Categories

Recherche

Parlez-vous latin?

Le latin, pour vous, c’est du chinois? Vous ne voyez pas l’utilité du latin? Ou à l’opposé, c’est une étrange bibitte qui vous intrigue et que vous aimeriez apprivoiser? C’est le temps de dompter la bête!

Praeludia sponsaliorum plantarum, les préludes de la parade nuptiale des plantes, est un des premiers ouvrages rédigés par Linné en 1729. C’est près de 25 ans plus tard, en 1753 qu’il publiera Species plantarum, la toute première flore dans laquelle on utilise un système de classification à deux mots… en latin! Image: Wikimedia Commons

Allons-y avec un cas vécu. Gaëlle, fraîchement débarquée sur Le Plateau-Mont-Royal, est invitée chez sa nouvelle amie québécoise Judith, qui lui demande d’apporter un casseau de bleuets pour faire un renversé. Française d’origine, Gaëlle court chez à peu près tous les fleuristes dans un rayon de 12 km afin de trouver un joli bouquet de bleuets, qu’elle déniche à fort prix. Arrivée chez Judith, on lit l’étonnement et l’effroi sur le visage de l’hôtesse. Pas de dessert ce soir!

Cette situation catastrophique aurait pu être évitée, si seulement Gaëlle et Judith avaient parlé le même langage: le latin. Notre beau bleuet québécois, en latin Vaccinium corymbosum, est ce que Gaëlle appelle communément une myrtille. Quant au bleuet, selon Gaëlle, c’est une annuelle à fleurs bleues qu’on appelle ici la centaurée, et dont le nom latin est Centaurea cyanus. Ce n’est vraiment pas la même plante!

Parce qu’au fond, c’est quoi le latin?

Le latin c’est une très vieille langue qui a connu ses premiers adeptes vers le 1er siècle av. J.-C. Certains diront que c’est une langue morte, car effectivement, peu de gens parlent couramment le latin de nos jours. Mais au 18e siècle, quand on s’intéresse plus sérieusement à l’identification des plantes, le latin est une langue très en vogue et pratiquement internationale. Elle permet notamment à un botaniste italien d’échanger avec un passionné de plantes néerlandais, alors que l’un et l’autre ne pourraient pas se comprendre dans leurs langues respectives. Comme toutes les langues, le latin a évolué à travers les années. Il est passé de classique à médiéval à humaniste et ainsi de suite. Si bien que le latin utilisé aujourd’hui pour décrire et nommer les plantes est bien différent de celui que nos grands-parents ont appris à la petite école.

C’est la faute à Linné

Le latin est devenu le langage des plantes en partie à cause du suédois Carl von Linné (1707-1778). Ce naturaliste a décidé que chaque plante devrait être identifiée en latin, indépendamment de ses noms populaires «locaux». Ainsi, il a trié, classé et nommé plus de 6000 plantes et il a envoyé des émissaires dans toutes les parties du globe, incluant le Québec, pour découvrir de nouvelles plantes. On dit souvent que Linné est le père de la nomenclature binominale.

Nomenclature binomi-quoi?

La nomenclature binominale: donner deux noms à une plante pour l’identifier. Deux noms: un genre et une espèce. Vaccinium, c’est le genre, corymbosum, l’espèce. Le genre, c’est un peu comme un nom de famille. Chez les Bouchard, il y a Judith (rousse), Monique (yeux bruns), Clément (à moustache) et Louis (frisé). Chez les Vaccinium, il y a Vaccinium corymbosum (gros fruits), Vaccinium angustifolium (plant nain, avec des petits fruits) et Vaccinium uliginosum (qui pousse au sommet des hautes montagnes). Trois bleuets, tous comestibles, mais bien différents dans leurs habitudes de vie, leur look et la grosseur des fruits. Comme Judith, Monique, Clément et Louis.

Pourquoi, le latin, c’est cool?

