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Farce, ou friandises? Les deux pour ces plantes «carnivores»!

Vous voilà de retour, cher public, pour l’apothéose de notre Grand cirque végétal du Jardinier paresseux! C’est un plaisir de vous voir au rendez-vous, semaine après semaine, pour ce spectacle de l’étrange. Pour notre toute dernière représentation, j’ai trouvé l’ultime plante! Celle qui, dans le monde végétal, est une curiosité teintée d’une grande dose… d’ironie!

Ce spécimen n’est non pas une plante dangereuse ou à l’allure particulière, non! C’est une plante qui repousse les limites de la dérision, et je vous invite aujourd’hui, non pas à frissonner d’effroi, mais bien à savourer la diversité du monde… et sans doute à rire un peu des frasques de l’évolution par la même occasion!

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Pour vos yeux ébahis, notre vedette du jour est… triple! Et même quadruple! Oh, et rêvons grand, ce sont cinq espèces qui vous seront présentées lors de notre numéro d’Halloween. Cinq népenthès qui ont quitté partiellement ou totalement la carnivorie pour devenir les champions de l’absorption d’azote! 

Je vous présente les népenthès coprophages!

Les quoi?

Les plantes carnivores qui ne se nourrissent pas de proies, mais bien d’excréments! Aujourd’hui, messieurs dames, c’est l’Halloween, et nous allons jaser de… caca!

(Notez que notre intelligence artificielle connaît FINALEMENT la plante demandée! Mais je vous mets quand même l’image d’une de nos vedettes.)

Photo: subirshakya

Matière fécale pour tous!

Bien sûr, quand on parle de se nourrir de matière fécale, on a toutes sortes de réactions passant du rire au dégoût. Mais dans le monde végétal, manger les excréments est, si je puis m’exprimer ainsi, un must. Les jardiniers le savent: rien de mieux que quelques bonnes pelletées de fumier pour des plates-bandes bien fournies, ou un jardin productif.

Là où c’est intéressant, c’est que le fumier est une source formidable d’azote… mais que les plantes ne peuvent généralement pas le consommer «frais». Il doit être assez «mûr», ça veut dire qu’un paquet d’autres organismes doit être passé par là avant: des bactéries, des microorganismes, des champignons et autres, sont nécessaires pour transformer l’azote des excréments en une forme plus simple et soluble qui sera accessible aux plantes.

Mais ça, c’est le chemin traditionnel et, disons-le, assez long, que prend le végétal lambda pour se nourrir. Les plantes dont il est question dans ce numéro sont loin d’être quelconques et elles n’ont pas besoin d’intermédiaire pour absorber leurs nutriments!

Ironie du sort ou évolution suprême?

Les népenthès sont des plantes carnivores qui se nourrissent majoritairement d’insectes. Mais que faire quand les proies se font rares? Sur l’île de Bornéo, en Asie du Sud-Est, les forêts tropicales se trouvant en altitude manquent cruellement de proies pour les plantes carnivores et certaines espèces ont dû trouver une solution.

Photographie de Russell Laman, avec le pilote de drone Tri Wahyu Susanto. Source: National Geographic.

Par quoi remplacer les insectes? Ceux-ci sont riches en azote, mais pas autant d’une bonne dose de matière fécale fraîche! Certaines espèces se sont hyper spécialisées au cours des millions d’années d’évolution pour devenir les championnes de l’absorption d’azote.

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Championnes comment? Digérer la matière fécale serait deux fois plus efficace pour obtenir la précieuse molécule que de digérer des insectes!

Cher public, je vous rappelle que nous parlons de plantes, ici. Nous, les humains, trouvons tout notre azote dans notre nourriture normale. Même si c’est l’Halloween, ne mangez pas de déjections, s’il vous plaît! Je préfère prévenir, car l’humain… fait de drôles de choses parfois! Depuis qu’on a dû mettre un «Attention, café chaud» sur nos verres en carton, vous comprendrez que votre maître de piste ne prend plus de chances et préfère prévenir!

