Par Larry Hodgson
Oui, une plante à pénis, une espèce très rare, vient de fleurir au Jardin botanique de l’Université de Leyde (Hortus Botanicus Leiden), aux Pays-Bas. Amorphophallus decus-silvae est appelé la plante à pénis en raison de son énorme spadice (épi floral) solidement érigé qui ressort du collier violet foncé (spathe) à la base de son inflorescence. Ou peut-être à cause de son odeur nauséabonde. Ou peut-être parce que son nom botanique le dit : Amorphophallus, après tout, signifie pénis informe.
Il est toutefois trop tard pour acheter un billet d’avion pour Leyde afin de voir la plante au faîte de sa floraison : le spectacle est déjà terminé. Oui, la floraison a duré du 19 au 20 octobre 2021, même si la tige florale fanée a persisté quelques journées de plus. Oui, même si cela peut prendre 10 à 12 ans à la plante à pénis pour fleurir à partir d’une graine semée, une fois qu’elle y parvient, la floraison dure à peine 48 heures. Celle de Leyde, déjà une plante de quelques années lorsque le jardin l’a obtenue, y a poussé pendant 6 ans avant de fleurir.
Floraison en deux étapes
Le jour où s’épanouit la fleur géante* (elle mesure environ 2 m de hauteur!), seules les fleurs femelles, cachées à la base de l’inflorescence, sont fertiles. La partie crème en forme de phallus au-dessus de la fleur émet alors une intense odeur dégoûtante, comme celle de la viande en décomposition. Et elle dégage aussi de la chaleur, jusqu’à environ 36°C, afin de diffuser l’odeur plus largement. Dans l’environnement d’origine de la plante, les forêts d’Indonésie, cette odeur nauséabonde contribue à attirer les principaux pollinisateurs de la fleur, les mouches à charogne.
*Le cousin de la plante à pénis, l’arum titan (A. titanum) produit une fleur encore plus grande, atteignant jusqu’à 3 m de hauteur.
Au deuxième jour, les fleurs femelles se seront déjà fermées et ne pourront plus être pollinisées, mais les fleurs mâles juste au-dessus produiront de grandes quantités de grains de pollen qui tomberont en pluie et enroberont les mouches. Mais l’odeur fétide s’estompe rapidement et les insectes confus se rendent compte qu’il n’y a en fait aucune viande pourrie à trouver. Alors, les mouches s’envolent et, avec un peu de chance (pour la plante, du moins), trouveront une nouvelle plante à pénis fraîchement épanouie et qui commence à empester l’air, puis, en la visitant, polliniseront accidentellement ses fleurs femelles avec le pollen qui se détachera de leur corps. Si oui, au cours des mois suivants, des baies rouge vif se formeront. Elles contiendront les graines d’une nouvelle génération.
Du moins, c’est comme ça que les choses fonctionnent dans la nature. À Leyde, la pauvre plante était la seule de son espèce à fleurir en Europe en 2021 (en effet, seuls deux autres spécimens ont déjà fleuri dans toute l’Europe!), donc aucun transfert de pollen n’a été fait. Il semblerait que la plante ait gaspillé une décennie d’énergie en fleurissant sans produire une seule graine. Et elle ne fleurira probablement pas à nouveau avant 3 à 10 ans, car la floraison utilise presque toute l’énergie qui était emmagasinée dans son corme (bulbe) souterrain.
Cependant, peut-être que la fleur à pénis de Leyde n’a pas fleuri en vain après tout. Les employés du Jardin ont collecté et congelé de son pollen qui peut ainsi être partagé avec d’autres jardins si leur propre plante à pénis fleurit un jour. Alors, ce sont les jardiniers qui auront la sale tâche de polliniser la fleur puante à la place des mouches à charogne!
Absence de mouches
Aucune mouche véritable ne s’est présentée pour tenter de polliniser notre plante à pénis, car les autorités du Jardin botanique n’ont pas voulu ouvrir les serres afin de les inviter à entrer et faire leur devoir. Au lieu de cela, ce sont des milliers de visiteurs humains, qui sont venus voir cette plante inhabituelle, que cette floraison si rare a attirée (la précédente était il y a 26 ans).
La prochaine floraison
Ainsi, pour la prochaine décennie environ, la plante à pénis du Jardin botanique de Leyde ne produira que du feuillage. Chaque printemps, elle donnera naissance à une feuille géante profondément découpée avec un pétiole marbré de la taille d’un tronc d’arbre et qui se tiendra fièrement debout du printemps à l’été, puis fanera. Cela permettra au corme, qui a perdu la majeure partie de sa taille et de son poids lors de sa floraison, de stocker de l’énergie et de reconstituer ses forces. La feuille mourra ensuite en hiver alors que la plante passera par sa phase de dormance. Et au printemps suivant, tout recommencera.
Jusqu’à ce qu’un jour, lorsque le corme aura retrouvé sa pleine taille et son plein d’énergie, la plante à pénis refleurisse.
Pouvez-vous cultiver votre propre plante à pénis ?
Pouvez-vous faire pousser une plante à pénis (A. decus-silvae) chez vous? Bien sûr, si vous pouvez en trouver une et avez assez d’espace. Après tout, sa feuille géante unique mesure 3 à 3,5 m de haut et 2 m de large!
Puis-je suggérer, cependant, que vous essayiez plutôt une espèce d’Amorphophallus de taille plus restreinte? La langue du diable* ou konjac (A. konjac, syn. A. rivierei), par exemple.
*Je pense qu’on appelle cette plante langue du diable plutôt que plante à petit pénis pour ne pas blesser son amour-propre.
La langue du diable est assez largement disponible et ne mesure qu’environ 1,2 à 1,5 m de haut et 1,2 m de diamètre en feuille (90 à 120 cm de haut et 40 cm en floraison). Et elle ressemble beaucoup à un petit A. decus-silvae. De plus, elle est plus résistante au froid, soit jusqu’à -18°C si on plante le corme profondément, et peut alors pousser dans les zones de rusticité 7 à 11. Autrement dit, elle pourrait réussir presque n’importe où en Europe francophone sauf en altitude, mais elle n’est pas très adaptée aux conditions canadiennes.
Par contre, on peut la cultiver dans nos maisons, car elle fait également une plante d’intérieur attrayante et curieuse. Vous aurez juste besoin d’un grand pot pour contenir son gros corme (elle mesure jusqu’à 25 cm de diamètre à maturité).
Et vous pouvez appeler votre langue du diable plante à pénis si vous le souhaitez; après tout, c’est bien un Amorphophallus (pénis informe), non ?
Les cormes de langue du diable sont assez largement disponibles au printemps dans le rayon des bulbes tendres habituels, sinon dans toutes les jardineries locales, du moins en ligne. Et la plante est assez facile à cultiver. Presque n’importe quelle terre bien drainée fera l’affaire, bien qu’un sol riche aide à stimuler une floraison plus précoce. Placez-la à l’ombre partielle (le plein soleil à l’intérieur, si possible) et arrosez-la et fertilisez-la comme n’importe quelle autre plante cultivée. À l’intérieur, lorsque le feuillage meurt à l’automne, gardez-la au sec et au frais.
Votre langue du diable produira une énorme nouvelle feuille chaque année, puis entrera en dormance à l’automne. En ce faisant, son corme deviendra de plus en plus gros chaque année. Puis un jour, après 3 à 7 ans de culture, une énorme inflorescence puante apparaîtra et vous pourrez alors appeler vos voisins et amis pour admirer et sentir votre chère plante à pénis, puante à souhait!

