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Un prédateur plus rapide que l’oeil: l’utriculaire

Enfin, le mois d’octobre! Êtes-vous prêts pour ma traditionnelle série d’Halloween? Après les animaux mal aimés au jardin en 2022 et les plantes empoisonnées en 2023, j’avais de la pression! Mais j’ai trouvé, je crois, le sujet idéal pour ma série de 2024: les plantes étranges, dignes du cirque Barnum ou d’un musée des horreurs.

Ce mois d’octobre sera rempli de curiosités et d’étonnement alors que je vous invite au grand cirque végétal du Jardinier paresseux!

Mais ce n’est pas tout! Pour vous mettre dans l’ambiance, je vous propose des articles avec des trames sonores spécialement choisies pour chaque vedette. Lancez donc la mélodie, et laissez-vous émerveiller, horrifier – ou quelque chose entre les deux – par ces originales du monde végétal…

La plus vorace des plantes

On commence en force avec une plante carnivore. En soi, ces plantes sont déjà des originales dans le règne végétal, mais celle dont je veux vous parler aujourd’hui détient un record jusqu’alors inégalé. Messieurs dames, cette plante ne dresse pas de lion, n’est pas la femme avec la plus longue barbe au monde, et n’avale pas de sabres… Son record est encore plus impressionnant!

C’est la plante qui bouge le plus rapidement au monde!

Votre maître de scène appelle sous vos yeux ébahis, sortie tout droit d’un milieu humide quelconque, et haute de quelques centimètres seulement… l’utriculaire!

L’intelligence artificielle ne sait pas écrire, ni ce qu’est une utriculaire, mais je lui donne un point pour l’effort! Voici notre vraie vedette:

Innocente sous ses airs fleuris, si petite qu’elle passe inaperçue, elle se retrouve pourtant sur tous les continents, sauf l’Antarctique. Avec plus de 200 espèces, il n’est pas surprenant qu’on la rencontre en différents coloris: jaune criard, blanc immaculé, bleu saphir, violet délicat, ou rouge éclatant. Mais si ses couleurs flamboyantes attirent le regard des pollinisateurs, ce n’est pas ce qui trompe ses proies, car voyez-vous, c’est généralement sous la surface que cette originale capture son repas à la vitesse de la lumière…

Sous la surface, le piège

Photo: jeffpavlik

Passé son mignon minois, plongez sous son reflet, mais gardez bien vos distances, chers spectateurs, car le danger rôde. Les grands botanistes de ce monde ont qualifié le piège de l’utriculaire comme étant le plus sophistiqué du monde végétal.

Photo: olga_chernyagina

Ne vous laissez pas abuser par ces longs filaments entremêlés: ce ne sont pas des racines. Ce sont en fait des stolons, des tiges horizontales qui connectent les plants entre eux. Une cachette idéale pour les animaux aquatiques, ces stolons? C’est ce qu’ils veulent vous faire croire! Ceux-ci sont les dignes porteurs de l’outil meurtrier qui permet à la plante de capturer ses proies.

Photo: Michal Rubeš

Ayant la forme de haricots ou de sacs, ces pièges aux membranes translucides produisent des substances collantes et sucrées dignes des meilleures sucreries de ce cirque. Mais qui se méfierait d’un stand de barbe à papa? Intriguées, les proies s’avancent vers ce qu’elles imaginent leur prochain repas. Des fils souples, comme des antennes ou des tentacules, sont là, dans le chemin, comme la file d’attente pour se procurer une sucrerie. Rien d’alarmant, rien de dérangeant…

Mais quand on s’impatiente, et que la promesse d’une odeur de sucre flotte dans l’air, l’envie de s’approcher devient plus forte. Et voilà qu’on bouscule accidentellement une antenne…

Si vous étiez en file pour votre crème glacée, quelques excuses, et tout serait pardonné… Mais l’utriculaire, elle, ne pardonne pas. À peine le temps de réaliser (ou pas!) qu’une de ces antennes a été frôlée, et voilà la pauvre proie aspirée dans le piège, qui s’est déjà refermé.

