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Légende de Noël: le gui et le sapin

Pour continuer l’heure du conte végétal, j’ai pour vous une nouvelle histoire. Et pour vous, je ne recule devant rien: dans cette réinterprétation de mythes, ce n’est pas une, mais bien DEUX légendes qui seront mises à l’honneur en un seul article.

Le druide et l’apprenti

Il était une fois le jardinier Paressix. C’était un Gaulois qui était très habile avec les plantes, mais qui n’avait pas vraiment de talent pour autre chose. Et ce n’était pas faute d’avoir essayé: tout le monde dans son village l’avait eu comme apprenti à un moment ou un autre! Mais voilà: Paressix était assez maladroit et lunatique. Outre son magnifique jardin, rien ne lui réussissait…

Sous sa surveillance, le troupeau de vaches s’était enfui et il avait fallu des heures pour le ramener.

Il n’avait pas eu plus de chance avec les moutons sur lesquels il avait renversé l’encre du scribe et qui étaient restés tachés des semaines. Quant au scribe, il ne voulut plus jamais entendre parler de Paressix.

Il avait entrepris d’apprendre la maçonnerie et s’était cassé le pied en laissant tomber une pierre.

Le métier de barde, qu’il avait tenté d’exercer spontanément un soir de banquet, lui avait valu de passer la nuit ligoté dans un arbre.

En essayant de vendre du poisson, il fit une réaction allergique qui le tua presque, et en essayant de vendre de la viande dans le kiosque d’en face, il reçut un poisson en plein visage, faisant une seconde crise d’allergie.

En voulant apprendre le maniement des armes, il coupa la moitié de sa moustache.

En expérimentant la chasse au sanglier… eh bien personne ne sut vraiment ce qui se passa, mais il ne put s’asseoir pendant plusieurs jours.

Bref, Paressix était bien en peine de se trouver un métier.

Un jour, un druide voyageur passa par leur village. Il était en quête de l’ingrédient suprême, la plus magique de toutes les plantes: le gui le plus âgé, ayant poussé sur le chêne le plus énorme de tous. En entendant sa requête, les villageois lui souhaitèrent bonne chance, mais peu d’entre eux étaient même suffisamment connaisseurs pour identifier ladite plante. Seul Paressix se manifesta pour aider le druide. Ils passèrent beaucoup de temps ensemble et le druide finit par déclarer que Paressix, s’il le souhaitait, pouvait venir avec lui et devenir son élève.

Photo: Flash Dantz

«Vous vous exposez, cher druide, à bien des ennuis, avec Paressix!» dirent les plus polis. «Bon débarras!» clamèrent les plus amers. «Il attire les ennuis! Coupez un arbre et il tombera dans sa direction!» chantonnèrent les perspicaces.

«Vous verrez, je trouverai le gui et deviendrai un grand druide!» clama Paressix avant de tourner les talons et de quitter son village avec le druide voyageur, non sans trébucher sur une pierre au passage.

Tout au long de leur quête pour trouver le gui le plus puissant de tous, Paressix apprit énormément sur la magie, et démontra un talent certain pour la médecine à base de plantes. Malgré les potions renversées, les enlisements dans les marais spongieux et les multiples coupures avec les différents outils, le bon druide était patient et compréhensif. Il profitait des maladresses de son élève pour lui montrer les vertus des plantes et riait volontiers de ses erreurs plutôt que de s’en fâcher.

Avec le temps, Paressix devenait plus à l’aise et confiant. Il parvenait à confectionner les potions les plus complexes sans faire de bêtise et était très apprécié dans les villages qu’il visitait. Il était si humble et sympathique, qu’on le pardonnait volontiers quand il marchait sur le pied du chef ou qu’il laissait tomber des œufs frais.

Un jour, alors que le vieux druide se faisait vieux, il annonça à Paressix que le temps était venu pour lui de se retirer. Paressix ayant maintenant tout appris ce qu’il pouvait apprendre devait continuer sa quête seul: trouver le gui le plus puissant, celui aux vertus si incroyables que c’était le seul secret que le guérisseur ne lui avait pas révélé.

Le maître remit à l’élève sa serpe d’or sacrée, celle qui servirait à cueillir le gui le sixième jour du mois du calendrier celte, au cas où il trouverait la plante un jour, et s’inclina devant son élève. Le Gaulois implora son maître de l’accompagner dans un dernier voyage vers un village éloigné n’ayant jamais reçu leur visite. À force de suppliques, l’ancien maître accepta, sourire aux lèvres, de suivre Paressix.

Ils en avaient parcouru du chemin ensemble! Leurs périples avaient été multiples et voilà que Paressix conduisait son vieux maître au nord des Pays-Bas.

Le chêne et le gui

Là-bas, le monde était bien différent: les gens, les coutumes, mais aussi la végétation. Coup de chance, c’est exactement là qu’ils trouvèrent l’objet de la quête de toute une, voire deux, vies: le plus gros chêne avec le plus gigantesque gui qu’ils n’eurent jamais vu. Il ne restait plus qu’à attendre le bon moment pour le cueillir: le 6e jour du mois, soit quelques jours après le solstice d’hiver.

