L’extraordinaire évolution des orchidées épiphytes
Les orchidées sont des plantes relativement anciennes dont on peut retracer les premières formes il y a environ 200 millions d’années. Au cours de leur longue existence, il y a eu plusieurs transformations climatiques majeures telles des cycles interglaciaires. Les plantes ont été forcées de s’adapter pour survivre et celles qui ne se sont pas adaptées ont tout simplement disparu.
L’épiphytisme pour survivre accroché aux arbres
L’une des adaptations les plus remarquables est le passage de la croissance terrestre (c’est-à-dire la plante enracinée dans le sol) à la croissance épiphyte (c’est-à-dire la plante accrochée aux branches d’arbres). Cette métamorphose végétale est franchement stupéfiante.
Pour un petit rappel (tout en humour) sur la croissance des épiphytes, je vous suggère la chronique de la pétillante Audrey Martel sur le site du Jardinier paresseux. Vraiment divertissant!
Des études récentes sur le génome de certaines orchidées indiquent que le passage de la croissance terrestre à l’épiphytisme serait survenu à plusieurs époques de la vie végétale sur Terre, à différents endroits et pour toutes sortes de raisons.
Dans certains cas, les plantes devenaient «épiphytes» pour bénéficier d’un meilleur ensoleillement à une époque où la couverture végétale était si dense qu’elle empêchait la lumière d’atteindre le sol. On a découvert que certaines orchidées seraient probablement devenues épiphytes pour fuir un sol saturé d’eau au cours de périodes où leur habitat était submergé par des pluies torrentielles. Ainsi, certaines plantes ont ainsi été forcées de quitter le sol pour survivre en s’accrochant aux arbres ou à des rochers surélevés.
Décoder le génome végétal: un travail de moine!
C’est par l’analyse des structures ADN des plantes (la phylogénétique) que l’historique de leur évolution a pu être récemment déchiffré. En effet, le génome contient non seulement l’information morphologique «actuelle» des végétaux, mais aussi celle de leurs ancêtres, du moins en partie. Grâce à l’utilisation de différents modèles d’analyse très complexes, il est possible d’obtenir (en grande partie) le récit de l’évolution de la plante consigné dans son génome!
Évidemment, chaque espèce végétale a sa petite histoire puisqu’elle a été soumise à des contraintes environnementales particulières à son habitat. Cependant, l’analyse génétique d’un grand nombre d’orchidées indique que l’épiphytisme serait apparu au moins trois fois chez les orchidées; soit il y a 39 millions d’années, soit 11,5 millions d’années et également quelques 4,1 millions d’années avant notre ère.
Les conformités végétales prédisposant à l’épiphytisme
Quelles que soient la localisation géographique et l’époque de ces transformations, on remarque que le cheminement vers l’épiphytisme a été marqué par des jalons évolutifs comparables.
Par exemple, l’épaississement du feuillage est une conformation courante chez les épiphytes permettant la création de petites réserves d’eau souvent salutaires aux plantes hors-sol. La «succulence foliaire» (comme la nomment les scientifiques) peut s’être développée avant ou après la migration vers les branches des arbres, mais elle demeure toutefois un réel atout d’adaptation pour les orchidées perchées en hauteur.
L’autre adaptation très complice de l’orchidée épiphyte est la «succulence des tiges». Les tiges qui soutiennent les feuilles se sont alors épaissies pour stocker de l’eau et des nutriments. Avec le temps, les tiges se sont généralement transformées en pseudo-bulbes bien joufflus pour offrir encore plus de réserves à la plante, comme on peut le constater sur la photo ci-dessous. La succulence des pseudo-bulbes aurait précédé la montée aux arbres des orchidées d’environ 4 millions d’années. C’est donc une transformation morphologique antérieure à l’épiphytisme chez les orchidées étudiées.
Le plus spectaculaire
Le changement morphologique le plus spectaculaire se situe toutefois au niveau des racines parce qu’étant accrochées aux arbres, elles n’ont plus de sol pour assurer une réserve d’eau et de nutriments. La plante perchée en hauteur a dû développer une toute nouvelle structure de capture et de rétention d’eau, c’est le «vélamen». Il s’agit en fait d’une sorte de velours végétal qui entoure les racines, et qui se gorge d’eau à la moindre averse. Le vélamen serait apparu à plusieurs endroits du globe et au cours de différents bouleversements climatiques.
Dans une prochaine chronique, on vous présentera en détail les différentes formes de vélamen, ce qui est en fait d’une extrême importance pour le collectionneur d’orchidées. Une mauvaise compréhension du fonctionnement racinaire s’avère être la principale cause d’échec chez les collectionneurs débutants. Les racines à vélamen doivent être arrosées et fertilisées de manière très différente des racines terrestres standard.
