Ephedra: remède, ou poison?
Approchez, approchez! Le quatrième spectacle de la série d’Halloween est sur le point de commencer au Grand cirque végétal du Jardinier paresseux! Prenez place, détendez-vous, et laissez-vous captiver par la découverte du jour!
Ce numéro présente une plante assez ordinaire. Enfin… quand on la regarde, elle n’a pas le charisme de l’actée blanche ou de l’Hydnora, mais elle reste extraordinaire dans les faits qui ponctuent sa biologie et son histoire.
Après la rapidité, l’étrangeté et la dangerosité des dernières semaines, laissez-moi vous présenter la fascinante histoire de ce conifère sans feuilles ayant sauvé, mais également pris des vies: l’Ephedra
Je crois, messieurs dames, que nous avons l’affiche gagnante: c’est celle qui représente le MOINS la plante demandée! C’est toujours un plaisir de rire des bourdes de l’IA!
Une plante grasse ou un conifère?
Il est vrai qu’au premier coup d’œil, on pourrait la confondre avec un Rhipsalis, de la salicorne, ou encore certains poinsettias, mais je vous promets que cette plante désertique n’est autre qu’Ephedra, un digne membre des conifères!
Quoi? C’est l’Halloween qui s’en vient, pas Noël! Chacun a droit à son déguisement: si un sapin veut être un cactus, grand bien lui fasse! Dans ce cirque, tout est permis!
On retrouve les 70 espèces du genre Ephedra dans les régions arides et semi-arides de plusieurs continents: en Amérique du Nord et du Sud, en Europe, en Afrique et en Asie. Buisson rampant, elle ressemble aux autres plantes grasses qui vivent dans ces régions et ne se démarque pas trop… Mais quand on sait que c’est un conifère, avouez que ça a de quoi intriguer!
Les feuilles d’Ephedra sont très réduites, voire inexistantes. Elles ne font aucune photosynthèse, c’est plutôt la tige verte qui s’en occupe. Cette adaptation lui permet de limiter au possible la perte d’eau, un point essentiel quand on vit dans un milieu tellement sec que tout n’est que vent et poussière…
Si les fruits sont des cônes, comme les autres conifères plus épineux que nous connaissons, il y a en Europe, deux espèces surnommées «raisins de mer» qui font des écailles charnues comestibles. En regardant les pommes de pin que nous avons au Québec, il est assez difficile de s’imaginer en manger les écailles…
Mais voici, pour vos yeux ébahis, un spécimen mûr de cône de raisin de mer, prêt à la consommation. Plutôt loin de nos bonnes vieilles cocottes de pin!
Pourquoi le nom de «raisin de mer» s’il s’agit d’une plante de milieu aride? Parce qu’elle pousse exclusivement près des côtes sablonneuses et des dunes créées par les vents du large. Eh oui, les zones arides et désertiques peuvent aussi être des zones côtières. Le «raisin de mer» joue d’ailleurs un rôle primordial en solidifiant ces dunes: profondément enraciné et courant sur le sol, il les protège des vents qui les effriteraient et leur permet de jouer leur rôle de barrière.
Bien sûr, jusqu’ici cette plante n’est pas pas siiiiii étrange! Mais ce qui la rend digne d’être une vedette d’Halloween, c’est à cause d’une molécule qui a été découverte dans cette plante. Une molécule aujourd’hui bien répandue dans les médicaments… mais aussi sur le marché noir! Peut-être avez-vous déjà entendu parler… de l’éphédrine?
La molécule qui sauve des vies
Utilisée dans plusieurs médecines traditionnelles, l’Ephedra a été très étudiée également dans la médecine moderne. Évidemment, chers spectateurs, les différentes molécules présentes dans les différentes espèces ont toutes leurs particularités. Par exemple, les espèces de raisin de mer sont plus pauvres en éphédrine que les espèces asiatiques, heureusement pour les consommateurs réguliers de raisin de mer!
Mais loin de moi l’idée de vous assommer avec des chiffres ou des noms de molécules complexes, je me contenterai donc de survoler l’histoire de cet alcaloïde salvateur, et dévastateur.
