Dans le jardin de mère Nature: l’ail des bois
Gros sujet sensible en vue: une plante vulnérable à la récolte, réglementée au Québec, mais pas en Ontario, et dont la présence est classée top secret… L’ail des bois.
Il est difficile de trouver de l’information sur cette plante parce que sa récolte est mal vue. Pourtant, je suis d’avis que plus on parle du problème, plus on sensibilise les gens.
J’ai écrit des textes sur différents parcs ou réserves naturelles et les responsables me disaient, tous fiers: «On a de super talles d’ail des bois! Mais ne le dis pas dans ton texte, on ne veut pas que les gens viennent en cueillir!»
Je comprends tout à fait que les réserves ne souhaitent pas parler de leurs plantes comestibles, c’est tout à fait logique de vouloir les protéger ainsi. Il ne faut jamais rien cueillir dans les espaces protégés, ail des bois ou non. Mais ailleurs, si on en voit, est-ce mal?
Pas si on fait bien ça!
Je vous invite donc à lire cet article et à apprendre comment bien cueillir cette plante, mais aussi à apprendre à bien partager l’information si jamais le sujet arrive dans une conversation avec vos amis.
«Ail des bois, on en a aussi en Europe!»
Oui, mais ce n’est pas la même espèce. Au Québec, nous avons Allium tricoccum, alors qu’en Europe, l’ail des bois (ou ail des ours, ou ail sauvage) est en fait Allium ursinum. C’est assez mélangeant que les deux espèces aient le même nom commun. Votre espèce n’a pas de statut de protection (et donc j’imagine qu’il est moins tabou d’en parler), mais se consomme de la même façon que notre ail des bois, les graines, fruits et fleurs en plus!
Ma première fois avec l’ail des bois
Je commence avec une anecdote. Si vous n’êtes pas familiers avec le monde de la récolte sauvage, vous devez comprendre l’ambiance qui règne autour de cette divinité sacrée et intouchable qu’est l’ail des bois…
Époque: COVID.
Nouvelle passion: cueillette sauvage.
Lieu: sentier naturel où la cueillette est autorisée.
Sac à dos à l’épaule, nos livres d’identification entre les mains, mon conjoint et moi-même nous promenons à la recherche de champignons. C’est un après-midi magnifique, mais il y a peu de gens dans le sentier. Soudain, au détour du chemin, j’entends mon conjoint dire: «Ail des bois?»
Non. Impossible! Il y en a trop! Le sentier passe en bas d’une grande côte escarpée, boisée qui est COUVERTE de ces jolies feuilles d’un beau vert tendre. Ça ne peut pas être ça, tout le monde en fait toute une histoire, que c’est rare et protégé, et là, sans même en chercher, on trouve une immense talle? Ben non!
On cueille une feuille et on goûte; aucun doute possible, ça goûte l’ail!
En biologiste responsable, je décide donc d’en ramasser quelques bulbes pour les transplanter chez moi, histoire de créer une nouvelle colonie de cette plante rare et protégée.
Mais voilà, c’est de l’AIL DES BOIS, pas n’importe quelle plante! Et si quelqu’un nous voyait? Et s’il décidait de revenir et de tout ramasser?
Alors, je fais le guet. Je regarde le livre d’identification d’un air très intéressé, pendant que mon copain se met à quatre pattes et déterre délicatement quelques bulbes, prêt à retirer ses mains de la terre au moindre signe d’un passant.
Tout va bien, personne en vue…
Puis, je lève les yeux.
En haut de la cote, il y a des maisons. Elles sont parfaitement visibles au printemps puisqu’il n’y a pas de feuilles dans les arbres. Et là, sur son balcon, quelqu’un est dehors… et nous observe. En robe de chambre. Les bras croisés. Légèrement penché vers l’avant. Du feu dans les yeux (même de loin, je le voyais!).
– Il y a quelqu’un en haut. Vite!
– J’ai presque fini.
– Vite!
– Il va appeler la police, tu penses?
– Non, mais peut-être sortir un fusil de chasse de ses pantoufles!
Terrifiés, on met nos deux ou trois bulbes dans un sac et on s’en va d’un pas relax, mais vraiment rapide… loin du feu du regard de l’homme en robe de chambre.
Deux conclusions ici:
- On n’était pas illégaux du tout. En fait, la loi québécoise autorise la récolte de 50 bulbes d’ail des bois par personne, par année. On le savait, mais la réalité est que cette cueillette est tellement controversée qu’on se sent mal quand même!
- Ce monsieur, que je salue s’il fait partie des lecteurs, est ridicule! Pardonnez-moi, mais je ne peux m’empêcher de vous imaginer, dans votre salon, devant votre fenêtre, en pyjama, à surveiller l’ail des bois du sentier public d’à-côté… En attendant d’aller intimider les pauvres cueilleurs qui OSERAIENT prélever quelques bulbes.
Un chihuahua fâché et prêt à mordre pour défendre son territoire, mais avec un petit manteau rose à paillettes et dans les bras d’une maman qui fait des «chut chut» avec un grand sourire. Ça et le monsieur: pareils! Je suis vraiment désolée, mais avec du recul, c’est plus drôle qu’intimidant!
