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Des bananes québécoises? Plus facile qu’on pense!

Ah, les bananes! Ces fruits jaunes et riches en potassium qui nous viennent de contrées lointaines, transportés par bateaux et camions sur des milliers de kilomètres avant d’atterrir dans nos épiceries. On les associe aux tropiques, aux palmiers et aux plages de sable fin et pas vraiment au Québec avec ses -30 °C en hiver et ses printemps capricieux, n’est-ce pas?

Et pourtant! Pendant que nous nous plaignons du froid et de la neige, à Saint-Eustache, une femme cultive des bananiers. Non, pas comme plante ornementale ne donnant jamais de fruits, elle cultive de vrais bananiers productifs, avec de vraies bananes comestibles! J’ai rencontré Myriam de la pépinière Éco-Verdure, qui nous prouve que l’impossible n’est qu’une question de perspective et d’audace.

Un projet qui a porté ses fruits (littéralement!)

La pépinière Éco-Verdure est une affaire de famille. Des grands-parents au père de Myriam, et maintenant à elle-même qui en devient copropriétaire, cette entreprise horticole s’est forgé une solide réputation au fil des générations. Il y a trois ans, Myriam a simplement décidé de planter un bananier Cavendish (Musa acuminata) dans la serre, par curiosité. Un test, pour le plaisir.

La surprise a été totale quand, après seulement six mois, le premier bananier a commencé à fleurir. Trois mois plus tard, ce sont 250 bananes qui pendaient fièrement au bout de sa tige, formant ce qu’on appelle un «régime» de bananes. Chaque arbre ne produit qu’une grappe dans sa vie, mais quelle grappe! Maintenant, quand on lui dit que quelque chose ne se fait pas au Québec, sa réponse est simple: «Pourquoi pas!».

Je m’attendais à ce que Myriam me parle de techniques complexes, d’investissements faramineux ou de soins quasi hospitaliers pour ces plantes tropicales. Mais son enthousiasme communicatif et sa générosité en temps et en conseils m’ont vite fait comprendre que je faisais fausse route. C’est en fait tout à fait dans les cordes d’un jardinier paresseux!

 Les secrets (pas si secrets) de la culture du bananier

Le secret de sa réussite? Un engrais riche en silice. Les bananiers sont gourmands, mais pas compliqués. La silice, naturellement dégagée par les algues, est la clé du succès. Chez Éco-Verdure, ce n’est pas un problème: ils disposent d’un étang à truites qui leur fournit tout l’engrais nécessaire. C’est un parfait exemple de permaculture, où les déchets des uns deviennent la nourriture des autres.

Côté conditions, les bananiers se montrent étonnamment peu exigeants. Un minimum de 15 °C en hiver est maintenu dans la serre, mais même durant la saison froide, elle atteint facilement 25 °C les jours ensoleillés. C’est donc une culture presque sans chauffage artificiel. L’humidité est maintenue à environ 50% – bien moins que les 80-90% des tropiques! Quant à l’éclairage, pas besoin de lampes dispendieuses: le soleil naturel suffit amplement, même en hiver.

Je ne sais pas pour vous, mais ça ressemble drôlement aux conditions d’une maison, non?

Le seul véritable besoin des bananiers est l’espace, surtout pour les racines.

En nature, sans couper les troncs qui ont fructifié, ça devient très dense! Photo: mackbrennan16

Ils ont besoin de pots d’au moins 22 pouces de diamètre, idéalement 33 pouces, mais à la pépinière, ils sont directement en pleine terre. Côté hauteur, les variétés Cavendish vendues aux clients atteignent environ 8 à 9 pieds – parfaitement gérables dans une maison.

Et, oui oui, chers passionnés de bananes, vous avez bien lu: Éco-Verdure vend de jeunes bananiers pour que, vous aussi, vous puissiez manger 250 bananes d’un coup!

Le cycle du bananier: pas de printemps des fous ici!

Contrairement à nos plantes indigènes qui ont besoin des signaux saisonniers pour réguler leur cycle (comme la durée du jour, ou le froid hivernal), les bananiers en serre suivent leur propre rythme. Ils n’ont pas de saison de floraison particulière – c’est quand ils sont prêts qu’ils fleurissent, peu importe la luminosité ou la température environnante.

