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Un pissenlit avec ça?

Comme le monde du jardinage a changé dans les 30 dernières années! «Biologique» est maintenant le mot d’ordre. On crie au scandale à chaque mention d’insecticide ou d’herbicide. Et non seulement accepte-t-on les pissenlits (Taraxacum officinale), mais on modifie même nos habitudes pour leur faire une place dans nos pelouses! Qui aurait cru? Ça remplit de joie le p’tit gars en moi qui rentrait jadis à la maison les genoux jaunis, au grand dam de mes parents qui devaient laver mes pantalons tachés.

Vous connaissez peut-être le Défi pissenlit, l’initiative de Miel&Co qui encourage individus et organisations à retarder la tonte de la pelouse pour permettre aux pissenlits de fleurir et, ainsi, de nourrir nos précieux pollinisateurs, tels les abeilles, guêpes, mouches, papillons, papillons de nuit, colibris, chauves-souris et autres, qui ont très peu à se mettre sous la dent lorsqu’ils sortent de leur hibernation au printemps. La destruction d’habitats naturels et les pesticides ne sont d’ailleurs que deux des causes du déclin des pollinisateurs et des insectes en général, d’où l’importance d’agir.

Photo : Petr Ganaj

Les temps changent

Mon père, Larry Hodgson, grand défenseur de pissenlits, m’avait raconté que, lorsqu’il était rédacteur en chef du magazine Fleurs, plantes, jardins dans les années 1990, il avait presque perdu son emploi à cause de cet amour interdit. En effet, il avait suggéré qu’on laisse pousser les pissenlits dans nos pelouses et certains joueurs de l’industrie (qui payaient des pubs dans le magazine) auraient demandé sa tête. Heureusement pour lui et pour nous, Larry a conservé sa tête, et les temps ont changé!

Autre chose que des pissenlits!

Toutefois, il n’y a pas que les pissenlits dans la vie. Dans son texte Le Défi pissenlits renouvelé, Edith Smeesters suggère d’autres végétaux, comme le thym serpolet (Thymus serpyllum) ou le trèfle blanc (Trifolium repens), qui peuvent être intégrés à votre pelouse pour une floraison durant toute la saison. Julie Boudreau a aussi dressé une liste, Le top 10 des plantes riches en nectar, avec des vivaces, arbres et arbustes nectarifères qui sont une bonne source de nutriments pour les abeilles et les papillons, entre autres. C’est sans oublier mon propre texte, Un printemps tout en fleurs, pour les pollinisateurs. Pourquoi je n’arrête pas de vous casser les oreilles avec toutes ces alternatives? Eh bien, la vérité est que les pissenlits ne sont pas vraiment la meilleure source de nourriture pour les pollinisateurs.

Photo : Jeremias Müller

Un aliment incomplet

Ce n’est pas la quantité de pollen que produisent les pissenlits qui est en cause, mais sa qualité. En effet, le pollen des pissenlits contient de la protéine en abondance, mais c’est une protéine de moindre valeur, à laquelle il manque des éléments indispensables. La protéine est composée d’acides aminés. Cependant, celle qui est contenue dans le pollen de pissenlits est faible en certains types d’acides aminés: entre autres la leucine et l’arginine. En plus, elle est pauvre en valine et en isoleucine par rapport aux besoins des abeilles. C’est donc une protéine incomplète. Une déficience en ces acides aminés pourrait réduire la capacité d’élevage de couvées des abeilles domestiques.

J’avoue prendre un raccourci ici en suggérant que tous les pollinisateurs ont les mêmes besoins nutritifs que les abeilles domestiques. En fait, chaque pollinisateur n’a pas fait l’objet d’études. Mais fournir une alimentation variée aux disséminateurs ne peut qu’avoir des effets positifs, surtout quand ces aliments sont des fleurs!

Je ne suggère pas non plus que les pissenlits sont mauvais pour les pollinisateurs! Cependant, ceux-ci ont besoin d’une nourriture plus diversifiée. Personne ne dirait que le brocoli n’est pas bon pour la santé, mais ne mangez que du brocoli pendant des mois et vous en ressentirez peut-être les effets! Il faut aussi mentionner que, dans certains cas, le pollen de pissenlits peut être la seule source d’alimentation disponible à un moment ou un endroit donné, surtout en milieu urbain, d’où son importance. C’est un peu comme la restauration rapide du jardin: ça dépanne, mais il ne faut pas en manger trop souvent. Un pissenlit avec ça?

Photo : Tiut Vladut

Alors pourquoi Le Défi pissenlits?

Selon Miel&Co, «ce mouvement vise à sensibiliser la population à l’importance des insectes pollinisateurs». Le pissenlit est emblématique de la floraison printanière, surtout en milieu urbain. Qui n’a pas projeté du pouce sa fleur dans le visage d’un ami pour le taquiner, ou soufflé sa boule duveteuse aux quatre vents (y compris sur la pelouse du voisin)?

Pour moi, le pissenlit n’est pas que l’emblème des étés trop courts de mon enfance, c’est aussi un symbole (peut-être imparfait) pour conscientiser la population et les organismes à l’importance des pollinisateurs. Vous voyez, on en parle maintenant. Mission réussie! Et longue vie aux pissenlits!

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