Les orchidées ont recours à la sous-traitance pour se nourrir!
La fertilisation des orchidées a déjà été abordée dans une chronique précédente. Mais, en milieu naturel, les orchidées poussent et fleurissent sans que personne ne les fertilise. Comment font-elles pour pousser aussi vigoureusement en nature? Elles choisissent plutôt de sous-contracter la collecte de nutriments à des partenaires de croissance: les champignons mycorhiziens.
La symbiose entre le champignon et l’orchidée commence dès la naissance
Dès la germination des graines, les orchidées s’associent à un champignon nourricier. En effet, les graines d’orchidées contiennent très peu de réserves nutritives, voire pas du tout, et le développement de l’embryon aura impérativement besoin d’un champignon symbiotique pour l’hydrater et le nourrir pendant les premières semaines de sa vie. Progressivement, la petite plantule se développera et construira un système racinaire autonome. Par la suite, ce lien vital avec le champignon évoluera jusqu’à devenir optionnel à l’âge adulte, surtout lorsque le système racinaire principal est suffisamment vigoureux et qu’il est implanté dans un milieu de croissance suffisamment riche.
Cette relation d’entraide alimentaire peut nous surprendre, mais elle est fondamentale pour toute l’évolution du monde végétal sur terre. Les premières formes de symbiose végétale remonteraient à environ 450 millions d’années, lorsque des algues marines (dépourvues de racines) se seraient échouées sur des rochers riverains et auraient survécu grâce à la présence de champignons nourriciers. Il s’agit en fait de la forme préhistorique des lichens, que l’on connaît encore aujourd’hui. Lentement, les formes végétales terrestres se sont complexifiées et ont amélioré leur système racinaire principal pour réduire leur dépendance à ce lien symbiotique avec les champignons, qui était trop irrégulier.
On estime que, la très grande majorité des plantes sur terre (soit près de 80%) ont recours à la symbiose mycorhizienne pour améliorer leur croissance et leur résistance à certaines maladies. Chez les jeunes orchidées en nature, ce serait pratiquement 100% des plantules qui dépendraient de la symbiose mycorhizienne pour leur protection et leur alimentation, mais cette dépendance décroît à mesure que le système racinaire principal se développe.
La symbiose entre le champignon et l’orchidée fluctue au fil des saisons
Ainsi, une fois adultes, plusieurs orchidées continueront de puiser de l’eau et des nutriments en utilisant les deux réseaux d’approvisionnement: les racines principales (plus durables et plus solides) et leurs extensions fongiques (plus étendues, mais plus variables au fil des saisons). Bien que les racines traditionnelles demeureront le canal permanent et régulier d’approvisionnement, les orchidées auront donc recours à des champignons mycorhiziens «plus saisonniers» qui augmenteront rapidement l’approvisionnement en nutriments lorsque les besoins de croissance l’exigeront.
En sous-traitance
On peut donc dire de façon imagée que les orchidées ont recours à la sous-traitance pour se nourrir! En termes scientifiques, on dira qu’elles sont symbiotiques, c’est-à-dire qu’elles vivent en symbiose avec des champignons mycorhiziens qui effectuent une grande partie du travail de capture d’eau et de nutriments. Comme mentionné précédemment, les filaments mycorhiziens sont en quelque sorte de fines extensions des racines qui s’allongent à la recherche d’eau et qui capturent, par la même occasion, certains nutriments et minéraux dissous. Mais ce n’est pas tout! Grâce à leur capacité de transformation chimique, les champignons vont également filtrer et conditionner ces nutriments avant de les transférer aux racines. C’est toute une aubaine pour l’orchidée en phase de croissance. Ce travail d’absorption et de conditionnement des nutriments est primordial pour la croissance de l’orchidée – surtout au début de sa vie comme nous l’expliquions précédemment.
En échange
En échange, la plante adulte fournira des glucides (sucres élémentaires produits par photosynthèse et certaines vitamines) aux champignons symbiotiques qui pourront ainsi s’en servir pour se développer et étendre leurs ramifications bien au-delà de l’empreinte de la plante sur son support. Les deux partenaires y trouveront ainsi un réel avantage en matière de vigueur et de résistance aux aléas environnementaux. Des botanistes, spécialisés dans l’étude des champignons mycorhiziens, estiment toutefois que le coût en sucre de cette sous-traitance serait relativement élevé, soit entre 10% à 30% des glucides produits par photosynthèse. Il s’agit donc d’un investissement significatif pour la plante qui s’engage dans ce type de relation d’entraide.

