pas y avoir de différence entre une spirée et un plant de poivron. Ce sont des plantes. Point. Une ornementale et l’autre comestible.
Pourquoi y adhérer?
Je me doute un peu que les lecteurs de ce blogue sont davantage des amoureux des plantes et des potagers que des détracteurs. À vous, je n’ai pas besoin d’apprendre tout ce qu’on peut soutirer d’un potager en façade.
Dans une vision plus globale, la culture d’un potager, en façade ou pas, soutient la souveraineté alimentaire. C’est une forme d’agriculture paysanne à sa plus petite échelle. Il n’y a pas plus local que dans sa cour (ou sa devanture)! Le potager en façade génère des économies de transport et de suremballage. Puis, on a la garantie que nos aliments sont frais et sans pesticides. Bon, ce n’est pas 6 carottes et 12 tomates qui vont faire virer de bord un cargo de légumes qui arrive d’Amérique centrale ou qui vont enrayer l’utilisation des néonicotinoïdes, un insecticide qui met en péril les populations d’abeilles. Mais des milliers de jardiniers qui cultivent 6 carottes et 12 tomates peuvent faire une différence. Oui, je sais, c’est mon petit côté hippie qui rejaillit. J’ai toujours été une adepte du « pensez global, agissez local » (ça sonne mieux en anglais!).
Aussi, même si personnellement j’aime les « jardins-fouillis », un potager en façade peut être aménagé selon les grands principes du rythme et de l’harmonie. Il peut être bien structuré, avec des allées de paillis et des plates-bandes délimitées. Cela dit, j’ai le sentiment qu’il est grand temps de redéfinir l’esthétisme et ce qui est jugé beau.
Enfin et plus que tout, que ce soit en façade, en cour arrière ou sur un balcon, il n’y a rien de plus satisfaisant que de croquer dans une carotte à peine nettoyée de sa terre, de se faire un sandwich aux tomates avec ses tomates et son basilic ou d’épater ses amis avec son tout premier cantaloup! Bonheur et satisfaction!
Alors, je rends hommage à ces villes où il fait bon cultiver un potager en façade. Car elles œuvrent pour le plus grand bien de leurs citoyens, mais aussi à leur manière, elles contribuent au virage nécessaire et urgent pour le plus grand bien de la Planète. Quand un citoyen passe à l’action, c’est super. Mais quand une ville ou une municipalité prend position, wow! Quel impact!