En un seul mot: l’éphédrine est un stimulant. Elle accélère le rythme cardiaque et augmente la production de chaleur. Le métabolisme et l’activité cérébrale augmentent à sa consommation. Elle a aussi un effet vasoconstricteur sur les vaisseaux sanguins. Autrement dit, elle réduit de diamètre des veines, ce qui augmente la pression du sang. Ceci permet par ailleurs de dilater des bronches et de faciliter la respiration.
Voyez-vous tous les bienfaits que cette molécule miracle peut avoir?
Pensons tout simplement aux affections qui encombrent les bronches: l’asthme, les bronchites, les allergies… ou même une simple congestion nasale due à un banal rhume!
D’autres pathologies ou circonstances nécessitent l’augmentation de la pression artérielle, en particulier lors d’efforts soutenus ou marqués. Présente dans plusieurs suppléments, l’éphédrine aide les efforts physiques et mentaux sur de longues durées. En fait, son effet dure environ cinq fois plus longtemps que l’adrénaline, ce qui, dans le cas des sportifs ou des personnes ayant du mal à se concentrer, est d’une utilité certaine.
Notons également une action coupe-faim, qui, additionnée à l’effet de production de chaleur, induit une perte de poids. Eh oui! Les suppléments d’éphédrine font maigrir! Mais à quel prix, cher public, je vous le demande!
Le côté sombre de l’éphédrine
Ne vous y trompez pas: la pilule magique pour maigrir n’existe pas. Enfin… pas celle qui est sans danger! Car, voyez-vous, le corps produit de la chaleur lors d’activités physiques en «brûlant» des calories. Cette chaleur est ensuite évacuée par la peau, le sang qui circule dans le corps étant le véhicule qui distribue cette chaleur.
Si l’activité est trop intense, on peut toujours ralentir et faire une pause pour cesser la production de cette chaleur. Mais si c’est une drogue qui circule dans notre corps, comment l’arrêter?
Oui, des consommateurs de suppléments d’éphédrine sont morts, le corps en surchauffe, comme une fièvre impossible à arrêter…
Ces suppléments minceur sont interdits dans plusieurs pays depuis les débuts des années 2000.
Mais ceux souhaitant influencer leur poids ne sont pas les seuls à avoir découvert le côté sombre de l’éphédrine! Des athlètes souhaitant améliorer leurs performances ont eu leur lot de complications, et c’est maintenant une substance interdite dans plusieurs domaines et compétitions sportives.
Oh, et qui dit dopage parle de drogue, et l’éphédrine entre dans la composition de plusieurs méthamphétamines. Après tout, c’est une plante assez commune, facile à trouver… et à ajouter un peu n’importe où! À cause de cet aspect peu reluisant, l’Ephedra est une plante interdite à l’exportation.
Est-ce que ça signifie qu’il n’y en a nulle part sur le marché? Bien sûr que non: l’éphédrine est à présent synthétisée en laboratoire et ses propriétés pour la santé représentent des avantages non négligeables. Prise en quantité contrôlée, sous prescription, le danger est bien moindre.
Lisez-vous bien les posologies de vos pompes, madame qui tousse au quatrième rang? Et vous, mon cher jeune homme aux épaules de gorille, savez-vous ce qu’il y a dans vos suppléments de sportif? Oui… probablement de l’éphédrine.
Et vous tous, qui êtes diabétiques, avez des troubles cardiaques, ou de la thyroïde? Méfiez-vous! Il se peut que l’éphédrine interagisse avec votre condition ou vos médicaments. Qui aurait cru qu’une plante qui peut être si inquiétante soit pourtant dissimulée dans des flacons de pharmacie?
Dans le radar des autorités de la santé
Dans le cirque, comme dans le monde, dès qu’un numéro se termine, on se penche sur le suivant. Alors que l’Ephedra tirait sa révérence dans le monde de la perte de poids, une autre plante commençait lentement son ascension. L’orange amère, fruit du bigaradier, contient une substance nommée synéphrine et elle démontre des effets semblables. Efficace, mais tout aussi dangereuse, l’orange amère pourrait bien être la prochaine plante bannie de la vente libre.
