Categories

Recherche

La fertilisation des orchidées: amalgame d’insouciance et de délire irrationnel

Les amateurs d’orchidées sont de gens généralement bien informés et plutôt rationnels. Mais lorsqu’il s’agit de parler de fertilisation, ils sombrent soudainement dans un délire de croyances irrationnelles, souvent accompagnées d’une insouciance chronique des risques. Il faut admettre que ce n’est pas un sujet facile. Au risque de perdre quelques amis orchidophiles, je vais tenter de mettre un peu d’ordre dans ces croyances irrationnelles qui dominent notre communauté d’amateurs d’orchidées.

Examinons tout d’abord la manière dont l’orchidée capture les nutriments dans son milieu naturel.

Comment l’orchidée capture les nutriments?

Les botanistes qui ont étudié ce sujet constatent que les orchidées épiphytes sont très peu fertilisées. Elles sont en fait hydratées par l’eau de pluie qui est d’une grande pureté. Les quelques nutriments qui peuvent s’ajouter sont apportés par le ruissellement de l’eau sur les branches avoisinantes avant d’atteindre les racines de l’épiphyte. Les orchidées sont ainsi devenues peu gourmandes, se contentant d’un apport minime en nutriments, obtenu par le lessivage des structures d’ancrage à proximité. L’orchidée épiphyte s’est en fait adaptée à un milieu de croissance beaucoup plus pauvre que le terreau traditionnel dans lequel les autres plantes poussent et où il y a abondance de matière organique en décomposition.

Bien que les besoins en nutriments de l’orchidée soient généralement modérés, il y a quelques moments au cours de leur vie où elles devront capter un apport plus important de nutriments. C’est notamment le cas au début de leur vie, lorsque la plantule doit rapidement atteindre un niveau de résistance indispensable à sa survie dans son milieu. Ce sera également le cas lors de forte croissance, généralement l’été.

Les champignons mycorhiziens

Pour augmenter leur approvisionnement en nutriments, les orchidées ont recours à des champignons mycorhiziens qui agissent comme des extensions racinaires. La relation symbiotique entre l’orchidée et son champignon s’établit spontanément dans leur milieu naturel et elle évolue constamment pour satisfaire les deux parties au fur et à mesure que leurs besoins changent. En culture domestique, il est très difficile de reproduire tout cela. En pratique, il nous faudrait apprendre à co-cultiver l’orchidée et son champignon mycorhizien ce qui est occasionnellement possible pour certains professionnels aguerris, mais peu réaliste pour un amateur ne disposant que de moyens techniques limités. La symbiose orchidée-champignon fera l’objet d’une prochaine chronique sur ce blogue. 

Dans l’intérim, nous aurons donc recours à la fertilisation chimique pour répondre aux besoins en nutriments de nos orchidées en gardant à l’esprit que ces besoins sont relativement faibles, mais qu’ils peuvent augmenter en période de forte croissance.

Les méthodes de fertilisation traditionnelles des orchidées en culture domestique

Il existe sur le marché une myriade de produits fertilisants aux compositions très variables. Pour simplifier le sujet, ils seront présentés en trois groupes génériques: les engrais bio-organiques obtenus par fermentation de matière organique naturelle, les engrais de synthèse en poudre à dissoudre et les engrais granulaires. Ce sont ces trois types d’amendement que l’on retrouve principalement dans la pratique des orchidophiles de nos jours. 

1. Fertilisants biologiques

Les fertilisants biologiques recommandés pour les orchidées sont ceux qui sont obtenus par la fermentation contrôlée de matière organique. En effet, les racines d’orchidées ne peuvent pas assimiler la matière organique fraîche. Il est donc préférable d’éviter toute matière organique brute (comme l’urée, la poudre d’os ou le sang séché, par exemple). Ces amendements organiques sont excellents au jardin où ils sont décomposés par des bactéries et des champignons présents dans le sol. Dans un pot d’orchidée en culture domestique, ce processus de décomposition ne peut pas avoir lieu, la vie microbienne et fongique y étant très limitée. Il faudra donc s’assurer que les intrants ont bel et bien été «précompostés» (ou fermentés) afin de les rendre assimilables par les racines des orchidées.

