Le spectacle de cette semaine promet d’être fort en émotions. Le grand cirque végétal du Jardinier paresseux ne recule devant rien pour vos beaux yeux, chers spectateurs, et pour poursuivre dans notre série d’Halloween en beauté, c’est une plante bien de chez nous qui sera notre vedette cette fois-ci.
Pour ce troisième volet, la mystérieuse plante qui vous sera présentée n’est certes pas aussi étrange que l’hydnora, ni aussi rapide que l’utriculaire, mais elle est sans aucun doute aussi dangereuse… Non pas pour les autres plantes ou les insectes, cette fois, messieurs dames, mais bien pour VOUS!
Retenez vos cris d’effroi, en jetant un œil à cette plante, car… si vous la voyez, c’est qu’elle vous voit aussi! J’appelle sur la piste: Actaea pachypoda!
Un travail, ma foi, qui se rapproche de la perfection! Car, voyez-vous, l’intelligence artificielle qui a fait cette affiche a reçu la demande de mettre Actaea pachypoda en vedette, et elle a tout de suite compris l’aspect terrifiant de cette plante… Un caractère qui est bien imagé par son nom anglais, doll’s eye, qui se traduit par «yeux de poupée».
Regardera bien qui regardera le dernier
Ne vous avais-je pas promis d’être l’observateur observé? Les fruits de Actaea pachypoda, qu’on appelle tristement actée à gros pédicelles ou actée blanche en français, sont d’un blanc immaculé.
En soi, il faut avouer qu’un fruit blanc est plutôt inhabituel. Le stigma, vestige de la fleur printanière, laisse une marque noire sur le fruit, simulant la pupille de l’œil. Pour compléter le tableau, le pédicelle, la tige qui porte ce fruit, est large et d’un rouge vif rappelant le nerf oculaire.
Quel dommage de l’avoir nommée actée à gros pédicelles, n’est-ce pas? Car détrompez-moi, mais voilà bel et bien ce qui ressemble à un œil de poupée…
Présente dans l’ouest et le centre du Québec, c’est une plante de sous-bois qui ne peuple pas les rives du Saint-Laurent. En fait, un sosie occupe l’est du Québec et les rives de son plus grand cours d’eau: l’actée rouge, Acteae rubra. Bien que cette plante fasse généralement des fruits rouges, et que l’actée blanche fasse des fruits blancs, il arrive que l’actée rouge fasse des fruits blancs et vice-versa.
J’ai cru savoir que quelques membres de l’assistance sont des jardiniers, alors vous ne serez pas surpris d’apprendre qu’il existe différentes sous-espèces, des hybrides, des cultivars, bref, c’est la pagaille chez les plantes! Les tomates sont rouges, non? Alors pourquoi y en a-t-il des jaunes, des roses et des mauves? Sans doute une autre curiosité du monde végétal qui ferait un excellent spectacle, mais ce n’est pas le sujet du jour…
Comment identifier l’actée blanche
Reposons notre regard sur notre actée blanche, si vous le voulez bien. Votre maître de scène vous offre le seul truc à connaître pour identifier l’actée blanche, peu importe la couleur de ses fruits: les pédicelles sont rouges.
Êtes-vous confus? Car l’actée rouge n’a pas de pédicelle rouge, contrairement à l’actée blanche, qui fait des fruits rouges parfois, bien que les blancs soient plus fréquents, alors que chez l’actée rouge, c’est rouge, quoique blanc parfois, car la rouge et la blanche se mélangent et donnent rouge ou blanc, même si c’est blanc ou rouge…
…
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Vous avez compris, maintenant?
Bon… Contentons-nous de dire que l’actée blanche est celle qui a des yeux…! Les anglophones ont décidément été bien plus clairvoyants que les francophones en nommant cette plante doll’s eye!
Un ornement mortel
Une fois passée la surprise de ses fruits dignes des meilleures décorations d’Halloween vient le véritable fait effrayant: cette plante est toxique.