Le tango climatique
L’une des révélations choc des recherches phylogénétiques a été la démonstration éloquente et inattendue d’une certaine réversibilité de l’épiphytisme. En effet, on a maintenant la preuve que plusieurs orchidées épiphytes sont redevenues terrestres quand les conditions climatiques l’ont permis. Ainsi leur «mémoire génétique» les a directement aidées à passer d’un état aérien à un état terrestre, et inversement, lorsque l’environnement l’imposait.
J’aime penser que ces plantes «dansent sur la musique climatique», effectuant un «grand écart» vers le sommet des arbres et un pas de recul vers le sol en fonction des conditions prévalant dans l’environnement courant. C’est un exemple franchement impressionnant d’adaptation biologique où la richesse du génome semble avoir joué un rôle majeur dans la survie de plusieurs espèces végétales.
La vanille, cette ambivalente!
Vous le savez peut-être déjà: la vanille est une orchidée. C’est l’une des rares orchidées cultivées à grande échelle à des fins de consommation alimentaire humaine. Sa production est particulièrement laborieuse et complexe, ce qui en fait l’un des produits alimentaires des plus précieux.
En fait, la vanille (Vanilla planifia) est une orchidée grimpante qui s’allonge comme une liane jusqu’à atteindre quelque 10 mètres de hauteur si elle trouve un appui adéquat. Sa croissance débute normalement au sol, mais, durant son développement, elle produira régulièrement des racines aériennes et des racines d’ancrage qui se fixeront au support qui lui sert d’appui. Ces mêmes racines lui permettront de s’enraciner rapidement si la tige est coupée et remise en contact avec le sol. Il semble que le bagage génétique de la vanille ait maintenu cette ambivalence terrestre/aérienne pour lui conférer une formidable capacité d’adaptation et de résilience aux intempéries.
Remerciements
L’auteur souhaite souligner l’impressionnant travail de recherche effectué au Muséum national d’histoire naturelle (Université de la Sorbonne) par Mme Géromine Collobert et d’autres chercheurs sur la Phylogenèse des Orchidées. Ses travaux sont inégalés et extraordinairement précieux pour le monde horticole.
Note de l’éditeur
Les chroniques sur les orchidées de M. Charpentier sont publiées sur le site du Jardinier paresseux dans un modèle légal de type «Copyleft». La republication de ses chroniques est, de ce fait, permise à la condition d’y ajouter la mention suivante:
Cet article a été initialement publié sur le site internet du JardinierParesseux (en français) et en version anglaise sur le blogue Laidback Gardener.
Un grand merci pour le partage de vos connaissances! J’ai beaucoup appris en vous lisant!
Très intéressant! Merci!
Article très intéressant illustré de magnifiques photos “parlantes”. Sur la première, on voit à quoi servent, dans un milieu naturel épiphyte, les racines gris-vert des orchidées. Elles s’accrochent au tronc de l’arbre hôte pour ancrer la plante. Comme vous collectionnez des hoyas, ce serait intéressant de lire un article sur ce sujet rarement traité.
Merci de votre suggestion – Juliette. Je prévois justement écrire une petite chronique sur les hoyas en 2025. En attendant, je vous suggère d’entrer le mot-clé ‘HOYA’ dans la fenêtre de recherche (en haut – à droite) de cette page. Vous aurez ainsi accès aux publications antérieures de ce blogue sur ce sujet. Il y en a plusieurs !
Je suis impatiente de vous lire sur ce sujet et d’explorer le site qui recèle des ressources précieuses. Un grand merci!
Merci ! Tant pour l’écriture (simplifier des textes scientifiques sans perdre l’essentiel pas toujours évident) et pour la recherche.
Super intéressant !
Merci grandement de nous faire apprécier le travail effectué au Muséum national d’histoire naturelle par la « moniale » (vous avez bien parlé de travail de moine), Mme Collobert, et les autres chercheurs.
Bonjour ! C’est toujours un plaisir de voir votre courriel arriver dans ma boîte aux lettres.
J’ai une question à laquelle vous choisirai peut-être de répondre. J’ai un immense pin près de mon jardin. À l’automne, il perd beaucoup d’aiguilles et mon jardin en est recouvert. Puis-je les laisser là et les mêler un surface avec la terre, au printemps, ou dois-je les retirer ? Elles nourrissent le sol ou le rendent trop acide, ou trop alcalin ? Devrais-je plutôt les mettre au compost ou pas ?
Merci de m’éclairer !
Pierre vaillancourt
Rosemère