Une fois que l’unique régime est récolté, la tige principale, appelée stipe, (le «tronc») doit être coupée. Mais pas d’inquiétude, les bananiers produisent naturellement des rejets à leur base – généralement trois – qui prendront le relais. 750 bananes en perspective dans 6 à 9 mois! Ça en fait du pain aux bananes!

Ces rejets sont des clones du plant principal. Chacun de ces nouveaux plants produira à son tour trois rejets, et ainsi de suite. À la pépinière, le premier bananier, âgé de trois ans, montre déjà plusieurs cycles de troncs coupés après production et de nouveaux rejets qui poussent tout autour de la base.

Cette succession naturelle permet d’avoir une production échelonnée toute l’année si on planifie bien ses plantations. Pas de saison des bananes, juste une récolte continue!

Une particularité intéressante: les bananes ne mûrissent pas sur le plant dans les conditions québécoises (sauf en plein été quand il fait très chaud). Myriam a donc développé une technique simple, mais efficace: elle utilise l’éthylène naturellement dégagé par les bananes mûres pour faire mûrir ses propres fruits.

Elle a commencé par acheter une banane du commerce pour faire mûrir son premier lot. Ensuite, elle a utilisé ses propres bananes mûres pour faire mûrir les suivantes. Elle cherche activement quelqu’un qui pourrait lui vendre de l’éthylène directement pour ne plus dépendre des bananes importées, si vous connaissez quelqu’un...!

Au-delà de la Cavendish: la biodiversité tropicale s’invite au Québec

Si vous pensez que toutes les bananes sont jaunes et qu'elles ont le même goût, détrompez-vous! Il existe plus de 1000 variétés de bananes dans le monde, de toutes les couleurs, formes et saveurs. Pourtant, dans nos épiceries, on ne trouve pratiquement que la Cavendish, seule variété exportée de manière commerciale à grande échelle; un bien triste monopole qui nous prive d’une richesse gustative incroyable, en plus d’être assez fragile comme culture.

Si vous vous souvenez de mon article sur l’histoire de la banane, je parle des risques d’avoir des cultures entièrement composées du même individu cloné et de leur sensibilité aux maladies.

Myriam a décidé de faire un pas vers cette diversité secrète qui n’est pas disponible dans les marchés. La pépinière cultive déjà 5 ou 6 variétés productives, mais l’objectif est d’en avoir une quinzaine dans les prochaines années. Des bleues, des rouges, des roses! Chacune avec sa saveur unique.

Bananes bleues.

Le projet le plus ambitieux de Myriam?

Acclimater progressivement certaines variétés pour tenter de les cultiver en extérieur au Québec, avec une protection minimale. Elle espère développer des bananiers productifs qui pourraient s’adapter à notre climat nordique, un défi passionnant.

Mais ses ambitions ne s’arrêtent pas aux bananes. La serre abrite déjà des papayers, des babacos (une sorte de papaye sans graines), des avocats, et une impressionnante collection d’agrumes. Et ce n’est qu’un début.

Myriam veut faire pousser tous les fruits qu’on n’a pas naturellement au Québec. Des mangues, des ananas comme couvre-sol autour des arbres, des grenades, des kiwis tropicaux, des fruits de la passion, des pitayas… C’est un grand pas vers l’autonomie alimentaire.

L’image qu’elle décrit ressemble à un jardin d’Éden tropical, niché au cœur du Québec. Et pourquoi pas? L’impossibilité d’hier devient souvent la réalité de demain. D’ailleurs, voici des papayes!

Question prix, les bananes Cavendish et plantains de la pépinière sont vendues au même prix qu’à l’épicerie (5$ pour 6 bananes), en raison d’une réglementation sur ces variétés communes. Les variétés spéciales seront évidemment un peu plus chères: la vitesse de production, la grosseur du régime et les besoins en espace des arbres influenceront le prix des fruits.