Revenons à nos népenthès… Ces plantes carnivores ne sont plus si carnivores que cela: elles reviennent à la nourriture plus «traditionnelle» des plantes… Mais plutôt que de passer par la décomposition, l’eau et les racines, elles absorbent directement les fèces par leurs pièges. Bref, on vient de retourner aux origines, mais de la manière la plus efficace possible!

Mais deux questions se posent: les excréments de qui? Et comment se rendent-ils dans les pièges?

De bouche à bol de toilette

Les excréments proviennent de petits mammifères. Ils sont très heureux d’y déposer eux-mêmes leurs petits ca-cadeaux, et ce, presque gratuitement. Le secret réside dans la forme du piège. Plusieurs appellent ces pièges des «bouches», puisque c’est, après tout, l’endroit par où la plante «mange». Il est certain qu’en regardant une dionée (la fameuse vénus attrape-mouche), il est facile de s’imaginer une bouche, avec deux lèvres et des dents…

Mais qu’en est-il de N. lowii, N. rajah et N. macrophylla?

Nepenthes lowii. Photo: barbaraparris
Nepenthes rajah. Photo: curiouscoucal
Nepenthes macrophylla. Photo: hirosi SBM 

Non, cher public, ce n’est pas un bol de toilette en porcelaine, mais bel et bien les pièges de plantes plus-si-carnivores-que-ça! Sous le «couvercle» de ces cuvettes, un nectar sucré appelle sa «proie».

Peut-on vraiment appeler ce chanceux petit animal une proie? C’est plutôt un mécène! Un donateur! Un gentil voisin qui donne des bonbons quand un enfant déguisé sonne à sa porte le 31 octobre! Le voici d’ailleurs, ce laitier qui fait du porte-à-porte pour y laisser de bons nutriments frais: le tupai (Tupaia montana).

Tupai s’écrit aussi «toupaye», et se prononce «tou-paille».

Ce mignon petit mammifère se nourrit d’insectes et de fruits, mais le nectar sucré est un excellent complément. Il s’installe sur le piège-cuvette et lèche le nectar, tout en déféquant allègrement dans l’urne du népenthès. La forme et la taille de l’urne sont exactement de la forme du tupai, assurant à la plante de ne rien perdre des cadeaux de ses hôtes.

Fait fascinant

La couleur du piège est parfaite pour la vision du tupai, qui voit les couleurs un peu à la manière des primates ou des humains.

C’est un exemple absolument fascinant de co-évolution qu’on retrouve chez une dizaine d’espèces de népenthès. Certaines sont des hybrides des trois principales espèces ayant développé ce mode de nutrition, mais comme les chercheurs font sans cesse de nouvelles découvertes, il y en a peut-être plus!

De bouche à sac de couchage

Je vous ai promis cinq vedettes pour notre spectacle du jour, voici la quatrième: Nepenthes hemsleyana.

Photo: BAZILE Vincent

Toujours sur l’île de Bornéo, un autre népenthès s’est spécialisé dans la coprophagie. Ses mécènes ne sont toutefois pas les tupais, il est cette fois question d’un mammifère volant bien connu, particulièrement en cette fête de Dracula.

La forme parabolique du piège est telle que les cris d’écholocation des chauves-souris y rebondissent très bien, signalant leur présence comme un phare dans la nuit. La partie supérieure de l’urne est beaucoup moins visqueuse ou collante que d’autres népenthès, permettant aux chauves-souris de s’y glisser et d’en ressortir en toute sécurité.

Messieurs dames, un autre spécimen surprise juste pour vos yeux ébahis: la chauve-souris laineuse (Kerivoula hardwickii).

Photo: Merlin Tuttle/Science Source

Pourquoi cette petite beauté se glisse-t-elle dans un piège? Tout simplement pour se reposer durant le jour! La plante offre un refuge sûr où se cacher, le liquide digestif de la cloche étant dans la partie du fond trop étroite pour que son invité s’y retrouve accidentellement. Comme remerciement à ce gîte forestier, la chauve-souris défèque durant ses heures de repos, laissant tomber ses déjections directement dans le fond du calice.

