Des faux ongles qui bougent? Non! Un insecte à découvrir!
Je prenais une marche sur la piste cyclable près de chez moi l’autre jour avec mon conjoint quand celui-ci s’est soudainement arrêté net. Avec son œil de lynx habituel, il avait repéré quelque chose d’intéressant: une bouse plus ou moins fraîche… grouillante de vie! Et nous voilà partis, tous les deux accroupis pendant cinq bonnes minutes, à fixer un caca avec beaucoup trop d’enthousiasme et d’attention, pendant que les cyclistes et piétons continuaient de passer à côté de nous.
Mais ce qui nous captivait tant, c’étaient ces gros coléoptères noirs et jaunes qui s’affairaient sur notre trouvaille malodorante. Des silphes d’Amérique (Necrophila americana), pour être précise – et, non, ce n’est pas moi qui ai inventé ce nom latin un brin dramatique!
Portrait-robot: un faux ongle qui bouge
La première chose qui frappe quand on voit un silphe d’Amérique, c’est à quel point il a l’air… artificiel! Avec son corps noir brillant orné d’un thorax jaune vif, on dirait vraiment un faux ongle qui aurait pris vie et décidé de se promener. Rien à voir avec l’aspect duveteux et chaleureux d’un bourdon! Le coléoptère mesure entre 1,5 et 2 cm de long, et ses élytres un peu raboteux lui donnent un air de morceau de plastique.

Il y a une anecdote historique d’entomologistes (le petit nom des chercheurs sur les insectes) qui faisaient des recherches sur les bourdons qui me fait bien rire. Fisher et Tuckerman ont écrit en 1986: «notre attention a été attirée sur les similitudes entre les femelles de Psithyrus ashtoni et les adultes de Necrophila americana pendant le printemps de 1982, quand l’un de nous, en cherchant des femelles de Psithyrus, a poursuivi par erreur un adulte de N. americana.»
Comme un bourdon?
Bon, je vous accorde que de loin, avec les couleurs noir et jaune, on peut s’y tromper. Mais de près? Franchement, c’est comme confondre un chat avec un chien parce qu’ils ont tous les deux quatre pattes… Le bourdon est tout poilu et rebondi, tandis que notre coléoptère est plat et glabre! N’empêche, cette anecdote a marqué les esprits, car plusieurs sources d’informations citent le bourdon comme un sosie des silphes! Je vous laisse juger:

Autre point qui me fascine dans cette anecdote un peu étrange, c’est qu’on ne voit pas souvent les silphes en vol. Ces coléoptères passent une grande partie de leur temps au sol, occupés à leurs affaires de décomposition… Bref, si vous voyez quelque chose de noir et jaune qui vole, c’est probablement un vrai bourdon! … … … À la relecture de cette phrase, je me rends compte qu’au fond… C’est comme ça qu’on tient pour acquis que notre silphe est en fait un bourdon! Pardon de vous avoir jugés, messieurs chercheurs!
Pourquoi ADORE-t-on les silphes?
Cet insecte, vous pourriez très bien le croiser chez vous aussi. Pas au milieu de votre salon, rassurez-vous! Mais peut-être sur des excréments ou sur la carcasse d’un petit animal sauvage – quoique j’imagine que la plupart d’entre nous ne laissons pas traîner ce genre de «décoration» longtemps dans nos aménagements! C’est que cet insecte est un décomposeur et pas n’importe quel! Un charognard qui se spécialise sur les cadavres putréfiés. Les VIEUX animaux morts.
En fait, c’est un véritable spécialiste: contrairement à ses cousins enterreurs (Nicrophorus) qui préfèrent les carcasses fraîches qu’ils enfouissent, notre silphe d’Amérique s’est spécialisé dans les carcasses plus âgées et desséchées. Malin comme stratégie: moins de concurrence avec les mouches!

