Par Julie Boudreau
Il y a deux ans de cela, je commençais mon glorieux printemps avec en tête un grand projet d’expérimentation des variétés de sojas biologiques pour jardiniers. Je me suis procuré des échantillons de toutes les variétés accessibles aux amateurs de potagers, incluant quelques pois chiches. Mon intention était de comparer les variétés, d’étudier la facilité de culture, la productivité… Toutefois, ce projet fut un flop total… à cause d’un lapin.
Ma parfaite harmonie… brisée
Comme vous le savez déjà, j’aime jardiner en harmonie avec tous les organismes vivants qui visitent mon petit paradis. Je suis en paix avec les écureuils. Je n’ai pas de ressentiment envers les scarabées japonais qui dévorent mes feuilles de vigne. Et maintenant que des vivaces savamment placées cachent la base de mes lis, je ne me préoccupe plus des criocères du lis.
Dans ce bonheur le plus innocent, j’ai semé une planche complète avec de belles variétés de sojas et quelques pois chiches. Quelques jours plus tard, ça germe! Tout va bien! Je décèle déjà des variétés moins vigoureuses. Je prends des notes. C’est arrivé au stade des deux ou quatre vraies feuilles que le pire scénario catastrophe commence à prendre forme.
Une dizaine de plants ont perdu leurs feuilles. Il ne reste qu’un petit bout de tige, ce qu’on appelle communément un «coton». Mon premier diagnostic: un vers gris. Ce petit bûcheron des rangs de haricots est un expert de l’étêtage. Je cherche son repère, près des plants scalpés. Je creuse un peu pour le déterrer… rien.
Ce n’est pas mon premier rodéo. Je passe à l’action!
Rapidement, je ramasse des bouts de cartons et je confectionne de petites barrières physiques autour de quelques plants. C’est une technique bien efficace pour empêcher les vers gris de faucher les jeunes semis.
Mais les jours suivants, le carnage continue et en à peine une semaine… il ne reste plus rien. Rien qu’une forêt de «cotons». C’est alors que mon univers bascule… Il s’agit d’un nouveau visiteur. Un visiteur qui visite mon jardin, pour la première fois en 25 ans! Mais qui est-ce?
Détective Julie à la poursuite du mystérieux visiteur
C’est alors que je ressors des boules à mites de ma boîte crânienne toute la liste des mangeurs de plantes: chenilles diverses, coléoptères, tenthrèdes, souris, écureuils… Oh! Et les opossums de Virginie? Ça mange les plantes, un opossum? Pas tout à fait. Ce n’est pas mon coupable. Un lièvre? Impossible. Je ne vis pas en milieu forestier. Mais un lapin?
Comme ce serait curieux. Depuis toutes ces années, je n’ai jamais observé cet animal dans ma région et je vis beaucoup à l’extérieur! C’est alors que tout s’est mis en place. Je vis près d’une rivière boisée, adjacente à un grand parc urbain. C’est un habitat parfait pour les lapins! (Et pour les renards aussi. Eux, je les ai vus!)
L’enquête continue…
Puis, mon jardin est quand même un très beau garde-manger pour lapins, vu la grande diversité de plantes et ma pelouse remplie de trèfle blanc et de trèfle rouge. Le trèfle est un des aliments préférés des lapins. Ainsi, dévorer seulement les plantes de la famille des Fabacées, dont font partie les trèfles (Trifolium spp.), les haricots (Phaseolus spp.), mais aussi MES sojas (Glycine max) et MES pois chiches (Cicer arietinum) est tout à fait plausible pour un lapin. Les lapins aiment aussi se régaler de toutes ces graines tombées au sol, sous les mangeoires d’oiseaux.
Enfin, en regardant de près les dégâts, je remarque que tout est grignoté. Il ne reste pas de «miettes» au sol, ce qui serait typique d’un vers gris. Seul un glouton de lapin serait capable d’une telle table rase!
Pour confirmer sans l’ombre d’un doute que c’est un lapin. Il faudrait bien que je le voie! Et pour y arriver, eh bien, j’aurais à devenir un oiseau de nuit, car les lapins sont actifs du coucher au lever du soleil. Et me taper une nuit blanche juste pour voir un lapin manger mes plantes de soja n’est pas dans mes objectifs-vie de la semaine ni de l’année. (Mais, régler mon cadran à 3 heures du matin pour voir une lune rouge, ça oui!)