Après tout, si l’éphédrine figure sur la liste des médicaments essentiels de l’Organisation mondiale de la Santé, la synéphrine, elle, n’y est pas. Un ajout à faire, ou une molécule à bannir? Ce n’est certes pas ici, dans ce cirque, que nous trancherons!
Méfiez-vous seulement des produits miracles, messieurs dames, c’est tout ce que je vous recommande, et ce, en toute humilité…
Bien sûr, vous ne trouverez pas de spécimen végétal d’Ephedra à la jardinerie du coin, et l’Agence des services frontaliers du Canada intercepte tout ce qui en contient. Ce n’est pas la peine d’espérer en avoir un plant chez vous… sauf si vous habitez le Vieux continent, évidemment.
Ce contrôle rigoureux est à la fois une chance et une malchance. Une chance que cette substance soit si bien contrôlée, mais une malchance pour le jardinier amateur qui aurait voulu vanter son beau conifère de salon à faible entretient. En toute honnêteté, votre maître de scène étant elle-même, vous vous en doutez, une amoureuse des plantes aux attributs hors normes, je dois dire que je suis assez déçue de ne pouvoir posséder un spécimen en dehors de mon cirque.
Mais c’est là toute la beauté de nos rencontres, n’est-ce pas! Elles vous font sortir de l’ordinaire, sont intrigantes, mystérieuses…
La semaine prochaine, pour le 31 octobre, soyez avec nous pour l’apothéose, la grande finale de cette série. Je vous promets du jamais vu, de l’inexploré, et des émotions tout à fait contradictoires. Le tout dernier de nos spécimens vous en mettra plein la vue avec son originalité, ses couleurs, son mode de vie… et ses visiteurs!
Soyez-y pour l’ultime numéro du Grand cirque végétal du Jardinier paresseux!
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J’aime bien cette série sur les plantes … étranges, vous écrivez bien, c’est intéressant. Bravo !
J’adore!
J’aime bcp cette série moi aussi! Très instructive …. Et étraaaannngeee! 😉
Très bien expliqué avec en plus une pointe d’humour et photos à l’appui. . Félicitations et mercis beaucoup.
Toujours aussi délicieux de te lire.
Merci.
Merci pour ce petit moment de détente tout en humour. La meilleure façon d’apprendre!
Je ne manquerai certainement pas ce prochain rendez-vous ! La grande finale sera… succulente ? À voir, ou plutôt à lire, le 31 octobre.
Ouf! Hélène, vous devez absolument vous souvenir de ce commentaire en lisant l’article de la semaine prochaine : ça prendra un tout nouveau sens hahahaha !!!
Super Audrey, continue ton oeuvre de nous instruire! d’une façon ludique!
J’ai fait un clin d’œil à ma pompe pour l’asthme ce matin. Si elle savait ce que j’ai appris à son sujet ce matin… Merci Audrey pour vos articles toujours si instructifs et tellement ludiques.
Je me suis luxée la cheville le 3 octobre et je suis en convalescence et j’adore vous lire! En plus, la musique est coordonnée avec la lecture bravo! ?
Merci Audrey pour ce numéro d’équilibriste végétal! J’ai une question cependant : l’orange amère dont vous parlez est-elle l’orange de Séville (déjà difficile à trouver sur les marchés) (et parce que je tiens à ma marmelade)?!
Oui, c’est effectivement un autre nom donné à cette agrume! Soyez prudent si vous en consommez beaucoup et que vous prenez des médicaments, parlez en à votre médecin dans le doute.
Chère Audrey si créative, tu m’épates et m’instruis à chaque lecture de tes textes si songés! Je les attends d’une semaine à l’autre!
J’ai hâte de voir ton déguisement le 31!
Toujours intéressant merci pour cette série d’excellent reportage
Articles toujours aussi bien écrits et passionnants, merci.
J’aime toujours vous lire . dans ma jeunesse je voulais être biologiste mais ça ne s’est pas fait .Mais je suis devenue dessinatrice et mon amour des plantes est toujours la . Et mon fils est paysagiste . J’habite le “vieux ” continent et je n’ai jamais vu cette plante . Je vais chercher ou la trouver .A bientôt