Ma première exposition aux pesticides s’est produite très jeune: je devais avoir à peine 5 ou 6 ans. Notre voisin immédiat avait appliqué un herbicide sur la pelouse devant sa maison. Mon père m’avait très bien averti de ne pas y mettre les pieds.
Je me souviens très clairement de la petite pancarte blanche apparue sur son terrain: un bonhomme barré d’un cercle rouge. Elle a tout de suite piqué ma curiosité. Je l’avais déjà vue ailleurs et, à mon souvenir, je la trouvais assez jolie. Enfant, j’étais même un peu content de la voir un peu partout en été, répétant gaiement que c’était du poison… sans trop comprendre ce que je disais.
Ce bonheur naïf n’a pas duré. Quelques jours plus tard, j’ai retrouvé l’un de nos nombreux chatons – à l’époque, on stérilisait rarement les chats – mort, tout près de la pelouse du voisin. La cause du décès sautait aux yeux: avant de s’éteindre, le petit avait vomi de l’herbe, le museau encore enfoui dedans. Je doute qu’il ait simplement fait une overdose de gazon.
Disons que, depuis ce jour-là, je me suis mis à détester ces petites pancartes… et mon voisin aussi, d’ailleurs. C’est peut-être pour ça que, quelques années plus tard, j’ai lancé des roches dans sa piscine. (Oui, je l’avoue, c’était moi!)
Nouvelles réglementations sur les pesticides au Québec
Le 21 juin 2023, le décret 990-2023 a été adopté par le gouvernement du Québec sur recommandation du ministre de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs. Ce décret modifie le Code de gestion des pesticides ainsi que le Règlement sur les permis et les certificats pour la vente et l’utilisation des pesticides. Il encadre plus strictement la vente et l’usage de pesticides, revoit certaines catégories de permis et de certificats et permet au gouvernement d’imposer des sanctions ou amendes en cas de non-respect des règles établies. Ces modifications sont entrées en vigueur à des dates variables: le 6 juillet 2023, le 6 juillet 2024, le 1er janvier 2025 et le 6 juillet 2025.
Qu’est-ce qui a exactement changé le 6 juillet 2025 dernier? Je ne vais pas entrer dans tous les détails qui concernent les professionnels ou les titulaires de permis d’utilisation de pesticides, mais plutôt me concentrer sur ce qui change pour nous, les citoyens et jardiniers amateurs.
Comprendre les classes et les annexes du Code de gestion des pesticides
Avant d’examiner les changements récemment entrés en vigueur, il est utile de comprendre le fonctionnement des classes et des annexes du Code de gestion des pesticides, qui précisent notamment quels ingrédients sont interdits.
Au Québec, les pesticides sont classés selon leur niveau de risque et les exigences réglementaires qui s’y rattachent. Les classes 4 et 5 sont à «usage domestique», donc les plus accessibles au grand public, car leur achat et leur utilisation ne nécessitent ni permis ni certificat. Les pesticides de classe 4 regroupent des produits de jardinage ou de lutte antiparasitaire à usage domestique courant, comme certains herbicides ou insecticides vendus en quincaillerie ou en jardinerie. Ces produits peuvent présenter un risque modéré, mais restent utilisables sans qualification formelle. Ceux de classe 5 sont considérés comme présentant un très faible risque; ils incluent les savons insecticides, biopesticides, le Bacillus thuringiensis kurstaki et la terre diatomée.
Le Code de gestion des pesticides comporte également plusieurs annexes qui listent les ingrédients actifs dont l’usage est restreint ou interdit dans certains contextes. L’annexe I énumère ceux interdits pour l’entretien des espaces verts (pelouses, plates-bandes, haies, etc.), même s’ils se retrouvent dans des produits de classe 4 ou 5. L’annexe II vise les ingrédients interdits sur les terrains de golf, sauf exception. L’annexe III concerne les produits interdits pour les plantes d’intérieur et l’annexe IV, ceux interdits pour la lutte antiparasitaire à l’intérieur des habitations.
Ainsi, même des produits d’apparence inoffensive, encore en vente il y a peu de temps, peuvent désormais être interdits s’ils contiennent un ingrédient actif ciblé par ces annexes. L’objectif de cette réglementation: réduire l’exposition des citoyens aux pesticides dans les milieux résidentiels, tout en protégeant la santé publique, la biodiversité et la qualité des sols.
Les types de pesticides
Le Code de gestion des pesticides du Québec classe les pesticides selon leur usage. Voici les principales catégories:
- Fongicides: produits qui préviennent ou traitent les maladies causées par des champignons (ex.: mildiou, taches noires).
- Insecticides: produits conçus pour tuer ou repousser les insectes nuisibles (ex.: pucerons, scarabées, chenilles).
- Herbicides: produits qui détruisent ou contrôlent les plantes adventices, incluant les antimousses.
- Rodenticides: poisons destinés à éliminer les rongeurs comme les rats et les souris.