Toxique comment? Quelques baies seulement suffisent à induire un effet relaxant sur le muscle cardiaque humain. Après une certaine quantité, le cœur se détend tellement… qu’il peut cesser de battre, tout simplement. Endormi dans un sommeil éternel…
Eh oui, messieurs dames, c’est la mort qui vous regarde, les yeux dans les yeux!
Toutes les parties de la plante sont toxiques, bien que les «yeux» soient les plus concentrés en poison.
Ce qui peut paraître étrange, voyez-vous, c’est que cette dangereuse est également… une plante ornementale répandue!
Sa floraison printanière agrémente plus d’un jardin d’ombre et ravit certains insectes friands de pollen. La fleur de l’Actaea pachypoda ne produit pas de nectar. Ses visiteurs sont des abeilles, qui nourrissent leurs larves de pollen, ainsi que des guêpes, mouches et coléoptères.
Un bien drôle de régime, me direz-vous, que cette poudre empoisonnée? Oh, mais ne vous ai-je pas dit que si cette plante était terrifiante pour vous et moi, les insectes, eux, sont immunisés contre ce poison du cœur!
Bien que le pollen soit consommé, la fleur en produit en assez grande quantité pour que les insectes en soient couverts et assurent la pollinisation. Ils s’en retrouvent couverts durant leur repas… un peu comme ce jeune homme au deuxième rang qui a sans doute autant de chocolat autour de la bouche que dans son ventre…
Les oiseaux ne sont pas en reste, puisqu’ils sont insensibles aux toxines de notre vedette et se régalent de ses fruits. Ajoutons à cela son origine locale et l’actée devient une candidate (presque) parfaite pour ornementer un jardin.
Mais contentez-vous de vous observer mutuellement, sans la consommer… Quoique…
Un coup d’œil sur médecine traditionnelle
Connaissez-vous l’adage «il faut souffrir pour être belle»? Je sais ce que vous vous dites, cher public: votre maître de scène a dû avoir son lot de souffrances pour être aussi sublime… Mais ce n’est pas où je veux en venir!
Je veux vous proposer une nouvelle version: «il faut souffrir pour guérir». Ou bien «traiter le mal par le mal», pourquoi pas? Le fait est que parfois, quand un mal nous habite, l’empoisonner est un moyen de s’en débarrasser, même si ça signifie de s’empoisonner un peu nous-mêmes au passage.
L’actée blanche étant très toxique au niveau de ses fruits, ce n’est pas la partie qui fut utilisée par plusieurs peuples des Premières Nations pour soigner divers maux. Les rhumes, les démangeaisons et même les convulsions étaient des conditions pour lesquelles une infusion de racines d’actée blanche pouvait être prescrite.
Si aucune étude ne s’est penchée sur l’efficacité de ce traitement, plusieurs ont mis en lumière les vertus de plantes du même genre utilisées en médecine traditionnelle d’Inde et de Chine pour amoindrir les symptômes de la ménopause.
Prenez vos précautions
Puis-je vous suggérer humblement d’éviter de consommer cette plante? D’autres végétaux, non toxiques, à l’efficacité démontrée, seront certainement plus sécuritaires et tout aussi efficaces. La médecine par les plantes est une chose magnifique, à la fois moderne et traditionnelle, qui nous rapproche de la nature…
… Mais l’infirmière du cirque en a assez des cas d’empoisonnements, alors soyez responsables s’il vous plaît!
Si vous n’arrivez pas à identifier les plantes, achetez-les d’un herboriste, et si vous y arrivez, ne consommez rien qui vous regarde! À l’exception des délices vendus dans notre fabuleux cirque, évidemment! Aujourd’hui seulement, deux pour un sur les yeux au chocolat vendus dans le kiosque à la sortie!
C’est tout pour notre numéro spécial sur la flore indigène, mais revenez-nous la semaine prochaine pour une autre curiosité du monde végétal: une vraie énigme se prépare! Mais d’ici là, soyez prudent, et gardez l’œil bien ouvert: on ne sait jamais qui nous observe…