Ces deux fertilisants liquides sont obtenus par fermentation de matière organique. De chaque côté, on peut voir une bouteille (à vinaigrette) munie d’un capuchon doseur qui facilite la mesure des quantités, et ce, sans avoir recours à la satanée cuillère à mesurer. Photo: Robert Charpentier

Puisque ces engrais sont généralement dosés pour des plantes traditionnelles (et non pour des orchidées), il faudra réduire la dose à 1/4 de la recommandation prescrite pour les plantes terrestres. Les orchidées sont dotées de racines à vélamen (une structure spongieuse hautement absorbante) qui leur confèrent une efficacité bien supérieure à celle des racines traditionnelles dans la capture de nutriments. La réduction de la dose à 25% suffira amplement à l’orchidée en période de croissance active. En période de dormance ou de ralentissement végétatif, les besoins en fertilisation sont presque nuls et il n’est donc pas nécessaire de fertiliser. 

Écologiques et compatibles

Les engrais biologiques ne sont pas les plus économiques, mais ils sont plus écologiques et plus compatibles avec la biologie des orchidées.

En résumé, leur utilisation modérée et bien dosée semble être la meilleure approche en matière de fertilisation en culture domestique. Il est recommandé de choisir une formulation équilibrée où les trois éléments chimiques (N-P-K pour azote-phosphore-potassium) sont présents en proportions comparables (sans excès), car les orchidées apprécient les repas équilibrés et pas trop copieux!

2. Fertilisants de synthèse

Les fertilisants de synthèse sont souvent privilégiés par les entreprises de production commerciale d’orchidées. Ils sont plus économiques et ultrafaciles à mélanger à l’eau d’arrosage et, somme toute, très efficaces. Leurs inconvénients apparaissent plus tard, lors de la maturation de la plante, lorsque l’accumulation de sel d’engrais finit par intoxiquer les racines des orchidées. 

Au cours des dernières décennies, on a constaté que les formules équilibrées en azote-phosphore-potassium (NPK) sont nettement préférables – surtout lorsqu’on utilise un engrais soluble très concentré. Il est donc préférable d’éviter les stimulants de floraison (comme «Bloom booster» – riches en phosphore) et les stimulants de croissance (riches en azote). Certains ouvrages plus anciens recommandent des formulations chimiques comme le 10-42-5 ou le 30-10-10, mais on sait aujourd’hui que les orchidées ont du mal à absorber ces doses disproportionnées d’un élément spécifique, qu’il s’agisse de l’azote, du phosphore ou du potassium.

Choisir un produit équilibré

On utilisera donc un produit équilibré (par exemple 20-20-20, 10-6-12 ou 6-8-7) à raison d’un quart de la dose prescrite pour les plantes terrestres, et ce, seulement en période de croissance active. Il faudra également purger les sels d’engrais accumulés à intervalle régulier (typiquement une fois par mois) par un arrosage en profondeur à l’eau claire. 

Si votre eau provient d’un puits artésien, elle contient déjà une grande quantité de minéraux qui accélèrent le processus d’intoxication racinaire et finissent par nuire à l’absorption des minéraux utiles. Dans ce cas, il est recommandé d’utiliser seulement 1/8 de la dose prescrite afin d’éviter une saturation minérale des racines. Dans certains cas plus extrêmes, il faudra recourir à un système de traitement de l’eau pour déminéraliser l’eau avant d’y ajouter l’engrais. Dans le doute, consultez un conseiller compétent dans une jardinerie ou un orchidophile expérimenté au sein de votre association locale d’orchidophiles.

Quelques engrais de synthèse courants dans la culture des orchidées: à gauche, on trouve le 20-20-20 de Miracle-Gro et le 13-3-15 du Michigan State University, et à droite deux engrais à libération lente (5-7 mois) dont une formulation 14-14-14 et une autre de 13-4-14. Photo: Robert Charpentier

3. Engrais granulaires

Les engrais granulaires sont occasionnellement utilisés par les propriétaires de grandes collections. Les produits recommandés sont des engrais enrobés à libération très lente (soit 6 à 9 mois) et ils sont spécialement conçus pour les plantes dont les racines sont à vélamen, comme les orchidées et les broméliacées. Les engrais agricoles traditionnels ne sont pas (du tout) recommandés, carils se décomposent rapidement sous l’effet de la chaleur et ils risquent de saturer les substrats d’orchidées très rapidement. 

