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Les plantes de grand-maman

Pandanus

Il y a quelques semaines, j’ai trouvé une plante d’intérieur dans les rebuts devant une maison dans mon secteur. Je l’ai reconnue tout de suite: un pandanus (Pandanus tectorius, syn. P. veitchii), plante qu’on ne voit plus du tout dans le commerce. Et c’est cela qui m’a donné l’idée de cet article: ces mystérieuses plantes d’intérieur qu’on ne trouve jamais (ou presque) en jardinerie, mais abondamment dans nos maisons et appartements. Quelles sont-elles? D’où viennent-elles? Depuis quand les cultive-t-on? Voici quelques réponses à ces questions.

Pandanus. Source: Home Depot

La fascinante histoire des plantes d’intérieur

Les premières plantes d’intérieur seraient arrivées au Québec vers le milieu des années 1860 à 1880. À cette période, les villes importantes du Canada (Québec, Montréal, Toronto, Winnipeg, etc.) étaient dotées de grandes serres publiques, imitations du célèbre Palais de cristal (Crystal Palace) de Londres installé en 1851, et les visiteurs étaient passionnées par les plantes curieuses et exotiques qui s’y trouvaient. D’où l’intérêt de les essayer chez eux aussi.

Fougère de Boston. Photo: PictureThis

Les palmiers et les fougères étaient parmi les plantes les plus populaires auprès des «premiers pouces verts d’intérieur». La fougère de Boston (Nephrolepis exaltata ‘Bostoniensis’), avec ses longues frondes retombantes (trouvée dans une livraison de plantes destinées à la production de fleurs coupées en 1894) est vite devenue la plante à placer sur un piédestal dans le grand salon… avec le tout aussi populaire palmier Kentia (Howea forsteriana). La fougère de Boston n’a jamais perdu de sa popularité, mais le kentia coûte cher à produire et est rare de nos jours.

La sansevière ou langue de belle-mère (Dracaena trifasciata) est disponible depuis encore plus longtemps et avait la réputation de pouvoir tolérer même les emplacements les plus sombres. On trouve toujours la fougère de Boston et la sansevière dans les jardineries de nos jours, bien que la grande fougère de Boston de nos grands-parents ait été largement remplacée par des variétés naines, mieux adaptées à nos intérieurs plus restreints.

Palmier Kentia (Howea forsteriana). Photo: fascinadora

Des plantes encore bien connues

Un nouveau lot de plantes d’intérieur a joint les plus établies quand le magasin 5-10-15 Woolworth a commencé à vendre pour la première fois des plantes tropicales à seulement 5¢ le plant. Parmi les nouveautés ainsi introduites, il y avait beaucoup de plantes qu’on connaît bien: le philodendron (Philodendron hederaceum var. oxycardium), la plante-araignée (Chlorophytum comosum), le crassula ou plante de jade (Crassula ovata) et la plante prieuse (Maranta leuconeura), entre autres. Ces «plantes Woolworth» aussi demeurent très disponibles en jardinerie de nos jours.

Les oubliées des pépiniéristes

Mais certaines plantes ne sont plus commercialisées depuis belle lurette. On ne les retrouve que chez les particuliers, souvent transmises d’une génération à l’autre dans la même famille ou entre amis, ou parfois dans un marché aux puces. N’essayez pas de les chercher dans le commerce: vous perdrez votre temps. Posez quelques questions dans une société d’horticulture, cependant, et vous trouverez facilement une petite bouture ou une division.

Dans ce groupe il y a au moins deux bégonias avec une très longue histoire à raconter.

Bégonias

Source: sucsforyou

Le bégonia à feuilles rouges (Begonia x erythrophylla, Allemagne, 1845) est parmi les premiers hybrides de bégonia jamais produits. Avec ses feuilles d’apparence cirée, presque rondes, de couleur rouge vin, ses fleurs roses en hiver et son port légèrement retombant à cause de ses rhizomes rampants qui débordent du pot, il fait un excellent choix pour le panier suspendu. Le bégonia aile d’ange (Begonia ‘Lucerna’ [‘Corallina de Lucerna]) fut hybridé en Suisse en 1892 et est encore largement distribué. Avec son port dressé, ses feuilles en forme d’aile joliment tachetées d’argent et ses fleurs pendantes roses en été, il ne ressemble nullement à son cousin.

Iris d’appartement

L’iris d’appartement (Trimezia northiana syn. Neomarica northiana). Photo: Raflinoer32

L’iris d’appartement (Trimezia northiana syn. Neomarica northiana) a été introduit dans les années 1920. Il ressemble à un iris par son feuillage ensiforme en éventail et ses fleurs éphémères bleu et blanc. Les feuilles émergent d’une tige aplatie ressemblant à une feuille ordinaire, mais après la floraison la tige continue de s’allonger et forme un bébé à son extrémité. Le poids du bébé fait pencher la tige et, quand il y a plusieurs tiges retombantes, la plante fait une jolie plante retombante. Je vois souvent cette plante dans les maisons, mais jamais en pépinière.

Pandanus

Et nous voilà maintenant rendus à mon pandanus, la plante que j’ai vue dans les vidanges l’autre jour. Cet arbre polynésien a abouti dans les serres de Veitch Nurseries d’Angleterre vers la fin des années 1800. Dans la maison, il forme une assez grosse plante aux feuilles linéaires arquées d’apparence vernissée, avec de petits crochets acérés à la marge et au revers de la feuille. Les feuilles sont panachées de blanc. La plante produit des racines aériennes assez impressionnantes… et une profusion de bébés qui émergent de sa base et à travers le feuillage. Encore une plante qu’on ne voit jamais en jardinerie, mais que je vois dans beaucoup de fenêtres quand je me promène à Québec.

Pensez-vous que j’ai laissé le pauvre pandanus dans les vidanges? En fait, oui: des fois, il faut être pratique et je n’avais pas besoin d’un si gros spécimen. Mais j’ai prélevé rapidement un bébé avant de continuer ma route et il est en train de s’enraciner chez moi. Et donc je vais, moi aussi, continuer d’assurer que cette plante se maintient de génération en génération, représentante noble d’un groupe sélect de plantes de patrimoine ignorées des pépiniéristes, mais adorées des jardiniers.

Êtes-vous propriétaire d’une «plante de patrimoine»? Si oui, j’aimerais bien le savoir.


Larry Hodgson a publié des milliers d’articles et 65 livres au cours de sa carrière, en français et en anglais. Son fils, Mathieu, s’est donné pour mission de rendre les écrits de son père accessibles au public. Ce texte a été publié à l’origine dans Le Soleil le 12 octobre 2012.

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