Pour un jardinier, l’hiver est symbole de projets! C’est la pause du désherbage, mais c’est aussi la période où le cerveau bouillonne et a le temps de penser… aux projets horticoles de la prochaine année! Changer telle ou telle plante de place, créer une nouvelle plate-bande, remplacer celle qui ne livre pas la marchandise.
Voici donc un livre bien intéressant qui pourrait être une grande inspiration pour vos futures plates-bandes fleuries. Il s’agit de «Color Schemes for the Flower Garden» de Gertrude Jekyll. Malheureusement, ce livre ne semble pas avoir été traduit en français. Publié pour la première fois en 1908, ce texte a eu une grande influence sur mon approche en design de jardins. Il a radicalement changé ma façon de concevoir ce qu’on pourrait qualifier de beaux aménagements paysagers. Entendons-nous bien, je n’ai pas fait de l’aménagement paysager l’essentiel de ma carrière en horticulture et je n’ai aucunement la prétention de détenir LA recette pour créer de beaux jardins fleuris, mais ce que cette chère Gertrude partage dans cet ouvrage risque de vous faire voir votre aménagement autrement.
Gertrude qui?
D’abord, un petit mot sur Gertrude Jekyll. Née en 1843 dans une famille aisée d’Angleterre, Gertrude Jekyll est d’abord artiste peintre et c’est sa passion pour les couleurs qui l’amène graduellement à s’intéresser aux plantes et aux bonnes manières de les harmoniser. Pour plusieurs, elle est considérée comme la mère des plates-bandes mixtes (les mixed border anglais, comme on les appelle couramment). Au cours de sa carrière de paysagiste, elle créera plus de 400 jardins et écrira une dizaine de livres, dont «Color Schemes». C’est donc une des grandes dames des jardins à l’anglaise et son influence se fait encore ressentir dans les aménagements paysagers résidentiels partout sur la planète.
Gertrude et l’effet Wow!
La toute première chose qui nous frappe à la lecture de «Color Schemes» est qu’il s’agit ni plus ni moins d’une promenade dans son jardin, au fil des saisons. Le temps des bulbes hâtifs, le jardin du printemps, le jardin entre le printemps et l’été, le jardin de juin, les « mixed borders » de juillet, etc. Au travers ce parcours, elle nous présente les bons coups de ses aménagements et aborde, presque plante par plantes, ce qui pousse bien ensemble et ce qui est moins réussi. Étonnament, ce qui m’a le plus frappé en lisant «Color Schemes» c’est comment Gertrude nous révèle que chaque section de son jardin a sa saison vedette. Elle met tout dans le même paquet!
Dans la plupart des cours d’aménagement paysager, on nous apprend à s’assurer que la plate-bande soit fleurie en toute saison. Au contraire, Gertrude dit: «N’y mettez que des plantes qui fleurissent en mai!» Pour moi, ce fut le choc et à y réfléchir mathématiquement, comme elle a raison! Si, dans une plate-bande, je m’assure d’avoir 30% des plantes qui fleurissent au printemps, 30% des plantes qui fleurissent en été et 30% des plantes qui fleurissent à l’automne, en TOUT TEMPS, je me retrouve avec un tiers de plate-bande en fleurs. Tout le reste est vert! Et le vert domine. Ce qui fait que jamais cette plate-bande ne peut être spectaculaire et nous arracher des Wow! Elle demeure simplement jolie. Gertrude nous invite plutôt à créer des plates-bandes à thématique saisonnière, afin que chacune ait son moment Wow! Devant la maison, légèrement à l’ombre, là où poussent bien les rhododendrons? Un Wow! de printemps, avec des masses de bulbes, de trilles, de phlox mousse (Phlox subulata), etc. Près de la terrasse au plein soleil? Tout ce qui fleurit en juillet! Et sur le côté de l’entrée, toujours au soleil? Un gros massif de plantes à floraison automnales!
Bien sûr, concentrer ses floraisons par périodes de floraison demande une grande connaissance des plantes. Il faut savoir exactement qu’est-ce qui fleurit en même temps que quoi. Même s’il y a un certain ordre chronologique dans les périodes de floraison, il faut garder en tête que les périodes de floraison varient en fonction de l’endroit où on jardine! Par exemple, madame Jekyll fait l’éloge des bulbes en fleur au mois de mars, alors qu’ici, dans le nord du Québec, en mars, on croule sous la neige!
Bref, pour le massif printanier, Gertrude y va d’une plantation intensive de bulbes au travers d’une collection de fougères, puis de massifs de rhododendrons, de daphnés et de bruyères (Calluna spp.) sous de grands magnolias.
Puis à l’autre bout du spectre saisonnier, on entasse les anémones du Japon (Eriocapitella hupehensis, anciennement Anemone hupehensis), différentes espèces d’asters d’automne (Aster spp.), des sédums d’automne, des pyrèthres et des phlomis qui seront à leur pic en septembre. Elle y ajoute quelques dahlias qui fleuriront intensément jusqu’aux premières gelées.
Gertrude et l’harmonie des couleurs
Étant une artiste sensible au mouvement Arts and Craft, il va de soi que toutes les notions de rythme, d’harmonie et d’équilibre sont au cœur du travail de Gertrude. Sa théorie sur l’harmonie des couleurs au jardin est un de ses plus grands accomplissements. C’est ici qu’elle expose comment elle concentre les couleurs dans un même secteur d’une plate-bande pour les faire glisser vers d’autres teintes, un peu comme les couleurs de l’arc-en-ciel glissent d’un ton à un autre.
Elle présente l’effet que peut créer une plate-bande qui commence dans les tons de gris, qui glisse vers des couleurs pâles pour culminer avec des couleurs vives et foncées. Elle souligne à quel point une petite touche de jaune clair peut rehausser un massif dominé par des fleurs bleues et mauves. Elle nous met en garde contre la monotonie des jardins monochrome. Parfois, un jardin de fleurs bleues meurt d’envie d’accueillir un beau massif de lis blancs! D’ailleurs, les textes de Gertrude sont généreusement illustrés par des photographies d’époque et surtout des plans détaillés de ses plates-bandes!
Créer des moments pittoresques selon Gertrude
Enfin, Gertrude compare souvent les plantes du jardin à une palette de couleur pour la peinture. On peut avoir une très belle sélection de plantes, mais si on ne sait pas comment les agencer, cela revient à avoir des pastilles de couleur très dispendieuses et de s’en servir pour dessiner des bonhommes allumettes! Tout est dans la composition et dans l’art de créer des portraits. Fondamentalement, ce que Gertrude dit c’est qu’elle agence les plantes du jardin de manière à ce que ce soit «prenable en photo». C’est dans ce sens qu’elle utilise le mot pittoresque (qui vient de «picture»). Il faut créer des décors, des scènes, des arrangements qui charment le regard. Bref, si on peut mettre une photo de la plate-bande sur Instagram, elle est réussie! Une plate-bande réussie selon Gertrude est donc une série de photographies liées les unes aux autres. Et c’est ici que repose la différence entre une agencement de plantes et l’œuvre d’art horticole!
Tout cela nous prête à réfléchir sur l’attention que nous portons à soigneusement choisir nos plantes et à soigneusement les agencer afin que le tout forme une œuvre grandiose. Et tout cela nous ramène à l’inévitable passage obligé d’une bonne conception de plate-bande : le plan sur papier. L’hiver est ce moment parfait, où, tisane à la main, on peut s’entourer de livres (ou de sites web) pour élaborer sur papier quadrillé notre prochain opus horticole. Et, même si son travail remonte à plus de 100 ans, Gertrude demeure une belle source d’idées et d’inspirations.