Leur impatience était grande: le chêne était si gigantesque qu’il aurait fallu que plus de vingt hommes se donnant la main pour faire le tour du tronc. Les branches les plus hautes semblaient se perdre dans les nuages, ou peut-être était-ce un début de myopie… Mais une chose était certaine: l’arbre dont les feuilles étaient tombées pour l’hiver laissait voir un énorme buisson de gui au feuillage bien vert entremêlé dans ses branches. Un arbre semblait avoir poussé à même le chêne géant, mais ses branches tombantes ne laissaient planer aucun doute: c’était bel et bien un gui.

Chaque année, le gui ajoute un segment qui se divise en Y à ses tiges. Il est donc facile de compter le nombre de nœuds pour connaître l’âge d’un spécimen. Mais ce gui était si vieux, long et enchevêtré qu’il fut impossible de compter au-delà de 120 segments: du jamais vu, puisque le gui ne vit d’ordinaire pas plus de cent ans.

Photo: Susanne Jutzeler, suju-foto

Confiants, heureux, les deux druides passèrent plusieurs jours à célébrer les fêtes du solstice avec les villageois de Dokkum, le village où ils s’étaient arrêtés. Ils apprirent que le chêne découvert était un arbre sacré et vénéré de tous. Chacun fut enchanté d’apprendre que le gui qui le parait avait des pouvoirs de guérison uniques. Au solstice, on célébra, selon les traditions, en brûlant un grand arbre et en se souhaitant de bonnes récoltes.

«O ghel an heu!» s’écria Paressix. Il dut expliquer que ces mots provenaient d’une expression gauloise dite au solstice signifiant «Que le blé germe». Sa maladresse légendaire rendit ses propos un peu confus et plusieurs commencèrent à se souhaiter une bonne année en s’embrassant sous des branches de gui. C’est qu’ils avaient compris «Au gui l’an neuf»!

Pendant ces célébrations, un homme vêtu de noir s’immisça. Il marchait, voûté, et regardait autour de lui avec un regard mauvais. À un moment, il prit la parole, et tout le monde se tut, surpris par la présence de cet homme.

«PAÏENS! Votre foi repose sur le péché! La voix de Dieu vous délivrera!»

Bien peu de ces «païens» furent impressionnés par l’intrusion de ce prêtre. Ils continuèrent leurs célébrations, ne portant pas d’attention à ce rabat-joie… Sauf quelques-uns qui lui lancèrent des parts de gâteau, histoire d’apporter un peu de joie dans sa vie manifestement bien triste.

Le sapin et Saint-Boniface

Le lendemain de la fête, encore quelque peu engourdis des célébrations et de tous les baisers échangés sous des branches de gui, les druides se rendirent à leur chêne pour lui rendre un nouvel hommage, connaissant désormais son caractère sacré. Plus que quelques jours et ils pourraient récolter le gui. À en croire le plus âgé, ce serait le plus grand remède de l’époque: cette plante avait le pouvoir de changer l’Histoire!

Quand ils arrivèrent sur place, une surprise les attendait. L’étrange homme de la veille dirigeait des ouvriers, et ils… coupaient les branches basses de l’arbre!

«Ce culte païen doit cesser, c’est une injure à Dieu! Moi, Boniface, je serai l’évangéliste qui montrera à tous que rien n’est plus solide que l’Église!»

Affolé, Paressix accourut au village pour informer les autres. Un comité revint vers l’arbre sacré pour assister à la pire des offenses: les hommes avaient commencé à scier le tronc du gigantesque monument.

«Je vous prouverai que la foi en Dieu est ce qui est le plus fort! Et si VOS petits dieux sont si puissants, qu’ils m’arrêtent!»

L’homme en noir dirigeait bûcherons et soldats, et malgré toutes les suppliques, les injures, et la force qui fut déployée, les villageois de Dokkum ne purent arrêter le massacre de leur chêne géant.

Il fallut aux troupes de Boniface deux jours et deux nuits pour couper l’arbre. Le 24 décembre au matin, au moment de tomber, tout le village était réuni. Un craquement assourdissant retentit, dernier cri de souffrance de cet arbre millénaire, et il commença sa chute. Lentement d’abord, laissant la neige de ses branches rejoindre le sol piétiné en premier, puis comme au ralenti, il chancela, avant de s’effondrer au sol, réduisant en copeaux les autres arbres écrasés sous sa masse.

Un grand silence suivit.

Un pan de culture, et de forêt, venait de mourir.

«LÀ!!» s’écria soudain Boniface. «Un sapin a survécu à l’effondrement du chêne! C’est un signe divin! À partir de ce jour, le sapin sera connu comme l’arbre de l’Enfant Jésus! C’est la preuve IRRÉFUTABLE que la solidité de l’Église est plus grande que n’importe quelle autre croyance!»

