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DĂ©mĂȘlons les noms des agrumes

VoilĂ  un Ă©chantillon des formes des agrumes: il y en a encore beaucoup d’autres. Photo: Bernhard Voß, Wikimedia Commons

J’ai un grand dĂ©faut en tant que jardinier. J’aime mettre le bon nom sur mes plantes: le nom botanique, bien sĂ»r. Mais la situation des agrumes me frustre au plus haut point. Je n’arrive pas Ă  voir vraiment clair dans ce mĂ©li-mĂ©lo terrible. Mais voici mon effort pour y mettre un peu d’ordre.


Depuis que j’ai commencĂ© Ă  cultiver des agrumes comme plantes d’intĂ©rieur, donc depuis ce premier pĂ©pin d’orange, rĂ©coltĂ© Ă  partir d’un fruit achetĂ© au supermarchĂ©, puis semĂ© dans un pot il y a plus de 40 ans, j’ai du mal Ă  mettre un nom botanique appropriĂ© sur les agrumes que je cultive. En effet, les noms ne cessent de changer! Plus les taxonomistes se penchent sur le cas des agrumes (genre Citrus de la famille des RutacĂ©es), plus ils dĂ©couvrent que la gĂ©nĂ©tique de ces plantes est trĂšs complexe et donc, plus les noms sont susceptibles de changer.

Saviez-vous que le mot agrume vient du latin mĂ©diĂ©val acrumen? Il signifie «substance de saveur aigre», ce qui est certainement le cas pour certains agrumes: citron, bigarade, lime, etc.
Photo: clipart1001.com

Vous voyez, Ă  peu prĂšs n’importe quel agrume fertile peut se croiser avec tout autre agrume fertile, mĂȘme d’une espĂšce diffĂ©rente. Un mandarinier se croisera volontiers avec un citronnier, un pamplemoussier ou mĂȘme un kumquat (maintenant Citrus japonica; anciemment Fortunella japonica).

Ainsi, non seulement la plupart des agrumes que nous utilisons quotidiennement sont des hybrides complexes, mais de nombreuses espĂšces sauvages sont elles-mĂȘmes des hybrides naturels.

Puisque les agrumes sont tous Ă©troitement apparentĂ©s, vous pouvez greffer diffĂ©rentes variĂ©tĂ©s sur le mĂȘme arbre. Photo: Kaimuki Backyard, YouTube

C’est une des raisons pour lesquelles les agriculteurs multiplient les agrumes par greffage ou par bouturage: ainsi, ils peuvent s’assurer que les fruits produits seront fidĂšles au type. AprĂšs tout, voudriez-vous risquer de semer un champ avec des pĂ©pins de mandarines pour dĂ©couvrir, environ 15 ans plus tard, quand les arbres commencent Ă  produire, qu’ils sont en fait quelque chose de trĂšs diffĂ©rent
 et probablement sans valeur commerciale?

Juste pour crĂ©er encore plus de confusion, cependant, sachez que de nombreux agrumes sont capables d’apomixie: s’il n’y a pas d’échange de pollen, ils peuvent quand mĂȘme produire des fruits, avec des pĂ©pins fertiles, mais de maniĂšre clonale. Dans ce cas, les plantes issues de pĂ©pins seront bel et bien identiques Ă  la plante mĂšre. L’oranger (Citrus ×sinensis) en est un bon exemple. S’il n’y a pas de pollinsateur dans les environs, il produira des graines par apomixie, donc des plantes fidĂšles au type.

Vrai citron (à gauche), citron Ponderosa (à droite): ils partagent un nom commun, mais ce sont des fruits différents. Photo: www.specialtyproduce.com

Vous ne pouvez pas catĂ©goriser les agrumes par leur apparence seule. En raison de milliers d’annĂ©es de croisements et de rĂ©trocroisements, des agrumes d’aspect similaire peuvent avoir des origines trĂšs diffĂ©rentes
 et ainsi des goĂ»ts trĂšs diffĂ©rents. Les deux «citronniers» que je cultive comme plantes d’intĂ©rieur, par exemple, le citronnier Meyer (C. Ă— meyeri) et le citronnier ‘Ponderosa’ (C. medica Ă— C. maxima) × C. medica) produisent des fruits qui rappellent des citrons par leur forme et leur couleur, mais pas par leur goĂ»t, car le vrai citronnier (C. Ă— limon) en est un parent trĂšs Ă©loignĂ©.