Attention, les engrais granulaires à libération très lente sont vraiment très coûteux. Non seulement ces engrais granulaires à orchidées sont beaucoup plus chers, mais plusieurs fabricants semblent incapables de spécifier la dose à utiliser pour les différentes espèces d’orchidées. Au moment de l’achat, assurez-vous que le produit choisi est accompagné d’une notice d’utilisation claire et quantifiée.

Quand les privilégier?

Malgré leur prix élevé, leur utilisation peut quand même convenir aux propriétaires de grosses collections qui souhaitent simplifier leur opération de fertilisation en la ramenant à un petit épandage «annuel». Ils appliqueront ce type de produit fertilisant au moment où les nouvelles racines commencent à émerger, c’est-à-dire au début du cycle annuel de croissance. Un engrais à libération très lente nourrira la plante pour les 6 à 9 mois à venir, couvrant ainsi toute la période de croissance du cycle annuel de l’orchidée. Encore un fois, les formules balancées en azote-phosphore-potassium semblent les mieux adaptées aux besoins des orchidées.

Ce magnifique Cattleya miniature a produit une floraison spectaculaire. Toutefois, en observant les pointes de feuilles qui sont jaunies et moribondes, on constate que cette plante est probablement surfertilisée et/ou intoxiquée par un substrat trop vieux. Il faudra procéder au rinçage du substrat et, éventuellement, rempoter cette plante avant qu’elle ne dépérisse davantage. Photo: Robert Charpentier

En pratique: il faut bien mesurer, appliquer modérément et observer attentivement.

1. Dans la culture des orchidées, la fertilisation est la dernière chose à faire.

Elle n’est utile que si les conditions de culture sont excellentes. Il est inutile de fertiliser une plante qui manque de lumière ou dont le fonctionnement métabolique est perturbé. Les plantes sont de mini-usines de transformation chimique qui fonctionnent à l’énergie solaire. Si l’usine est en panne partielle (ou complète), lui apporter davantage de matières premières à transformer ne fera que l’encombrer et, à terme, l’intoxiquer. Avant d’investir dans les engrais, veillez à ce que vos installations répondent adéquatement aux quatre besoins fondamentaux de l’orchidée.

2. Avant toute fertilisation, il faut connaître la qualité de l’eau.

L’eau est l’élément no 1 de la photosynthèse. L’eau doit être propre et peu minérale (comme l’eau de pluie), de préférence avec une concentration minérale inférieure à 200 ppm (partie par million) – avant d’y ajouter un engrais de synthèse. Les eaux dures (500 ppm et plus) entraîneront une accumulation rapide de minéraux dans le substrat et dans le vélamen. Il faudra alors réduire radicalement les doses d’engrais ou déminéraliser l’eau d’arrosage avant utilisation. Souvent, l’intoxication de la plante se manifeste sur les pointes des feuilles. La sève circule de la base vers les pointes des feuilles en cédant «eau et bons nutriments» tout au long de son parcours. Arrivé en bout de feuille, il ne reste qu’une forte concentration des minéraux toxiques (non assimilables) entraînant la mort des tissus d’extrémité.

3. La surfertilisation des orchidées provoque le même genre de problèmes d’accumulation de sel d’engrais.

Méfiez-vous des livres plus anciens qui recommandent souvent des doses de fertilisants nettement trop élevées et souvent toxiques. Les connaissances techniques sur ce sujet ont beaucoup évolué au cours des dernières décennies. Les fournisseurs peu consciencieux (et ils sont nombreux) vont souvent vous encourager à fortement fertiliser, mais souvenez-vous que les orchidées sont plus sensibles que les plantes terrestres pour lesquelles les produits fertilisants ont été conçus et que leurs besoins réels sont plutôt modestes. 

4. Les fertilisants bio-organiques semblent préférables, car ils sont plus proches de la nutrition naturelle des orchidées et ils entraînent peu d’accumulation de sels d’engrais.

Ces produits ne sont pas les plus économiques, mais ils présentent l’avantage d’être plus écologiques et plus compatibles avec la biologie des orchidées. En règle générale, le quart de la dose recommandée sur l’étiquette est suffisant pour les orchidées en phase de croissance active. C’est particulièrement important pour les orchidées épiphytes qui se sont adaptées à l’eau de pluie très pauvre en nutriments. Il est aussi recommandé d’arroser d’abord à l’eau claire avant d’appliquer la solution fertilisante. On évitera ainsi de saturer une racine sèche (et très absorbante) avec un cocktail de nutriments trop concentrés.