Pourquoi se trouvet-t-il parfois sur les excréments s’il se spécialise sur les vieux cadavres? Parce que dans les déjections de carnivores, il reste parfois des morceaux pas trop digérés de leurs proies ou un peu de sang… bref, un bon snack!
Un allié discret, mais efficace
C’est en fait un ami du jardinier qu’il vaut la peine de connaître, parce que quand on tombe nez à nez avec ce coléoptère assez costaud et impressionnant, ça peut être inquiétant si on ne sait pas de quoi il s’agit. Mais rassurez-vous: c’est un des gentils celui-là!
Ce coléoptère joue un rôle crucial dans l’écosystème de votre terrain. Il participe à la décomposition de la matière organique, libérant des nutriments qui seront disponibles pour vos plantes. Sans lui et ses collègues décomposeurs, votre jardin serait rapidement envahi de débris non dégradés, et, sans sa présence en particulier, de restes de petits oiseaux et rongeurs morts. Beurk!
Sauf que son rôle ne s’arrête pas là! Il est doublement utile dans la décomposition puisqu’il est aussi une espèce d’autobus pour des acariens microscopiques du genre Poecilochirus, qui voyagent sur son dos. Une fois arrivés sur une carcasse ou dans votre compost, ces petits acariens se détachent et se mettent à dévorer les œufs et larves de mouches. Résultat? Moins de concurrence pour les larves du coléoptère et moins de mouches embêtantes pour vous! C’est ce qu’on appelle une relation gagnant-gagnant-gagnant.
Un rôle divin?
En faisant des recherches sur les coléoptères nécrophages (qui mangent de la matière morte) et coprophages (qui mangent des excréments), je suis tombée sur plusieurs représentations divines les mettant à l’honneur. Ces scarabées décomposeurs sont présents dans plusieurs cultes, pas juste chez les amoureux d’écosystèmes!
On les retrouve dans les mythes de l’Égypte ancienne où le scarabée bousier était considéré comme sacré. Il était aux côtés du dieu Râ, roulant le soleil à travers le ciel: c’est poétique, non?
Plus près de chez nous, chez les Cherokees, c’est un coléoptère aquatique qui a créé la Terre. Selon leur mythe de création, avant que notre planète existe, toutes les créatures vivaient dans un royaume céleste. Toutefois, la place commençait à manquer. C’est alors qu’un coléoptère aquatique a décidé de plonger au fond des eaux primordiales pour aller chercher de la boue et la ramener à la surface. Cette boue s’est étendue petit à petit pour former une île qui est devenue notre Terre. Le Grand Esprit, une araignée, l’a ensuite stabilisée avec des cordes attachées à la voûte céleste. Je dois dire que j’adore les mythologies qui ont de belles histoires sur la faune et la flore locale… Peut-être un sujet pour ma prochaine série d’articles d’Halloween à explorer?
Tout ça pour dire: si vous croisez un silphe d’Amérique chez vous, saluez-le de ma part! Pas besoin de l’encourager spécialement, de l’attirer, ou de vous en inquiéter – c’est un voisin qui fait son travail tranquillement, discrètement, et efficacement. C’est le signe que votre cycle de décomposition fonctionne à merveille!
Je vous accorde que c’est moins photogénique qu’un papillon ou qu’une coccinelle (surtout sur une vieille crotte!). Mais parfois, les héros les plus efficaces de nos terrains sont les plus discrets.
Bravo! Encore un article fort intéressant… et rassurant. En effet, mieux on connaît nos insectes et leurs rôles, moins on est portés à vouloir tous les écraser.
Merci pour votre article. Très intéressant. Apprendre à connaître mieux ces petites bibittes, c’est rassurant!
Merci pour cet article très instructif. Et les fourmis pouvez-vous me dire à quoi servent-elles ??
très intéressant comme anecdotes. En effet, des articles sur les insectes et la mythologie pourraient être un bon filon pour la prochaine thématique Halloween (ou autre). Tu as un don pour nous faire apprécier ces petites bêtes
Bonjour Audrey,
Merci ! Rencontre d’une belle bibitte ! Chanceuse !
Et merci pour cette référence au conte Cheerokees et à la mythologie égyptienne, là aussi une belle découverte.
Je serais curieuse et intéressée d’aller à la découverte de la faune et de la flore de cette manière. Bonne journée !
Comme les chats viennent souvent laisser des cadeaux odorants et parfois des oiseaux morts dans mon jardin urbain, je vais rester vigilante. J’aimerais bien en « spotter » un, car je les trouve très beaux. merci pour un autre article instructif et rigolo.
Très intéressant cet article et présenté à ta façon humoristique, j’en prendrais tous les jours. Merci Audrey
Bel article la migration des animaux est en cours avec les chaleurs caniculaires Vas savoir ton faux ongle se retrouvera peut être dans ma Sologne apn sera content de lui tirer le portrait .
Chère Audrey,
Je m’ennuyais de lire tes textes si merveilleux. J’ai acheté le livre de Etienne Normandin sur les insectes du Québec. En genéral, on a la peur des insectes. Quand on apprend leur rôle, on s’apperçoit que c’est un monde merveilleux! P.s J’ai beaucoup de fourmis dans mon potager, mais je les laisse faire.
Mes textes sortent tous les jeudis! À la semaine prochaine!
Merci pour cette belle découverte!
Bravo Audrey, très intéressant et instructif cet article.
Merci Audrey. Jamais vu en France je connais les lucarnes qui mangent le bois mort. Belle journée à vous
Merci ! Votre article était vraiment intéressant et recherché! À Sept-Îles je n’en ai jamais vu mais nos forêts prolifèrent de tordeuses d’épinettes un vrai fléau! Merci encore!
J ‘en voie de temps en temps chez moi.