DĂ©mĂȘlons les noms des agrumes
VoilĂ un Ă©chantillon des formes des agrumes: il y en a encore beaucoup dâautres. Photo: Bernhard VoĂ, Wikimedia Commons
Jâai un grand dĂ©faut en tant que jardinier. Jâaime mettre le bon nom sur mes plantes: le nom botanique, bien sĂ»r. Mais la situation des agrumes me frustre au plus haut point. Je nâarrive pas Ă voir vraiment clair dans ce mĂ©li-mĂ©lo terrible. Mais voici mon effort pour y mettre un peu dâordre.
Depuis que jâai commencĂ© Ă cultiver des agrumes comme plantes dâintĂ©rieur, donc depuis ce premier pĂ©pin dâorange, rĂ©coltĂ© Ă partir dâun fruit achetĂ© au supermarchĂ©, puis semĂ© dans un pot il y a plus de 40 ans, jâai du mal Ă mettre un nom botanique appropriĂ© sur les agrumes que je cultive. En effet, les noms ne cessent de changer! Plus les taxonomistes se penchent sur le cas des agrumes (genre Citrus de la famille des RutacĂ©es), plus ils dĂ©couvrent que la gĂ©nĂ©tique de ces plantes est trĂšs complexe et donc, plus les noms sont susceptibles de changer.

Saviez-vous que le mot agrume vient du latin médiéval acrumen? Il signifie «substance de saveur aigre», ce qui est certainement le cas pour certains agrumes: citron, bigarade, lime, etc.
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Vous voyez, Ă peu prĂšs nâimporte quel agrume fertile peut se croiser avec tout autre agrume fertile, mĂȘme dâune espĂšce diffĂ©rente. Un mandarinier se croisera volontiers avec un citronnier, un pamplemoussier ou mĂȘme un kumquat (maintenant Citrus japonica; anciemment Fortunella japonica).
Ainsi, non seulement la plupart des agrumes que nous utilisons quotidiennement sont des hybrides complexes, mais de nombreuses espĂšces sauvages sont elles-mĂȘmes des hybrides naturels.

Câest une des raisons pour lesquelles les agriculteurs multiplient les agrumes par greffage ou par bouturage: ainsi, ils peuvent sâassurer que les fruits produits seront fidĂšles au type. AprĂšs tout, voudriez-vous risquer de semer un champ avec des pĂ©pins de mandarines pour dĂ©couvrir, environ 15 ans plus tard, quand les arbres commencent Ă produire, quâils sont en fait quelque chose de trĂšs diffĂ©rent⊠et probablement sans valeur commerciale?
Juste pour crĂ©er encore plus de confusion, cependant, sachez que de nombreux agrumes sont capables dâapomixie: sâil nây a pas dâĂ©change de pollen, ils peuvent quand mĂȘme produire des fruits, avec des pĂ©pins fertiles, mais de maniĂšre clonale. Dans ce cas, les plantes issues de pĂ©pins seront bel et bien identiques Ă la plante mĂšre. Lâoranger (Citrus Ăsinensis) en est un bon exemple. Sâil nây a pas de pollinsateur dans les environs, il produira des graines par apomixie, donc des plantes fidĂšles au type.

Vous ne pouvez pas catĂ©goriser les agrumes par leur apparence seule. En raison de milliers dâannĂ©es de croisements et de rĂ©trocroisements, des agrumes dâaspect similaire peuvent avoir des origines trĂšs diffĂ©rentes⊠et ainsi des goĂ»ts trĂšs diffĂ©rents. Les deux «citronniers» que je cultive comme plantes dâintĂ©rieur, par exemple, le citronnier Meyer (C. Ă meyeri) et le citronnier âPonderosaâ (C. medica Ă C. maxima) Ă C. medica) produisent des fruits qui rappellent des citrons par leur forme et leur couleur, mais pas par leur goĂ»t, car le vrai citronnier (C. Ă limon) en est un parent trĂšs Ă©loignĂ©.
Lâorigine des agrumes

Le genre Citrus aurait Ă©voluĂ© il y a environ 8 millions dâannĂ©es dans les contreforts sud-est de lâHimalaya, dans un triangle situĂ© entre lâAssam (nord-est de lâInde), le nord du Myanmar et le nord-ouest du Yunnan (Chine). Cette origine est basĂ©e sur une espĂšce fossile (C. linczangensis) qui a Ă©tĂ© trouvĂ©e dans cette rĂ©gion⊠et par la rĂ©partition presque concentrique des autres espĂšces apparues par la suite. Ces diffĂ©rentes espĂšces ont Ă©voluĂ©, par mutation, mais aussi par hybridation, gagnant Ă©ventuellement toute lâAsie du Sud-Est continentale et mĂȘme la plupart des Ăźles (IndonĂ©sie, TaĂŻwan, Japon, Philippines, etc.). MĂȘme, le genre a rĂ©ussi Ă traverser la ligne Wallace pour sâĂ©tablir en Nouvelle-GuinĂ©e et dans le nord de lâAustralie.
Quatre espĂšces ancestrales, soit le cĂ©dratier (C. medica), le mandarinier (C. reticulata), le pomĂ©lo (C. maxima) et le papeda (C. micrantha) sont les principales espĂšces impliquĂ©es dans la crĂ©ation des agrumes que nous connaissons aujourdâhui (oranges, limes, citrons et pamplemousses), alors que dâautres agrumes moins connus ont fourni des gĂšnes Ă dâautres espĂšces.
Les humains aussi se sont impliquĂ©s dans la dispersion des agrumes Ă travers le monde, dĂ©jĂ Ă lâĂ©poque prĂ©historique. Les divers peuples de la MicronĂ©sie et de la PolynĂ©sie, par exemple, ont transportĂ© des agrumes dans de nombreuses Ăźles du Pacifique (3000â1500 avant notre Ăšre).