L’origine des agrumes

Voie de dispersion proposĂ©e pour les espĂšces d’agrumes ancestrales. L’étoile indique oĂč l’espĂšce fossile C. linczangensis a Ă©tĂ© trouvĂ©e. Ill.: Wu, Terol, Ibanez et al., 2018.

Le genre Citrus aurait Ă©voluĂ© il y a environ 8 millions d’annĂ©es dans les contreforts sud-est de l’Himalaya, dans un triangle situĂ© entre l’Assam (nord-est de l’Inde), le nord du Myanmar et le nord-ouest du Yunnan (Chine). Cette origine est basĂ©e sur une espĂšce fossile (C. linczangensis) qui a Ă©tĂ© trouvĂ©e dans cette rĂ©gion
 et par la rĂ©partition presque concentrique des autres espĂšces apparues par la suite. Ces diffĂ©rentes espĂšces ont Ă©voluĂ©, par mutation, mais aussi par hybridation, gagnant Ă©ventuellement toute l’Asie du Sud-Est continentale et mĂȘme la plupart des Ăźles (IndonĂ©sie, TaĂŻwan, Japon, Philippines, etc.). MĂȘme, le genre a rĂ©ussi Ă  traverser la ligne Wallace pour s’établir en Nouvelle-GuinĂ©e et dans le nord de l’Australie.

Quatre espĂšces ancestrales, soit le cĂ©dratier (C. medica), le mandarinier (C. reticulata), le pomĂ©lo (C. maxima) et le papeda (C. micrantha) sont les principales espĂšces impliquĂ©es dans la crĂ©ation des agrumes que nous connaissons aujourd’hui (oranges, limes, citrons et pamplemousses), alors que d’autres agrumes moins connus ont fourni des gĂšnes Ă  d’autres espĂšces.

Les humains aussi se sont impliquĂ©s dans la dispersion des agrumes Ă  travers le monde, dĂ©jĂ  Ă  l’époque prĂ©historique. Les divers peuples de la MicronĂ©sie et de la PolynĂ©sie, par exemple, ont transportĂ© des agrumes dans de nombreuses Ăźles du Pacifique (3000–1500 avant notre Ăšre).

Le cĂ©drat, fruit du cĂ©dratier (C. medica), est le plus souvent utilisĂ© en mĂ©decine comme l’épithĂšte medica le suggĂšre. Curieusement, on l’appelle citron en anglais. Photo: flora-toskana.com

Le cĂ©dratier (C. medica), dont les gros fruits pĂšsent souvent 500 Ă  600 g et parfois jusqu’à 3,5 kg, a apparemment Ă©tĂ© la premiĂšre espĂšce d’agrume Ă  atteindre l’Europe, arrivant de l’Inde par la route de l’encens, probablement vers 1200 avant notre Ăšre. Il Ă©tait bien connu des Romains, notamment, et cultivĂ© dans les rĂ©gions les plus tropicales de leur empire.

Les commerçants arabes auraient introduit le citronnier, le pomĂ©lo et le bigaradier (oranger amer) au sud de l’Europe et en Afrique vers le 10e siĂšcle de notre Ăšre. Il a fallu attendre 500 ans de plus avant que l’oranger (oranger doux) arrive en Europe, transportĂ© autour du Cap de Bonne-EspĂ©rance (Afrique) par des commerçants gĂ©nois et portugais. 

Ce sont les conquistadors qui ont introduit les agrumes au Nouveau-Monde, de la Floride jusqu’en l’Argentine et au Chili. En 1663, les agrumes Ă©taient cultivĂ©s Ă  Versailles dans des serres spĂ©cialement conçues appelĂ©es orangeries. Les agrumes furent introduits en Australie par les Britanniques Ă  partir de 1787 Ă  partir du Jardin botanique de Sydney.