La controverse
Le statut de protection «vulnérable à la récolte» est attribué à plusieurs plantes afin de les protéger d’une surexploitation. En effet, si les gens se mettent à ramasser les talles entières, à les vendre, à en faire des conserves… eh bien, oui, l’ail des bois pourrait en souffrir énormément. Si des braconniers s’y mettent, oui, encore une fois, c’est mauvais.
Mais si quelques cueilleurs en ramassent pour leur consommation personnelle, par-ci, par-là… Ça va, on ne parle pas des derniers pangolins non plus! Dans ma région en Estrie, c’est même assez courant comme plante. J’en connais plusieurs grosses talles à distance de marche de chez moi.
La loi québécoise interdit le commerce de cette plante et, comme je le mentionnais plus haut, la cueillette est limitée. J’en mange tous les ans et je n’ai jamais récolté un seul bulbe (excepté la fois citée plus haut, et je ne suis pas certaine que ça compte puisque je les ai replantés!).
La cueillette d’ail des bois et sa vente sont cependant permises dans la province voisine. Il y a quelques années, un restaurant du Québec proposait des plats avec de l’ail des bois et c’était «correct» d’un point de vue légal puisqu’ils avaient été achetés à côté, en Ontario.
Dans tous les cas, je ne crois pas que les bulbes d’ail des bois soient nécessaires: les feuilles sont très goûteuses en soi et leur cueillette responsable n’endommage en rien les populations sauvages.
Un cycle de vie très long
Sans rentrer dans les détails, l’ail des bois prend près de 10 ans avant de faire une fleur et se reproduire. C’est très long! C’est l’une des raisons pour lesquelles cette plante est si fragile à la récolte: avant que la talle ne se régénère, des décennies sont nécessaires!
En comparaison, l’espèce européenne fleurit tous les ans. C’est peut-être la clé qui rend cette plante moins rare.
Heureusement, le bulbe peut se diviser et créer des clones, c’est ce qui mène à l’apparition d’une talle. Les graines doivent être dispersées par les animaux (qui les mangent et les défèquent plus loin) pour créer de nouvelles talles.
Le temps nécessaire à sa reproduction rend l’ail des bois pratiquement impossible à cultiver de manière durable et rentable. C’est pourquoi il n’y a pas de version «légalement» achetable au Québec: il n’y a aucune culture, ce sont seulement des individus sauvages.
Cueillette responsable
Je vous l’ai déjà dit et je le répète: pas besoin de cueillir le bulbe, les feuilles suffisent. Mais ce n’est pas tout. Comme chaque plant ne produit que deux feuilles, il est impératif de n’en prendre qu’une seule par plant, sans quoi la plante ne pourra pas faire de photosynthèse et risque même de mourir.
Ne cueillez pas dans les endroits protégés (ça va de soi!)
Faites attention à ne pas piétiner les plants. Ce serait bien dommage de laisser une feuille, puis de marcher dessus.
Les fleurs, graines et fruits de la version européenne sont également comestibles, mais je ne m’y connais pas trop… Après tout, c’est plus loin qu’à distance de marche de chez moi pour aller en chercher!
Utilisation
Les feuilles sont très goûteuses et s’utilisent comme des fines herbes. Elles agrémentent bien les salades et font un bon ajout sur les plats chauds (sur des pâtes aux tomates par exemple). Elles perdent cependant beaucoup de leur intérêt à la cuisson et il n’y a pas vraiment de bon moyen de les conserver.
Voyez ça comme un ingrédient saisonnier: on en mange une ou deux fois au printemps et on passe à la prochaine plante!
J’espère que cet article répondra à vos questions et lèvera un peu le tabou entourant l’ail des bois. Soyez responsables dans votre cueillette et n’intimidez pas les randonneurs du haut de votre perchoir avec votre regard tueur! À moins qu’ils n’arrivent avec une grosse pelle, on s’entend, là, vous avez le droit de les intimider un peu… Et même d’imprimer cet article, de le rouler en boule et de leur lancer… mais avec un sourire!
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Je suis belge… Aime randonner et m intéresser à la biodiversité dans la nature…. Il y a 4 ans, j ai cueilli la quantité recommandée d’ail des ours, plantée en sous-bois dans mon jardin, mon petit jardin…. C est maintenant devenu envahissant… J en donne à tous ceux qui en souhaitent… L ail pousse même dans mes allées recouvertes de gravier …… ?… J aime mais trop c est trop….
Bonjour Marte,
Je suis intéressé pour le don d’ail d’ours.
Est-ce qu’il est possible de prendre contact?
Merci
C’est certain que si chaque randonneur se dit qu’il prend seulement 2-3 bulbes de l’immense talle qui passe près du sentier; elle disparaîtra ! Il faut penser plus loin que l’impact de notre geste individuel; c’est l’addition et la répétition de ce geste qui aura des conséquences néfastes. Peut -être que le monsieur en robe de chambre en a vu des dizaines de randonneurs faire la même chose et se demande combien de temps encore il pourra observer cette talle!