- Autres pesticides: comprennent les régulateurs de croissance (qui modifient le développement des plantes), les adjuvants (qui améliorent l’efficacité d’autres pesticides) et les répulsifs (qui éloignent les animaux).
Pas juste pour la pelouse
Il était déjà interdit de vendre ou d’offrir en vente au détail un pesticide de classe 4 ou 5 contenant un ingrédient actif de l’annexe I, s’il était destiné à être appliqué sur des surfaces gazonnées. Cette interdiction a maintenant été élargie: elle s’applique non seulement aux pelouses, comme c’était déjà le cas, mais à l’ensemble des espaces verts – y compris les plates-bandes, les haies, les parcs et les jardins résidentiels. En d’autres mots, un plus grand nombre de produits accessibles au grand public ne peuvent plus être vendus ni utilisés à des fins ornementales extérieures, sauf exception précises prévues par la réglementation.
Autre changement important
Plusieurs ingrédients actifs ont été ajoutés aux annexes III et IV, ce qui signifie qu’ils sont désormais interdits à la vente au détail s’ils sont destinés à l’entretien des plantes d’intérieur (annexe III) ou à la lutte contre les parasites à l’intérieur des habitations (annexe IV).
Des produits comme l’Acephate Pro 75 SP (employé pour lutter contre les pucerons, les thrips et les fourmis), le Silencer d’Adama (insecticide utilisé contre les lépidoptères, les pucerons et les altises), le Sivanto Prime (qui cible les insectes suceurs comme les aleurodes et les pucerons) et l’OnGuard Professional P22 RTU (destiné au contrôle des insectes rampants et volants à l’intérieur et autour des bâtiments) font désormais partie des produits interdits à la vente libre au Québec depuis le 6 juillet 2025.
L’interdiction ne s’applique toutefois pas aux pesticides solides utilisés dans des pièges, des stations ou des contenants fermés qui empêchent tout contact avec les personnes ou les animaux non ciblés, comme c’est le cas dans un piège à fourmis ou une station d’appât fermée destinée aux rongeurs.
Pour une liste des changements et des nouvelles annexes, consultez le Règlement modifiant le Code de gestion des pesticides.
Perméthrine et pyréthrines aussi interdites
La perméthrine et les pyréthrines sont des substances insecticides très couramment utilisées, mais qui sont désormais interdites à la vente au détail pour certains usages au Québec depuis les modifications au Code de gestion des pesticides en vigueur à partir du 6 juillet 2025.
Bien qu’on les associe souvent à des solutions «naturelles» ou à faible risque, ces substances peuvent avoir des effets nuisibles importants sur l’environnement et la faune non ciblée.
Pyréthrines
Les pyréthrines sont des insecticides naturels tirés des fleurs du pyrèthre de Dalmatie ou de certains chrysanthèmes, notamment le chrysanthème de Perse (Tanacetum coccineum). Elles agissent rapidement en paralysant le système nerveux des insectes, ce qui les rend efficaces contre de nombreux ravageurs comme les pucerons, les fourmis ou les mouches. Toutefois, leur toxicité ne s’arrête pas aux insectes nuisibles: elles sont également très toxiques pour les abeilles, les poissons et autres espèces bénéfiques, ce qui soulève des préoccupations environnementales sérieuses si elles ne sont pas utilisées de façon responsable.
Perméthrine
La perméthrine, quant à elle, est une version synthétique des pyréthrines. Elle est plus stable et persiste plus longtemps dans l’environnement. Elle est présente dans divers produits, notamment les traitements contre les poux, les répulsifs pour les vêtements et les insecticides d’extérieur. Malgré son efficacité, la perméthrine est toxique pour les chats, les poissons et plusieurs insectes utiles.
La gamme Earthblends de Raid et plusieurs produits Safer, dont le End-All, font partie des produits contenant des pyréthrines qui ne seront plus en vente au détail à partir du 6 juillet 2025. À noter que Safer propose aussi des savons insecticides sans pyréthrines, considérés comme non toxiques.
Je crois que certains entretiennent des doutes quant à l’interdiction de l’usage domestique des pyréthrines, sous prétexte qu’elles sont d’origine naturelle. Pour ma part, je ne fais pas de distinction entre les pesticides biologiques et synthétiques: s’ils sont toxiques pour la faune, les humains ou s’ils nuisent aux écosystèmes, leur provenance m’importe peu. Ce sont des produits à bannir de nos jardins! Peut-être me direz-vous qu’il suffit d’en faire un bon usage… mais soyons honnêtes: si tel était le cas, nous n’aurions probablement même pas besoin d’un Code de gestion des pesticides.
Alternatives aux pesticides toxiques?
Puisque de plus en plus de pesticides toxiques sont retirés du marché, les jardiniers doivent se tourner vers des solutions plus durables et moins risquées. Cela commence par la prévention : choisir des plantes bien adaptées à leur environnement et naturellement résistantes aux insectes et aux maladies, favoriser la biodiversité et maintenir des sols en santé grâce au compost, au paillis et à la rotation des cultures.