Environ le tiers de l’azote consommé par Nepenthes hemsleyana provient des défécations de ses petits invités volants. Évidemment, cher public, la nature fait son œuvre: vous aurez compris que la chauve-souris ne paie pas consciemment son passage! C’est un bel exemple de mutualisme où les deux espèces bénéficient l’une de l’autre, sans doute même inconsciemment. La plante se nourrit et l’animal a un abri, en plus de présenter moins de parasites et une condition physique généralement meilleure que ceux n’utilisant pas Nepenthes hemsleyana.

Photo: kcoulson
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J’ai hésité à vous le présenter, car il ne s’agit pas tout à fait d’une espèce coprophage. Elle est détritivore. Mais pourquoi se limiter? C’est maintenant ou jamais! Et puis entre le fumier et le compost, la limite est mince, n’est-ce pas, les jardiniers? Pour ce spécimen, nous restons dans les forêts tropicales en altitude de Bornéo, mais on le retrouve aussi en Malaisie, en Nouvelle-Guinée et à Sumatra.

Une espèce détritivore

N. ampullaria donc, est une plante qui récolte son azote à partir des débris végétaux qui tombent des arbres. Curieux, quand on pense que les autres népenthès utilisent souvent leur opercule comme protection contre ces débris qui pourraient tomber dans leurs urnes!

Ici, l’opercule est très petit et ne fabrique pas ou presque pas de nectar: pas besoin d’attirer les insectes ou les tupais. Pour les individus vivant sous le couvert forestier, les feuilles mortes qui tombent des arbres représentent environ la moitié de l’alimentation. D’ailleurs, vous avez peut-être remarqué que la disposition des pièges au sol est assez serrée, assurant d’attraper les débris efficacement.

Photo: philbenstead

Ce qui est particulièrement intéressant avec ces pièges-compost, c’est que plus d’une soixantaine d’espèces les utilisent pour y vivre, y pondre ou s’y nourrir. Des petites grenouilles, des araignées, des fourmis, des bactéries, etc. Tous ces organismes nourrissent aussi la plante à leur façon, soit avec leurs excréments, soit en traînant avec eux leur propre nourriture, soit en mourant. Certains font même le ménage des pièges en retirant l’excès de matière végétale, prévenant la pourriture!

Puisque digérer la matière végétale prend du temps, ces pièges ont une durée de vie beaucoup plus longue que les autres pièges de népenthès. Les œufs d’insectes ou de grenouilles ont donc le temps d’y éclore et de compléter leur stade larvaire sans souci. Kalophrynus pleurostigma, une petite grenouille, peut d’ailleurs pondre jusqu’à une centaine d’œufs dans une seule cloche. Ça en fait des têtards qui défèquent, pour le plus grand plaisir de leur hôte gourmand, évidemment!

Photo: amarzee

La fin… ou pas!

Les curiosités végétales sont littéralement infinies. On ne connaît pas tout et rien n’empêche qu’une espèce non découverte fleurisse un jour tous les dix ans au sommet du mont Everest, quand c’est une année bissextile. Si c’est la fin de notre cirque éphémère, sachez que le mystère et l’étrange se trouvent partout! Il vous suffit d’être curieux et attentifs…

Allons, séchez vos larmes! Je sais que ce grand voyage fut plein d’émotions, mais votre maître de scène doit se retirer…

J’insiste! Je dois partir!

… Quoi? Vous voulez un rappel? Mais… c’est le 31 octobre aujourd’hui, après, l’Halloween, c’est terminé, je ne peux pas décemment continuer mes histoires de poison et de vampires, allons…

… À moins…

Non, ce serait abuser…

… Mais il y a bien une possibilité… Minime… Que le jour des Morts soit propice à une supplémentaire?

Photo: AbaQ Studio

Qu’en dites-vous? Réclamez-vous un rappel? Oh, allez, plus fort! Vous savez bien que j’aime me faire applaudir et désirer!

Allez, je dois vous quitter, mais si vous continuez de me réclamer, qui sait, peut-être que le grand patron du cirque (Mathieu) n’aura d’autre choix que de me céder sa place le samedi 2 novembre pour souligner décemment la fête des Morts… J’ai justement un revenant quelque part dans les loges…!

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