Photo: Sam Divita

Dans son délire, Boniface se mit à monologuer, prier et bénir tout ce qu’il voyait. Loin de convaincre les villageois de rejoindre sa religion, cette démonstration finit de les convaincre que monsieur Boniface était tout simplement fou. Ce chêne, l’arbre sacré, était certes le plus gros, mais… il y avait d’autres chênes sur lesquels déposer leurs prières.

Mais cet homme maléfique qui caressait le jeune sapin survivant comme s’il s’était agi d’un petit animal, lui, il ne resterait pas! Ses yeux exorbités, l’écume aux coins de ses lèvres, et son penchant malsain pour le pauvre petit sapin qui n’avait rien demandé étaient de trop dans leur village.

Dans les jours qui suivirent, ceux qui avaient été nommés les «païens» par cet homme lui firent sa fête et… le tuèrent. L’église le sanctifia, louant sa mort en martyr, et la légende de Saint-Boniface, patron des brasseurs et des tailleurs, perdura. Aussi ridicules que puissent être ces dernières informations, cette partie est totalement vraie et consignée dans les livres d’histoire!

Et Paressix, dans tout ça? Eh bien, comme il avait un don pour être au mauvais endroit au mauvais moment, il se trouvait sur le chemin du chêne lors de sa tombée. Son idée n’était pas mauvaise: récolter le gui une fois l’arbre au sol. Mais son jugement des distances était, lui, un pur échec!

Le vieux maître, pour sa part, dut se rendre à l’évidence: Paressix avait un don avec les plantes… mais l’avoir choisi comme élève fut finalement une erreur. Riant dans sa barbe en se remémorant ses maladresses les plus acrobatiques, il reprit la route, se promettant d’emporter dans la tombe le secret des vertus du plus vieux gui poussant sur le plus gros des chênes.

Conclusion

Vous êtes perplexes? Moi aussi! Mais avouez que je vous ai quand même écrit une belle histoire, même si tout le monde meurt! Bon, ce n’est pas un conte de Noël à proprement parler, mais vous savez, raconter une histoire à partir d’une mauvaise traduction, avec le sacrifice d’un arbre, suivi d’un meurtre… Ce n’est pas toujours facile! J’espère avoir réussi à vous rendre le tout rigolo!

Mais vous savez maintenant pourquoi un sapin trône dans votre salon! Promis, la semaine prochaine, je vous écris un joli conte doux, plein d’amour… et de radis!


  1. Vous êtes vraiment une petite comique!

  2. C est toujours un plaisir de vous lire.
    On y apprend pleins de choses en vous lisant
    Merci

  3. Quelle belle légende! J’ai bien hâte de lire la prochaine

  4. Chère Audrey tu es toujours aussi surprenante! Tu m’as eue! J’y ai cru! Vivement jeudi prochain!

  5. Quelle belle plume vous avez! Félicitations!

  6. Très belle histoire. Merci.

  7. Très agréable à lire
    Vous avez un talent certain et en plus j’ai appris l’histoire du sapin de Noël
    En buvant son café du matin, ça commence bien la journée
    Merci

  8. J’ai bien rigolé. Merci pour ce bon moment encore une fois.

  9. Très intéressant, à quand la publication dans un livre de toutes vos chroniques et histoires ?

  10. Une écrivaine est née au pied d’un sapin!

  11. Savoureuse histoire! Merci.

  12. Paressix est maladroit et moi, un peu crédule… J’ai failli y croire. Hi, hi, hi…
    Merci pour m’avoir fait rire encore une fois!

    • L’histoire de Boniface est vraie, tout comme l’origine des baisers sous le gui, ainsi que le fait que c’était une plante très recherchée pour ses vertus 🙂

  13. Bravo chère Audrey pour cette belle histoire de Paressix. Joyeux Noël et bonne année.

  14. Te lire est un vrai…enchantement ! Merci.

  15. Oh que j’adore ce petit conte de Noël. J’ai vraiment beaucoup rigolé! Merci beaucoup.

  16. Félicitations pour votre conte. Il m’a pas du bien!
    Vous avez une belle plume! Merci!

  17. Super légende ! J’ai eu l’impression qu’Astérix et Obélix allaient surgir à plusieurs endroits de votre conte… Bravo et longue vie à vous, votre belle plume et votre imagination débordante. Vous êtes fort distrayante.

  18. Merci pour cette belle lecture! Continuez de nous enchanter! Joyeux Noêl!

  19. Quel enchantement !
    Vous avez une imagination inépuisable, vos contes sont fabuleux.
    Merci Audrey de nous faire rêver !
    Joyeux Noël et bonne année

  20. Bonjour,

    Une histoire bien singulière et qui sort de l’ordinaire ! 😀
    Merci.
    Cela est digne d’un conte d’un genre nouveau.
    Vivement le prochain !!

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