Curieusement, il a fallu attendre au 19e siĂšcle avant que le mandarinier arrive en Europe.

Dans leurs nouveaux pays, les croisements spontanĂ©s et provoquĂ©s continuĂšrent. Le pamplemoussier (C. Ă—paradsii), par exemple, serait issu d’un croisement spontanĂ© entre le pomĂ©lo (C. maxima) et l’oranger (C. Ă—sinensis) en Barbade, trĂšs loin de leur Asie d’origine, vers 1750.

Toujours de la confusion

Peu importe les sources qu’on consulte, il y a toujours de la controverse au sujet des noms botaniques des agrumes. 

D’ailleurs, il y a encore des divergences d’opinions au sujet des noms communs aussi. Par exemple, certaines autoritĂ©s prĂ©conisent l’utilisation du terme pomĂ©lo pour l’espĂšce ancestrale (C. maxima) et de pamplemousse pour l’hybride, soit le fruit trouvĂ© dans nos supermarchĂ©s (C. Ă—paradsii). D’autres disent exactement le contraire!

Quant à la lime, tout agrume aux petits fruits verts risque de s’appeler ainsi!

Quelques agrumes et leur nom botanique

Quelques agrumes typiques, du pomélo (le plus gros) au kumquat (le plus petit). Photo: Vicky Wasik, www.seriouseats.com

Dans la liste suivante de 23 agrumes et de leur nom botanique, les plantes dont le nom porte le signe de multiplication (×) sont des hybrides (bien qu’il ne soit pas toujours clair quelles espĂšces sont leurs parents) tandis que celles sans signe de multiplication sont des espĂšces ancestrales.

Bergamotier – C. ×bergamia (C. ×limon × C. ×aurantium) 
Bigaradier ou oranger amer – C. ×aurantium (C. maxima × C. reticulata) 
Calamondin ou oranger d’appartement  – C. ×microcarpa (C. reticulata × C. japonica) 
CĂ©dratier – C. medica  
Citronnier – C. ×limon (C. medica × C. ×aurantium) 
Citronnier Meyer – C. ×meyeri (C. medica × C. ×sinensis) 
Citronnier Ponderosa – (C. medica × C. maxima) × C. medica) 
ClĂ©mentinier – C. ×clementina (C. ×deliciosa × C. ×sinensis) 
Combava – C. hystrix  
Kumquat – C. japonica  
Limettier de Perse – C. × latifolia (C. ×aurantiifolia × C. ×limon) 
Limettier ou citronnier vert – C. × aurantiifolia (C. medica × C. micrantha) 
Main de Bouddha – C. medica sarcodactylus  
Mandarinier – C. reticulata (aussi C. ×deliciosa) 
Oranger navel – cultivars de C. ×sinensis 
Oranger ou oranger doux – C. ×sinensis  (C. maxima × C. reticulata) 
Oranger sanguin – cultivars de Citrus ×sinensis 
Oranger trifolié – C. trifoliata, aussi appelé Poncirus trifoliata  
Pamplemoussier – C. ×paradisi (C. maxima × C. ×sinensis) 
Papeda – C. micrantha 
Papeda ichang – C. ichangensis  
PomĂ©lo – C. maxima  
Tangelo –  C. ×tangelo (C. reticulata × C. maxima ou C. ×paradisi) 
Tangerinier – C. × tangerina

Notez que cette liste est, bien sûr, sujette aux changements, car il reste encore beaucoup à apprendre sur la génétique des agrumes.

Et plus encore!

Vous trouvez qu’il y en a beaucoup d’agrumes sur la liste? En fait, il y a plus de 100 autres agrumes que je n’ai pas inclus, vu leur utilisation surtout rĂ©gionale. Les possibilitĂ©s de confusion sont donc presque infinies!

Étiquettes + Agrumes, Nomencalture des agrumes, Citrus


commentaire sur "DĂ©mĂȘlons les noms des agrumes"

  1. Matatoune dit :

    Bravo pour cet article !?

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