Le cĂ©dratier (C. medica), dont les gros fruits pĂšsent souvent 500 Ă 600 g et parfois jusquâĂ 3,5 kg, a apparemment Ă©tĂ© la premiĂšre espĂšce dâagrume Ă atteindre lâEurope, arrivant de lâInde par la route de lâencens, probablement vers 1200 avant notre Ăšre. Il Ă©tait bien connu des Romains, notamment, et cultivĂ© dans les rĂ©gions les plus tropicales de leur empire.
Les commerçants arabes auraient introduit le citronnier, le pomĂ©lo et le bigaradier (oranger amer) au sud de lâEurope et en Afrique vers le 10e siĂšcle de notre Ăšre. Il a fallu attendre 500 ans de plus avant que lâoranger (oranger doux) arrive en Europe, transportĂ© autour du Cap de Bonne-EspĂ©rance (Afrique) par des commerçants gĂ©nois et portugais.
Ce sont les conquistadors qui ont introduit les agrumes au Nouveau-Monde, de la Floride jusquâen l’Argentine et au Chili. En 1663, les agrumes Ă©taient cultivĂ©s Ă Versailles dans des serres spĂ©cialement conçues appelĂ©es orangeries. Les agrumes furent introduits en Australie par les Britanniques Ă partir de 1787 Ă partir du Jardin botanique de Sydney.
Curieusement, il a fallu attendre au 19e siĂšcle avant que le mandarinier arrive en Europe.
Dans leurs nouveaux pays, les croisements spontanĂ©s et provoquĂ©s continuĂšrent. Le pamplemoussier (C. Ăparadsii), par exemple, serait issu dâun croisement spontanĂ© entre le pomĂ©lo (C. maxima) et lâoranger (C. Ăsinensis) en Barbade, trĂšs loin de leur Asie dâorigine, vers 1750.
Toujours de la confusion
Peu importe les sources quâon consulte, il y a toujours de la controverse au sujet des noms botaniques des agrumes.
Dâailleurs, il y a encore des divergences dâopinions au sujet des noms communs aussi. Par exemple, certaines autoritĂ©s prĂ©conisent lâutilisation du terme pomĂ©lo pour lâespĂšce ancestrale (C. maxima) et de pamplemousse pour lâhybride, soit le fruit trouvĂ© dans nos supermarchĂ©s (C. Ăparadsii). Dâautres disent exactement le contraire!
Quant Ă la lime, tout agrume aux petits fruits verts risque de sâappeler ainsi!
Quelques agrumes et leur nom botanique

Dans la liste suivante de 23 agrumes et de leur nom botanique, les plantes dont le nom porte le signe de multiplication (Ă) sont des hybrides (bien quâil ne soit pas toujours clair quelles espĂšces sont leurs parents) tandis que celles sans signe de multiplication sont des espĂšces ancestrales.
Bergamotier â C. Ăbergamia (C. Ălimon Ă C. Ăaurantium)Â
Bigaradier ou oranger amer â C. Ăaurantium (C. maxima Ă C. reticulata)Â
Calamondin ou oranger dâappartement  â C. Ămicrocarpa (C. reticulata Ă C. japonica)Â
CĂ©dratier â C. medica Â
Citronnier â C. Ălimon (C. medica Ă C. Ăaurantium)Â
Citronnier Meyer â C. Ămeyeri (C. medica Ă C. Ăsinensis)Â
Citronnier Ponderosa â (C. medica Ă C. maxima) Ă C. medica)Â
ClĂ©mentinier â C. Ăclementina (C. Ădeliciosa Ă C. Ăsinensis)Â
Combava â C. hystrix Â
Kumquat â C. japonica Â
Limettier de Perse â C. Ă latifolia (C. Ăaurantiifolia Ă C. Ălimon)Â
Limettier ou citronnier vert â C. Ă aurantiifolia (C. medica Ă C. micrantha)Â
Main de Bouddha â C. medica sarcodactylus Â
Mandarinier â C. reticulata (aussi C. Ădeliciosa)Â
Oranger navel â cultivars de C. ĂsinensisÂ
Oranger ou oranger doux â C. Ăsinensis  (C. maxima Ă C. reticulata)Â
Oranger sanguin â cultivars de Citrus ĂsinensisÂ
Oranger trifolié â C. trifoliata, aussi appelé Poncirus trifoliata Â
Pamplemoussier â C. Ăparadisi (C. maxima Ă C. Ăsinensis)Â
Papeda â C. micranthaÂ
Papeda ichang â C. ichangensis Â
PomĂ©lo â C. maxima Â
Tangelo â  C. Ătangelo (C. reticulata Ă C. maxima ou C. Ăparadisi)Â
Tangerinier â C. Ă tangerina
Notez que cette liste est, bien sûr, sujette aux changements, car il reste encore beaucoup à apprendre sur la génétique des agrumes.
Et plus encore!
Vous trouvez quâil y en a beaucoup dâagrumes sur la liste? En fait, il y a plus de 100 autres agrumes que je nâai pas inclus, vu leur utilisation surtout rĂ©gionale. Les possibilitĂ©s de confusion sont donc presque infinies!
Bravo pour cet article !?