Déjà? Oui, mesdames, messieurs, car la plus rapide plante au monde referme ses pièges en 0,01 seconde.

Comment ça marche?

Le mécanisme de ces pièges est très ingénieux. Contrairement aux autres plantes carnivores, comme la dionée, qui doivent activement bouger pour refermer un piège, l’utriculaire n’a nullement besoin de bouger, l’action étant purement mécanique.

Ses pièges sont formés de petits sacs qui sont vidés de leurs liquides par les parois cellulaires du sac. Ce phénomène osmotique est la même chose que de vider un verre d’eau en y plongeant l’extrémité d’un essuie-tout. Une fois le piège vide, l’ouverture est close, comme une bouche fermée.

Tout autour de cette «bouche», les antennes n’attendent qu’un contact. Les déranger dérange également l’étanchéité de l’ouverture, ce qui provoquera une succion aussi rapide que fatale.

Image: Petr Dlouhý

Je sais, pour des non-végétaux comme nous, cette réalité est difficile à imaginer, mais permettez-moi de vous faire VIVRE le fonctionnement du piège. Fermez vos lèvres et appliquez une légère pression négative, comme si vous tentiez d’inspirer par la bouche. Avec votre doigt, tirez doucement, très légèrement sur l’une de vos lèvres. Dès qu’un minuscule trou apparaît, une succion surprenante fera s’engouffrer l’air dans votre bouche!

Une fois la proie prise au piège dans ce sac devenu plein d’eau, la bouche se scelle à cause de la pression. Essayez de gonfler vos joues: vos lèvres sont comprimées et serrées l’une contre l’autre. Impossible de gonfler les joues en laissant la bouche «molle». Impossible pour la proie de ressortir par où elle est entrée.

La proie est lentement digérée, le piège se vide de son eau qui s’échappe par les parois, se préparant sans presse pour sa prochaine victime… Sans presse… d’ici 15 à 30 minutes!

Mais ne vous en faites pas! Votre maître de scène est en contrôle de ses plantes, et sachez que vous ne risquez rien dans mon cirque végétal. Enfin… à moins que vous ne soyez une paramécie, ou toute autre créature aquatique de moins de quelques millimètres!

Photo: zeebes

Sur terre comme dans l’eau

Si seulement 20 % des espèces sont pleinement aquatiques, 80 % sont terrestres. Ne les cherchez pas dans les milieux secs cependant, l’utriculaire a besoin d’un sol bien humide, voir inondé quelques jours par année pour faire fonctionner ses pièges. On la retrouve donc dans les marais ou les tourbières.

En zones tropicales, certaines espèces ont même évolué pour vivre sur les arbres, dans les fourches humides des branches ou les crevasses moussues des troncs. En réalité, bien que ses pièges aient besoin d’eau ou d’humidité, la plante en reste si petite qu’elle peut s’installer aux endroits les plus improbables et profiter d’une quantité infime de liquide. Il est fort possible que vous en ayez déjà vu sans les voir.

Un si vorace et efficace prédateur, si petit et innocent qu’il en est invisible… Quel mignon petit cauchemar que cette plante, non?

Photo: megaplumosa

Chers spectateurs, ici se termine notre démonstration pour aujourd’hui. Je sais, je sais, c’est bien triste, mais notre vedette doit retourner en coulisses pour reprendre sa chasse.

Je vous invite à ramasser vos effets et à suivre les guides vers la sortie du chapiteau du côté de la section des commentaires. Pour ceux qui le souhaiteraient, les photos prises pendant que vous faisiez des grimaces seront disponibles à la sortie, et la boîte à don est sur votre droite.

Revenez-nous la semaine prochaine pour l’exposition d’un tout nouveau spécimen du grand cirque végétal du Jardinier paresseux!