5. Bien doser la fertilisation et bien observer ensuite.

Au cours de la dernière décennie, on a assisté à la prolifération des produits fertilisants et à la banalisation de leur utilisation dans presque tous les domaines de production végétale, y compris la culture des orchidées. La banalisation de leur usage domestique comporte toutefois des risques qui sont mal compris et mal gérés par les orchidophiles. En particulier, il faut insister sur l’importance de bien doser les engrais de synthèse qui sont bien plus puissants qu’on ne le pense et sur l’importance de bien observer notre collection après traitement. Contrairement au monde agricole, il y a très peu d’études rigoureuses sur les orchidées, et les amateurs doivent souvent expérimenter par eux-mêmes. Il faudra alors faire preuve de vigilance pour éviter de tomber dans le piège de la surfertilisation et d’engendrer ainsi des dépenses inutiles.

Note de l’éditeur

Les chroniques de M. Charpentier sur les orchidées sont publiées sur le site du Jardinier Paresseux dans un modèle légal de type «Copyleft». Les sociétés horticoles qui le souhaitent peuvent intégrer ses chroniques dans leur journal technique ou simplement diffuser le lien internet auprès de leurs membres. Veuillez toutefois inclure la mention suivante: Cet article a initialement été publié en français sur le site internet du jardinierparesseux.com et en version anglaise sur le blogue laidbackgardener.blog.


  1. Eh! bien après lecture, j’ai bien envie de mettre au compost les 2 seules orchidées que je possède et sur lesquelles je m’acharne, sans succès, depuis quelques années…

  2. Merci M. Carpentier de partager vos précieuses connaissances avec nous. J’ai une orchidée depuis une quinzaine d’années. Elle fleurit pendant six mois chaque année. Je ne l’ai presque jamais fertilisé. Son feuillage est vert foncé et les feuilles supérieures sont bien dressées. Les autres tournent vers le bas, possiblement parce qu’il m’arrive à l’occasion d’espacer un peu trop les bains de l’orchidée.

    J’ai une autre orchidée, du même âge quoique plus petite, qui n’a jamais refleuri. À première vue, elle se porte bien. Son absence de floraison est un mystère pour moi.

  3. Simplement pour vous remercier pour cet article bien écrit, clair et rigoureux qui enfin démystifie un sujet qui a évolué au fil des années auquel il était devenu nécessaire d’apporter des précisions. Vous l’avez fait avec grand succès , merci encore!

    • Merci René de votre commentaire. Je vous invite à lire notre prochaine chronique sur les orchidées qui devrait paraître le mardi 26 août prochain. Elle portera sur la nutrition des orchidées « en milieu naturel » où on y résume les plus récentes découvertes scientifiques sur le sujet, qui sont tout aussi étonnantes que passionnantes.

  4. j’ajouterais qu’en plus d’être onéreux, les fertilisants de synthèse sont très polluants.

  5. Mes orchidées vivent carrément les racines dans l’eau de mon puits. Depuis ce changement extrême, elles sont resplendissantes et fleurissent normalement.

  6. J’ai quatre orchidées monopodes qui fleurissent quelques fois par année et pour longtemps. Je les bassinent 60 minutes aux cinq jours. Elles sont dans des pots pour orchidée. Je les fertilise en période de croissance une fois par semaine avec l’engrais à vaporiser de Miracle Gro 0.02-0.02-0.02 sur les feuilles les racines et le substrat. Elles sont superbes.
    e

  7. Vous oubliez complètement de parler du MSU qui découle d’une étude universitaire et qui est le meilleur engrais pour les phalaenopsis. De plus, Ray Barlow qui est ingénieur de formation et grand collectioneur à fait des études sérieuses et développer ses propres engrais. Le potassium devient toxique. Je suis loin d’être convaincu qu’un de nos hybrideurs du Québec dont M Lussier soit d’accord avec vous.

    • Les amateurs d’orchidées sont de gens généralement bien informés et plutôt rationnels. Mais lorsqu’il s’agit de parler de fertilisation, ils sombrent soudainement dans un délire de croyances irrationnelles, …. Lol