D’abord parce que c’est un langage universel qui permet de nommer les plantes sans se tromper. Si on se présente au centre de jardin pour y acheter des boules de neige, on risque de se retrouver avec les mauvaises boules de neige, car il y a plusieurs plantes qui portent ce même nom populaire. Mais, si on demande un Viburnum opulus, pas d’erreur possible. On vous vendra exactement la plante dont vous rêvez depuis des mois. Et ça, partout dans le monde!

L’érable à sucre (Acer saccharum) est un fier représentant du genre Acer, celui des érables. Ainsi, on trouve aussi l’érable rouge (Acer rubrum) et l’érable de Pennsylvanie (Acer pennsylvanicum).

Ensuite, le latin, quand on apprend à le comprendre, peut procurer de précieux indices sur les particularités d’une plante. Grandiflorum, grandes fleurs. Microphyllum, petites feuilles. Rubrum, rouge. Nigra, noir. Sinensis, de Chine.

Bref, apprivoiser le bi-nom des plantes est un bon début pour approfondir ses connaissances et son intérêt des plantes. Puis, avouez, on paraît toujours plus savant quand nos phrases se terminent en «aea», en «is» et en «um»!

Une page tirée du célèbre Species plantarum. En majuscules, les noms des genres: Erinus, Buchnera… Et complètement dans la marge, en petit texte italique, les noms des espèces : Erinus laciniatus (aujourd’hui Verbena laciniata), Buchnera americana, etc. Le texte à la suite du nom du genre décrit la plante à des fins d’identification. Photo: Wikimedia Commons

Étiquettes + Latin


  1. La nomenclature binominale en latin est une convention pour ce qui est du latin, mais pour le reste c’est une loi de la pensée, une règle logique. Pour identifier un objet quelconque sans se tromper, il s’agit dans un premier temps de lui trouver un contenant (boite, tiroir autrement dit une classe) puis dans un deuxième temps lui trouver une caractéristique (case ou qualité spécifique) qui le distingue de tout les autres objets pouvant se retrouver dans ce contenant ou classe. Voilà c’est une facon naturelle de procéder.

  2. Excellent le bleuet. Mon blog jardin préféré. Merci à tous

  3. Utile et amusant, à la portée de tous.

  4. Excellente explication Julie Merci

    • Michèle Renaud Molnar

      J’ai lu votre texte jusqu’au bout avec intérêt et curiosité, portée par la découverte de ce qui vous a passionné et soutient votre passion. Les jeunes qui étudient avec vous sont chanceux. Merci Julie Boudreau.

  5. Merci Mme Julie pour votre article!
    Les précisions de Michel sont simples et éclairantes.
    Il faudrait préciser que, au temps de Linné, le latin était une langue universelle, conservée par l’Église, pour ses cérémonies et son enseignement.
    Aujourd’hui, il aurait possiblement écrit en .. Anglais.. Ou..?

  6. Très utile le Latin surtout quand on vit à la frontière du Qc et de l’Ontario où les noms communs de plantes sont souvent très différents. Le nom Latin est compris par tous et donc sans équivoque. Merci pour ton article! Une chance que tu ne l’as pas écrit en Latin toutefois.?

  7. Cette façon de nommer en latin s”applique à tous le reigne du vivant des bactéries en passant par les animaux et évidemment aux plantes des plus petites aux plus grandes très utiles également pour les amateurs d’oiseaux, de champignons et de fossiles…. ce dont je suis…

  8. Le Latin est essentiel si on voyage dans les Jardins de d’autres pays dont on ne connait pas ou peu la langue, comme en HOLLANDE, en Allemagne, en Espagne, en Angleterre, etc. Immédiatement,, par les mots latins, on est capable , d’identifier les PLANTES, C’est tellement plus intéressant.
    J’ai fait partie de la Société d’Horticulture de Calgary et donc, j’étais TRILINGUE pour le nom des plantes: Anglais, français et Latin. Je fais présentement partie de la Société d’horticulture de Prévost et des Petits Jardins du Québec. J’ai aussi fait partie de Tournenvert et du groupe de Daniel Fortin.
    Donc, connaître le Latin des Plantes, est un atout qu’on aille n’importe où dans le monde et rend nos Visites, dans les Jardins ou les serres, intéressantes et enrichissantes

  9. Le latin, entre autre en horticulture, permet de parler la même langue et surtout de comprendre que certaines plantes sont de la même famille alors qu’elle ne se ressemblent pas du tout!
    merci pour cet article.