La relation symbiotique varie au cours de la vie d’une orchidée
Les filaments mycorhiziens sont microscopiques (souvent quelques microns de diamètre, soit bien plus petits qu’un cheveu humain, qui mesure environ 100 microns), mais leur développement est rapide lorsque les conditions d’humidité et de température sont favorables. En cas de perturbation importante, le champignon se résorbe et entre en dormance jusqu’à ce qu’une nouvelle saison plus propice à son développement lui permette de repartir. Dans l’intervalle, les racines traditionnelles assureront un approvisionnement de base à la plante.
Plusieurs générations se succèdent
Ainsi, une orchidée qui vivra une dizaine d’années (ce qui est très probable en nature) connaîtra plusieurs générations successives de champignons partenaires. Ces poussées fongiques seront inévitablement entrecoupées de périodes de ralentissement biologique, conséquence de la réduction d’apport en eau et nutriments. De plus, on a souvent observé une évolution dans les générations fongiques qui se succèdent – comme si une nouvelle équipe de «sous-traitants» mieux adaptés aux conditions courantes prenait le leadership de la relation symbiotique. Au cours de leur vie, plusieurs orchidées s’associeront ainsi à des champignons mycorhiziens différents, notamment en début de vie et à l’âge adulte reflétant les besoins différents en matière de nutrition au cours de leur existence.


Le lien mycorhizien permet aussi la formation de communautés végétales interconnectées
Des études récentes ont montré que le lien mycorhizien pouvait souvent unir des plantes voisines et leur permettre d’échanger des nutriments et des hormones par l’intermédiaire de leurs filaments fongiques communs! Évidemment, le champignon doit être compatible avec toutes les plantes d’un même réseau mycorhizien, mais cela semble plus fréquent qu’on ne le pense.
En prairie, cette interconnexion végétale a été démontrée entre plusieurs plantes d’espèces différentes, certaines étant des orchidées et d’autres pas. En milieu forestier, certaines orchidées de sous-bois pourraient même se lier chimiquement à des arbres avoisinants et profiter ainsi de la monumentale capacité de photosynthèse de ces géants de la forêt. Même les orchidées épiphytes réussissent à tisser des liens mycorhiziens avec d’autres plantes, grâce au réseau de mycélium qui parcourt la surface des branches sur lesquelles elles se trouvent. Ces réseaux fongiques sont évidemment plus minces et plus variables, mais leur efficacité en matière d’échanges chimiques a été démontrée par quelques études in situ, notamment en Chine, au Brésil et à La Réunion.
Des avantages concrets
L’état actuel des connaissances ne permet pas d’expliquer en détail ces relations d’échanges chimiques entre des plantes aussi différentes. Cependant, il est déjà clair que la formation de communautés végétales interconnectées présente des avantages concrets, comme l’accès à des nutriments de réserve stockés chez des végétaux voisins et/ou le partage de certaines vitamines (ou hormones) dont la synthèse est plus facile pour certains partenaires présents dans le milieu.
En résumé, les liens mycorhiziens de l’orchidée avec les champignons, quoique très discrets, s’avèrent être beaucoup plus significatifs qu’il n’y paraît. D’abord, ils permettent la germination des graines d’orchidées, ensuite ils augmentent la collecte de nutriments lorsque les besoins de croissance l’exigent, et ils favorisent enfin des échanges chimiques précieux avec les plantes avoisinantes pour mieux gérer les contingences auxquelles l’orchidée sera confrontée au cours de sa vie.

En culture domestique, il est difficile de co-cultiver champignons et orchidées
La relation symbiotique entre l’orchidée et son champignon s’établit spontanément en milieu naturel et elle évolue constamment au fur et à mesure que leurs besoins changent. En culture domestique, tout cela est difficile à reproduire. Il y a eu quelques expériences de co-culture de mycorhizes-orchidées qui semblent avoir donné de très bons résultats, mais les techniques utilisées demeurent très empiriques et difficiles à généraliser. Je fonde beaucoup d’espoir sur l’avenir de ces techniques de co-culture et je souhaite que des projets de recherche bien structurés puissent confirmer les spectaculaires résultats préliminaires. En attendant, on devra avoir recours à la fertilisation traditionnelle si on souhaite stimuler la croissance de nos orchidées en culture domestique.
Note de l’éditeur
Les chroniques de M. Charpentier sur les orchidées sont publiées sur le site du Jardinier Paresseux dans un modèle légal de type «Copyleft». Les sociétés horticoles qui le souhaitent peuvent intégrer ses chroniques dans leur journal technique ou simplement diffuser le lien internet auprès de leurs membres. Veuillez toutefois inclure la mention suivante: Cet article a initialement été publié en français sur le site internet du jardinierparesseux.com et en version anglaise sur le blogue laidbackgardener.blog.
Excellente contribution Robert.! Limpide et très bien écrite.