L’empreinte écologique: quand local rime avec tropical

On pourrait penser que faire pousser des bananes au Québec demande une débauche d’énergie, mais c’est tout le contraire. Comme la pépinière disposait déjà d’une serre, les seuls coûts supplémentaires sont l’électricité et le chauffage, ce dernier étant minimal.

Local rime avec écologie: pas de bateau, pas de camions réfrigérés, pas d’entrepôts climatisés. Ces bananes vont directement de la serre au consommateur. Éco-Verdure ne vise pas les grandes chaînes d’épicerie, mais plutôt les restaurants locaux et les petites épiceries de quartier. (D’ailleurs, si comme moi, Saint-Eustache est trop loin pour aller vous chercher des bananes, Myriam est très ouverte à partager ses connaissances à d’autres pépinières qui voudraient se lancer dans l’aventure!)

Une serre entière se fait aménager au moment de la publication de cet article (cette photo n’en montre que la moitié!) pour augmenter la productivité. Des fruits tropicaux, arrosés à l’eau des bassins de poissons, avec un potentiel système de chauffage alimenté au gaz des rebuts végétaux en décomposition.

Dans une perspective de permaculture totale, un projet pour extraire l'huile des troncs de bananiers coupés à des fins cosmétiques est en marche. Rien ne se perd chez Éco-Verdure: ni le caca de poissons, ni les gaz du compost, ni les vieilles tiges de bananes!

Un pas de géant vers l'autonomie alimentaire

En quittant la serre d'Éco-Verdure (sous une pluie glacée, soit dit en passant!), j’avais quand même une petite déception… C’est beaucoup trop loin de chez moi pour y retourner régulièrement… En plus, niveau logistique, je n’ai pas pu repartir avec un bananier… Mais j’ai déjà décidé quelle pièce de ma maison accueillerait ledit bananier dans l’avenir!

Outre les bananes, j’ai ADORÉ cette pépinière. On s’y sent comme dans un jardin botanique, et non dans un magasin. On peut y apprendre énormément sur les plantes, mais aussi sur l’autonomie, l’écologie, et la résilience. On y découvre des méthodes, de nouveaux fruits (essayez donc le calamondin!) et une belle humanité.

La mission de Myriam à travers tous ses projets présents et futurs est claire: montrer aux gens ce qu'ils mangent, d'où viennent leurs aliments, et à quel point tout est possible. Cette expérience nous invite à repenser notre rapport aux aliments et à leur provenance. Si des bananes peuvent pousser à Saint-Eustache, qu'est-ce qui nous empêche de cultiver d'autres «impossibles»? À quand la cannelle et la vanille québécoise? J’attends!


  1. Je trouve vos articles passionnants, stimulants, vraiment intéressants et si précieux. Surtout avec ce qui nous pend au bout du nez avec Trump… SOUVERAINETÉ OBLIGE… Bonne continuation!

  2. Quelle article inspirant, Merci Audrey de nous faire découvrir ces entreprise innovante. Je planifie une petite rando a St Eustache.

  3. Wow ; bravo et immense merci à Myriam – et merci de partager cette inspirante et fantastique mission de Myriam.
    Je ‘sème’ l’idée que de plus en plus de gens en prennent connaissance et lui emboîtent le pas, ou du moins la soutienne, ne serait-ce qu’en bonnes pensées. Vive ces beaux projets ! Et ces beaux partages ! 🙂

  4. La banane est mon fruit préféré. Pour son goût, mais surtout pour la constance contrairement aux autres fruits. On n´à jamais de surprises. Bien curieux de voir cette serre et d´en apprendre plus.
    Mon solarium est probablement trop froid avec parfois du givre sur les vitres. Un truc quasi éternel qui s´y plaît est une botte
    d´échalotes de l´épicerie. En ne prenant de temps en temps qu´une tige, elle a maintenant plus de 7 ans ! En en plantant plusieurs, plus besoin d´en acheter. Du tout frais à l´année avec la précieuse goutte qu´il ne faut pas perdre lors de la coupe de la tige. Vraiment pas compliqué à faire pousser. Juste à l´arroser de temps en temps, et parfois une grosse fleur en mars pour de futures semences. Quand je pense à ces pauvres en épicerie que l´on assassiné à la cuisine…..
    Plantez les, bien meilleures pour vous et elles.
    Merci Audrey pour la banane.