Lapin… mais quel lapin?
Donc, je pense que c’est un lapin. Je n’ai pas vu ni ne verrai ledit lapin. Il plane alors deux hypothèses dans l’air. Aurais-je un voisin qui a décidé d’élever des lapins, parce que c’est trop mignon, et qui, oups, en aurait échappé un ou deux dans la nature? Ou alors, s’agit-il de notre lapin indigène, le lapin à queue blanche (Sylvilagus floridanus) qui aurait décidé de s’installer dans la région?
Ce petit lapin sauvage, je l’ai observé des dizaines de fois au Centre de la Nature de Laval, où il est omniprésent. Il est un peu plus petit qu’un lièvre. Ses oreilles sont plus courtes. Ses pattes aussi. Et bien sûr, le dessous de sa queue est blanc, un peu comme l’est la queue du cerf de Virginie, ce qui lui vaut son nom de lapin à queue blanche. La particularité la plus caractéristique de notre lapin est que son pelage reste brun à l’année, alors que la fourrure du lièvre est blanche en hiver.
Ce joli petit lapin a un vif penchant pour le trèfle, le pissenlit, le plantain et la verge d’or, toutes des plantes présentes dans mon jardin. Et il affectionne également les légumes du potager! Pour ma part, je vous confirme son amour inconditionnel pour le soja et les pois chiches!
Actif aussi l’hiver, il se tourne alors vers les tiges souples des érables, des bouleaux, des pommiers, des chèvrefeuilles, des viornes et des pruniers. Quelle belle coïncidence! Car, juste au-dessus de la neige, quelqu’un a grignoté l’écorce de mon petit cerisier.
Et si je ne voulais pas partager avec ce lapin?
De mon côté, le mystère est résolu et j’aurai à apprendre à partager mon jardin avec ce nouveau visiteur. Je sèmerai moins de légumineuses au potager et j’en sèmerai plus en pot sur le patio. Je vais continuer d’encourager le développement de mes talles de trèfles, histoire de lui procurer un choix de menu plus alléchant que mes légumes. Et la vie va continuer son chemin dans mon petit écosystème de banlieue.
Mais, si j’avais à intervenir, je commencerais par ériger une barrière physique, en grillage métallique qui ferait tout le tour du potager. C’est d’ailleurs la meilleure manière de les tenir à l’écart. En général, une barrière d’environ 60 cm de hauteur est efficace, mais j’ai lu dans quelques ouvrages une recommandation à 1,2 mètre de haut. Je trouve cela bien excessif et je sais par expérimentation qu’un simple bout de broche à poule déposé sur mes jeunes repousses de sojas a réussi à limiter les dégâts. Des protecteurs de troncs autour de jeunes arbres les plus sensibles peuvent aussi protéger contre des dégâts irréversibles.
Dans le département des recettes de grand-mère, le poivre de cayenne semblerait efficace. Mais c’est dans le livre Squirrel Wars de George H. Harrisson (pas celui-là, l’autre) que j’ai trouvé le truc le plus improbable: entourer son jardin de pots Mason remplis d’eau colorée en rouge!
Trouver du positif dans tout ça
Non. Rien de rien. Non. Je ne regrette rien! Car mon nouvel invité m’a appris beaucoup. D’abord, la résilience du soja et des pois chiches. Alors qu’un haricot qu’on couperait net à hauteur de feuilles est quasi voué à une mort certaine, ce ne fut pas le cas des plantes de sojas et des pois chiches. De ces petits «cotons» sont éventuellement sortis de nouvelles feuilles et éventuellement de nouveaux plants! Cela m’a aussi appris que les lapins sont de fins renards: ils savent que s’ils tuent la plante, ils se privent de nourriture. Alors, ils en mangent juste assez. Juste assez pour que la plante repousse et forme de nouvelles et succulentes feuilles.
Dans mon jardin, pour l’instant, le lapin ne présente pas de véritable enjeu, mais je serais bien curieuse d’entendre vos histoires d’horreur concernant les lapins. Partagez également vos meilleurs trucs pour les éloigner.