La lutte biologique prend également de l’importance, avec l’introduction ou la protection de prédateurs naturels comme les coccinelles ou les nématodes, ainsi que l’utilisation de biopesticides tels que Bacillus thuringiensis, les huiles horticoles ou les savons insecticides sans pyréthrines. S’ajoutent à cela des méthodes mécaniques (filets, pièges, barrières, ramassage manuel) et des produits à faible impact comme les extraits végétaux, le soufre, le bicarbonate de soude ou encore la terre de diatomée — une poudre abrasive naturelle efficace contre plusieurs insectes rampants.
L’ensemble de ces stratégies s’inscrit dans une approche intégrée, où l’on observe, identifie et n’intervient qu’au besoin, en acceptant qu’un certain niveau de présence de ravageurs fasse partie de l’équilibre naturel. Pensez à la règle des 15 pas de Larry Hodgson : « Avant de traiter, reculez de 15 pas: si le problème n’est pas évident à cette distance, ce n’est probablement pas un problème qu’il vaille la peine de traiter! »
Les terrains de golf ne sont plus intouchables
Cette mise à jour restreint également l’usage de certains pesticides sur les terrains de golf, qui étaient jusque-là exemptés de plusieurs dispositions du Code. Je m’en réjouis, car de nombreux terrains de golf sont situés près de zones sensibles: milieux humides, lacs, rivières, zones de conservation ou même quartiers résidentiels. Or, les pesticides employés sur les verts et les allées peuvent facilement ruisseler vers les cours d’eau, affecter les écosystèmes aquatiques, ou contribuer à l’effondrement de la biodiversité dans les zones environnantes.
En encadrant de manière plus rigoureuse leur usage, le gouvernement du Québec envoie un signal clair: même les secteurs traditionnellement considérés comme «intouchables» devront désormais contribuer à la réduction de l’usage des pesticides et à la protection de l’environnement. C’est un virage écologique important – et bienvenu – pour une industrie qui était jusqu’ici peu contrainte sur ce plan.
Professionnels, agriculture et milieux sensibles
Le Code de gestion des pesticides du Québec autorise, sous conditions strictes, l’usage de certains pesticides interdits au grand public par des professionnels ou des personnes certifiées. Pour ce faire, les entreprises doivent obtenir un permis d’utilisation, et les individus, un certificat délivré par le ministère. Ces autorisations exigent une formation spécialisée et s’accompagnent d’obligations comme la tenue d’un registre, le respect rigoureux des conditions d’application et, parfois, l’obtention préalable d’une autorisation spécifique.
Ce cadre s’applique également au secteur agricole, où les producteurs certifiés peuvent continuer d’utiliser certains pesticides pour protéger leurs cultures contre les ravageurs, maladies ou mauvaises herbes, même lorsque ces produits sont interdits à la vente au public. En théorie, cet usage est encadré par des normes de sécurité strictes et par les principes de la gestion intégrée des ennemis des cultures (GIEC), qui privilégie les méthodes non chimiques comme la rotation des cultures, les filets ou les pièges. Mais dans les faits, on peut s’interroger sur l’efficacité réelle de ces mesures et sur leur application concrète sur le terrain, surtout lorsqu’il y a pression économique ou manque de suivi. La dépendance aux pesticides reste malheureusement bien présente.
Le Code prévoit également des exceptions pour des usages jugés prioritaires, comme la lutte contre les espèces exotiques envahissantes (par exemple la renouée du Japon ou le phragmite). Ces espèces peuvent menacer gravement les milieux naturels, l’agriculture ou les infrastructures. Des professionnels qualifiés peuvent donc appliquer des pesticides dans des contextes spécifiques, à condition de respecter des règles strictes pour éviter des effets indésirables sur la biodiversité ou la santé publique.
Pour l’amour des chats
C’est peut-être ce chaton mort dans l’herbe traitée qui a éveillé en moi, bien avant l’âge, une conscience écologique rudimentaire – ou du moins, une méfiance envers ces produits qui tuent en silence. Aujourd’hui, je suis soulagé de voir que le Québec renforce ses règles pour mieux protéger les humains, la faune, la flore et tout ce petit monde vivant qu’on oublie trop souvent.
Ces nouvelles restrictions ne sont pas parfaites, et plusieurs enjeux demeurent : par exemple, le glyphosate est encore permis à la vente au détail, malgré son interdiction dans plusieurs villes. Mais elles marquent un pas important: celui de reconnaître que, même dans nos jardins, chaque geste compte.
Alors si vous voyez encore une de ces petites pancartes blanches cet été, j’espère que vous aussi penserez à ce chaton. Et peut-être, comme moi, vous aurez envie de lancer une pierre dans la piscine de votre voisin… ou mieux encore, de cultiver un changement durable dans votre jardin. (Remarque : s’il vous plaît, ne jetez pas de pierres dans la piscine de votre voisin, je ne veux pas être tenu responsable!)