  1. Vos séries d’Halloween sont instructives et hilarantes et en général vos articles sont vraiment très agréables, merci de nous éduquer tout en s’amusant.

  2. J’aime beaucoup vous lire; c’est un petit bonheur matinal. J’apprends et je ris. Très contente que vous fassiez partie de l’équipe d’auteurs du Jardinier paresseux.

  3. Quel beau parallèle entre la flore et le cirque! Vous êtes très imaginative!

  4. Thank you for your very enjoyable and fascinating articles!

  5. Ton écriture est tellement ludique!
    Lire ton article sur cette musique, excellente ambiance!

  6. J’adore vos articles, c est drôle et très instructif.
    J’ai une utriculaire et je n’avais jamais trouvé des aussi bonnes explications pour le fonctionnement de ses pièges, merci beaucoup!

  7. Rire, apprendre et frissonner d’horr….euh, de plaisir, quelle magnifique façon de commencer la journée! Merci pour votre belle plume et pour votre fabuleux humour!

  8. Wow vraiment j’ai adoré votre chronique telle une histoire d’épouvante ! Et avec l’ambiance sonore en accompagnement c’était magique ! Belle découverte pour moi cette famille de plante, d’ailleurs j’en apprend un peu plus à chaque lecture. Grand bravo et j’ai hâte à la suivante.

  9. Chère Audrey, pour un moment, le temps de lire ton article tout droit sorti du cirque des ténèbres, je suis redevenue une petite fille de 7 ans (Il faut ajouter un zéro à côté du chiffre pour trahir mon mon âge) complètement absorbée par l’histoire de cette plante avaleuse et de la triste fin pour la visiteuse. Houuuuuuuu! Je frémis de bonheur à l’idée que je découvrirai d’autres plantes horribles tout au long de ce mois d’octobre. Merciiiiiii!

  10. Très drôle, mais surtout instructif. Merci pour ce beau texte!!!

  11. Quel plaisir matinal de vous lire, Audrey! Votre imagination et votre sens du comique me fait sourire chaque fois ! Merci.

  12. J’adore ton imagination! J’étais presque certaine que c’était une « pogne » !!

  13. J’adore ta plume colorée! C’est toujours divertissant de te lire. Et que dire de la musique, franchement bravo ? C’est une idée géniale.
    Tu devrais songer à écrire un livre horticole. Ça sortirait vraiment des sentiers battus. En tout cas, je serais la première à l’acheter c’est certain ?

  14. WOW! Quel travail! La recherche, la mise en scène, le texte intéressant et très bien monté, jusqu’à la trame sonore de circonstance :). Bravo! Vous vous donnez à fond dans vos projets. MERCI, merci.

  15. Article très intéressant et beau choix de musique. Mais cette plante minuscule carnivore de paramécies ne fait pas vraiment peur, au contraire! Bel effort tout de même Audrey. Bonne continuation!!!

  16. Au-delà de vos contenus toujours intéressants, votre plume est un rayon de soleil le matin. Merci.

  17. J’aime beaucoup votre façon de nous  »éduquer » avec humour et un peu d’intrigue. Bravo!

  18. Waouw bravo pour l’ensemble!
    Félicitations

  19. Vraiment intéressante. Merci Audrey.

  20. j’adore le début de cette nouvelle série thématique Halloween! A la fois intéressant et tellement instructif. J’ai bien aimé mettre la petite musique d’ambiance pour la lecture 😉

  21. Cet article est complètement génial! merci merci merci. Quelle petite plante extraordinaire. et l’explication de la bouche totalement appropriée. Et la musique durait exactement le temps requis pour la lecture. je suis arrivée à la fin de la première partie juste comme la musique arrêtait. Meme chose à la fin. J’en ai des frissons… j’ai déjà peur pour la semaine prochaine…

  22. Vos articles sont passionnants et et délicieusement humoristiques! MAIS OÙ TROUVEZ-VOUS TOUTES CES MUSIQUES BIZARRES?