Vous avez parfaitement raison. Et un article comme celui-ci déculpabilise les gens qui feront exactement ça.
Je comprends totalement votre inquiétude et c’est le but de cet article: responsabiliser les gens. Montrer qu’il y a moyen de cueillir sans détruire, de respecter la nature, et surtout de sensibiliser à notre impact. J’espère que les lecteurs qui souhaitent faire comme moi choisiront une grande talle, comme j’ai fait, et le feront avec respect.
Ceux qui ne comprennent pas mon message, tant pi pour eux! Moi je préfère croire qu’avec de la sensibilisation, il y aura plus de nouvelles talles que de braconniers dans l’avenir!
Merci de partager cette information car effectivement on en parle peu et on se demande toujours ce qui est vrai et faux. Et pour ceux qui aiment l’ail, il y a toujours la ciboulette à l’ail qui est facile à cultiver et qui se reproduit rapidement. Bonne journée et bonne dégustation! ?
Sujet qui m’agace beaucoup, AIL des bois vulnérable….
Permettez-moi de ne pas y croire. Notre gouvernementoùprotection de la faune , sont la pour nous le répéter MAIS qu’avaient il de cabanes à sucre qui coule du bétons sur ses plantes et le projet immobilier qui eux construisent des développements…… Permettez-moi cette sortie, désolée, il fallait que je m’exprime. Au plaisir de vous lire.
En France (et peut-être au Québec ?), l’ail des ours (celui qui fleurit chaque année, Allium Ursinum) est également disponible en graines auprès de différents fournisseurs. Mon premier essai (en pleine terre) s’est avéré peu concluant et rien n’a levé. Apparemment, le semis peut même lever au printemps suivant sa mise en terre !!! patience patience…
Bonjour, je crois qu’il y a de l’ ail des bois dans un petit boisée derrière chez moi, mais pousse à ses côtés, de l herbe à puce et de plus, en plus grande quantité ? Même bien nettoyé, si les plantes se côtoient par la racine, y a t’il un risque de la consommer ?
Merci à l’avance pour votre réponse ??
Non, aucun risque à la consommation ! Soyez prudent en cueillant et c’est tout 😉
Merci beaucoup Audrey pour cette information sur l’ail des bois. Vraiment intéressant et je comprends mieux les raisons pourquoi on ne peut pas la cueillir pour en faire des conserves ou les vendre. Je me demande par contre pourquoi il n’est pas protégé en Ontario et que la vente est permise… L’ail des bois ne se reproduit pas plus vite en Ontario ?!
Très intéressant l’information sur l’ail des bois je me souviens que ma grand-mère en cueuillait je vous par de cela il y a 60 ans.Merci pour ce bel article.
Merci d’expliqué toute les caractéristiques de l’ail des bois. Maintenant je vais me sentir moins coupable d’en ramassé et comprend mieux le pourquoi de la protégé et dy aller avec modération.
Mme Martel, je vous invite à vous inscrire au site Facebook : Ail des bois du Québec. Vous retrouverez des informations supplémentaires le concernant. Vous constaterez que la culture de l’ail des bois est possible au Québec. Nous avons une démarche entreprise pour en permettre la commercialisation. Vous pouvez me contacter si vous le désirez.
La description que vous en faites ainsi que quelques indices me portent à croire que je sais exactement où se trouve cette talle, la plus grande et la plus impressionnante que j’aie jamais vue. Je peux me tromper mais si c’est le cas, j’y ai déjà cueilli quelques bulbes (4 ou 5), sauf qu’en vérifiant après coup, je constate que la cueillette y est interdite, ce qui est logique pour un parc voué à la conservation. Mea culpa.
Pour ma part, je n’étais pas dans un parc voué à la conservation, et la cueillette n’y était pas interdite. En Estrie et Monteregie, il y a plusieurs très grandes talles. J’en connais environ un vingtaine à quelques minutes de voiture ou de marche de chez moi dans un sens où l’autre. Et plusieurs sont presque a perte de vue!!
Maintenant je cueille chez mon voisin. Je ne le savais pas à l’époque, mais il a une belle talle qu’il a lui-même plantée à partir de quelques bulbes il y a une vingtaine d’années.
Je vous cite: .Il ne faut jamais rien cueillir dans les espaces protégés, ail des bois ou non. Mais ailleurs, si on en voit, est-ce mal? Pas si c’est bien fait. Avant de pénétrer dans un boisé, il faut d’abord identifier puis obtenir la permission du propriétaire…
Eh oui, en France l’ail des bois s’appelle ail des ours et se répand toujours un peu plus. En cette saison, impossible de se promener dans les bois sans affronter une forte odeur d’ail. Impossible aussi d’y échapper dans les jardins tempérés des particuliers de l’ouest du pays. Ça se répand pire que du chiendent !
Il y a quelques années (5 ou 10 au grand maximum) on n’en entendrait pas parler. Puis c’est devenu un truc à la mode, d’avoir des mayonnaises à l’ail des ours (j’avoue que c’est écoeurant). Et maintenant …
Alors faites attention à vos implantations, cousins québécois, vous risqueriez de le regretter d’ici peu !