  10. Quel beau texte, vous êtes merveilleuse, un sens de l’ humour hors pair !
    Belle leçon de langues. Comme quoi, le latin, si belle langue garde le haut du pavé .
    Bonne journée et Joyeuses fêtes.

  11. Merci pour votre texte très bien explqué. Quand j’ai étudié pour devenir fleuriste à St-Hyacinthe, on apprenait le mon des plantes en latin et ca été bien utile pour moi. encore merci

  12. J’ai fait ce qu’on appelait anciennement un cours classique. Dans mon collège, on n’avait pas le choix. Il fallait apprendre le grec . Je peux dire aujourd’hui que cet apprentissage m’a été des plus utiles. Notamment: on peut connaitre le sens profond des mots. Et les utiliser à bon essiant pour s’exprimer clairement et être compris, donc entendus….Les connaissances scientifiques que j’ai “ratées” à cause de cela ont été facile à rattraper mais la formation de l’esprit , une sorte de gymnastique du cerveau est irremplaçable…

  13. Le latin et le grec deux langues essentielles pour une bonne connaissance des mots

  14. Le latin et le grec deux langues essentielles pour une bonne connaissance des mots

    • J’ai 75 ans, pas si vieille que ça, j’ai dû commencer le latin à 11 ans, pour 6 ans. Nous avions des cours de conversation latine!
      J’apprécie au quotidien cet enseignement imposé qui m’a donné beaucoup de clés pour comprendre le monde.

  15. En France le bleuet est bien la fleur mais la myrtille (‘brimbelle dans les Vosges ) plus grosse s’écrit Bluet quand elle est cultivée . Sinon elle pousse en foret et sur les coteaux dans une terre acide

  16. Dans la vie, je suis herboriste, j’observe les oiseaux et j’enseigne l’anatomie. Trois domaines à noms latins! Dommage que le latin ne s’enseignait pas quand j’étais au secondaire en Ontario! Mais j’en ai appris pas mal depuis et c’est bien utile.

  17. Si le latin peut être la langue de tout le monde,c’est qu’il n’est plus la langue de personne… Rome n’existe plus depuis très longtemps, il n’y a donc plus de locuteurs naturels du latin : langue morte ou ancienne, selon le degré de tact. Et s’en servir n’avantage donc personne, alors que toutes les langues vivantes oui, ceux qui l’ont apprise de façon non scolaire. C’est bien pour éviter cela que l’espéranto à été imaginé : comme langue qui puisse être à tous en n’étant pas du lout une langue liée à un peuple précis. Le latin est employé par Linné comme par ses collègues d’autres pays. Aujourd’hui il parlerait suédois et écrirait probablement des articles en anglais, contribuant à la domination de cette langue, inévitablement apprise dans les études supérieures de nombreuses disciplines. Nuance quand même quant au latin botanique ou zoologique, on ne peut pas dire qu’on le parle quand on l’apprend et l’emploie, on utilise un lexique extrêmement précis et planetairement conventionnel, mais ce n’est pas une langue qu’on a apprise: vous n’avez absolument pas besoin de maîtriser les verbes latins par exemple, vous ne communiquerez pas d’actions, de sentiments, vous ne ferez pas de récits comme vous le faites dans une langue complète. Je nuance un tout petit peu: certains verbes apparaîtront indirectement au participe présent ou passé pour qualifier une variété mais vous ne conjuguerez jamais.

Inscrivez-vous au blogue

Saisissez votre courriel pour vous abonner à ce blog et recevoir les notifications des nouveaux articles.