  5. Je reste à dix minutes de ce centre de jardin . Quelle joie et bonheur lorsque j’irai probablement plusieurs fois durant la belle saison

  6. Wow! C’est tentant d’essayer à la maison. J’ai la pièce idéale pour un bananier. Bravo!

  7. Huguette St-Germain

    Chère Audrey, elle existe notre vanille québécoise : la fleur et l’essence de mélilot !
    De loin, beaucoup plus raffinée que l’essence de vanille d’ailleurs. Disponible dans toute épicerie de produits fins.

  8. Vraiment intéressant. Merci pour cet article. Louis.

  9. Merci pour cet article qui amènera des curieux dans ma région! Éco-Verdure est l’endroit parfait quand on a un p’tit blues vers la fin du mois de mars, quand l’hiver s’accroche. C’est vert partout, c’est chaud et ça nous fait rêver à l’été. On y trouve tout pour le jardinage. Et il y a toujours un chat qui nous accompagne dans notre visite des serres (j’adore les chats). Bravo à cet entreprise familiale!

  10. Bonjour,
    Il est bien interessant de constater qu’une pépiniériste fait des expériences pour faire pousser des fruits tropicaux en serre au Québec pour les commercialiser.
    Mais pour voir comment ils poussent et. Avoir des informations vous pouvez depuis bien longtemps les voir dans la serre des plantes tropicales alimentaires du Jardin botanique de Montréal où plusieurs de ceux mentionnés et d’autres encore font des fruits. Et les guides du Jardin se feront un plaisir de vous en parler.

  11. C’est super cet article Audrey, c’est très brillant et débrouillard cette serre. Et si les gens prenaient le temps de faire des jardins petit ou grand nous pourrions échanger entre voisin et partager le savoir de l’un et de l’autre entre nous. Nous sommes rendus là pour subvenir à nos besoins. On sait pas ce qui nous pend au bout du nez avec les US.

  12. Merci pour cet article très intéressant..
    Cependant il existe de la vanille québécoise…du mélilot…Que je cueille et fais ma propre essence de mélilot…ça fait 4 ans que je n’achète plus d’essence de vanille …et c’est très bon…voir l’entreprise gourmet sauvage…

  13. Elle n’est pas la seule à avoir des bananes « made in Quebec ». Montréal Tropical propose un bananier tolérant à nos hivers, le musa Basjoo qui résiste au froid, avec une certaine protection. J’en ai commandé un, j’ai hâte de voir ce que ça donne!

  14. Bravo pour cette belle réussite !! J ai un bananier et j serait d’avoir par quoi remplacer votre eau de truite comme nutriments?

    • Les truites ne sont pas là clé ici, mais bien les algues! De l’eau d’aquarium (qui contient quelques plantes aquatiques), et peut-être même de l’engrais d’algues doivent faire l’affaire !

  15. Vu que l’on produit des gousses de vanille en Bretagne, pourquoi pas au Québec ?

    • Hello Catherine, Votre commentaire me fait dresser l’oreille : des gousses de vanille en Bretagne ? Vous auriez une adresse ou des informations sur ce sujet à partager ? Merci de Touraine 🙂

  16. Des bananes roses, bleues et autres, que c’est joli.

  17. Je sais qu’il y a des gousses de vanille qui poussent au Paradis des Orchidées à Laval!

  18. Joe Gustave Sama Tocko

    Très impressionnant ce que vous faites est ce que vous acceptiez des visites ? J’aimerais voir vos bananier et faire une vidéo dessus.
    Merci

  19. Myriam peut mettre des oranges pour le mûrissent des bananes. C’est une belle initiative. Vive l’indépendance alimentaire. Merci pour cet article Mme Martel.

  20. Tellement aimé l’article, nous avons fait une bonne route pour aller se chercher un bananier à la serre de St eustache. Bel endroit. Et j’ai maintenant mon bananier. ?

  21. Tellement aimé l’article, nous avons fait une bonne route pour aller se chercher un bananier à la serre de St eustache. Bel endroit. Et j’ai maintenant mon bananier. ?