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Livre horticole: «Pissenlit contre pelouse» de Claude Lavoie

Honnis une grande partie du 20e siècle puisqu’ils défiguraient les pelouses «parfaites», les pissenlits sont devenus des héros des temps modernes pour leur contribution à la survie des pollinisateurs. Beaucoup d’encre a coulé à leur sujet, ces dernières années, avec l’avènement des mouvements No Mow May et le Défi Pissenlits, qui suggèrent de retarder la tonte du gazon au printemps pour permettre aux insectes pollinisateurs de se nourrir de leur pollen et nectar.

Les admirateurs des pissenlits, comme ceux de leur ennemi juré, la pelouse, vantent les mérites de l’un et l’autre.

Pissenlit contre pelouse

Entre en jeu Claude Lavoie qui remet les pendules à l’heure avec son essai Pissenlits contre pelouse: une histoire d’amour, de haine et de tondeuse.

Le livre, publié aux Éditions MultiMondes, se lit effectivement comme une histoire qu’on ne peut pas arrêter de lire tant elle est captivante. Elle part du tout début, avec la genèse des pissenlits, pour nous mener à la création de la pelouse pour enfin aboutir au conflit qui perdure depuis la popularisation des surfaces gazonnées.

D’un continent à l’autre et vice-versa

Claude Lavoie commence en retraçant l’origine du pissenlit officinal (Taraxacum officinale) avec son ancêtre et celui de la famille des Astéracées, donc fait partie notre protagoniste. L’histoire débute donc il y a 33 millions d’années en Amérique du Sud. La propagation des Astéracées à travers le monde mène éventuellement à l’émergence des pissenlits en Afrique, qui se propagent ensuite à travers l’Europe et l’Asie. Le pissenlit officinal fait son retour au 17e siècle en Amérique avec les colons européens qui l’utilisaient de façon alimentaire et médicinale, et se répand avec le défrichement des forêts d’origine de l’est de l’Amérique du Nord. Ces champs ensoleillés sont l’environnement parfait pour le pissenlit qui suit les êtres humains traversant le continent nord-américain.

L’émergence de la pelouse est aussi traitée en détail dans l’ouvrage. On en retrouve des indices aussitôt qu’au 12e siècle, mais il n’est pas clair si elle est composée de graminées comme aujourd’hui. C’est plutôt au 17e siècle, en France, qu’elle trouve ses origines sur des propriétés d’aristocrates pour ensuite s’étendre en Angleterre. L’avènement de la tondeuse à lame rotative, mise en marché lors de la Deuxième Guerre mondiale, mais aussi l’arrivée des fertilisants chimiques et de l’arrosage automatisé serait la cause de l’explosion de sa popularité.

Début de conflit

L’auteur nous explique ensuite comment ces surfaces gazonnées, ouvertes, ensoleillées, engraissées et irriguées étaient une invitation ouverte au pissenlit officinal, qui est physiologiquement constitué pour réussir dans ces conditions.

La création des herbicides de synthèse aurait fait escalader le conflit contre le pissenlit, mais également le trèfle, qui ne résistait pas lui non plus à ces produits toxiques. Les amateurs de pelouse parfaite avaient maintenant une arme de choix. Mais, c’est ultimement ces herbicides qui auraient sonné le glas de la pelouse parfaitement verte. En effet, des citoyens inquiets, de diverses municipalités, ont commencé à demander l’interdiction des pesticides sur leurs territoires, entrant en conflit avec les énormes entreprises qui les produisent.

Le pissenlit et la pelouse, tous deux des héros?

Lavoie consacre aussi quelques chapitres à la découverte de l’utilité du pissenlit comme aliment, remède et symbole de la biodiversité, mais aborde aussi les bénéfices supposés de la pelouse. C’est ici que brille ce livre. L’auteur cite les arguments des partisans des pissenlits et ceux des promoteurs de la pelouse parfaite et les analyse en profondeur à la lumière du savoir scientifique actuel.

On apprend, en outre, que le pissenlit ne serait peut-être pas le meilleur aliment pour les abeilles domestiques, mais qu’il nourrit plusieurs insectes pollinisateurs indigènes moins visibles. Il explique aussi que, comme nous fait savoir l’industrie des engrais et des pesticides, la pelouse a des effets bénéfiques sur l’environnement et le réchauffement climatique, mais à un degré beaucoup moins voudraient nous faire croire.

Dans l’ère du No Mow May et du Défi Pissenlits, beaucoup d’opinions sont exprimées sur la pelouse et les pissenlits, mais avec peu de preuves tangibles pour les appuyer. Pissenlits contre pelouse de Claude Lavoie est une bouffée d’air frais dans ce débat, puisqu’il a revu pour nous l’état des connaissances à ce sujet, y compris le contexte historique et social. Lavoie ne se contente pas de critiquer ou de faire des louanges; il cherche plutôt à fournir une compréhension nuancée basée sur des recherches scientifiques, enrichissant ainsi le débat sur la gestion des espaces verts dans nos environnements urbains et ruraux.

On ressort de cette lecture avec une meilleure appréciation de ce conflit qui n’est vert ni jaune.

Photo: Claire Boismenu

À propos de l’auteur

Claude Lavoie a commencé ses études en sciences biologiques à l’Université de Montréal où il a obtenu son B.Sc. en 1988. Il a poursuivi ses études à l’Université Laval, obtenant un M.Sc. en 1990 et un Ph. D. en 1994 en biologie. Après des stages postdoctoraux à l’Université Laval et à l’Institute of Arctic and Alpine Research à l’Université du Colorado, il est devenu professeur à l’École supérieure d’aménagement du territoire et de développement régional et membre du CRAD en 1996. Ses recherches se concentrent sur la restauration des écosystèmes tourbeux, l’impact des activités humaines sur les milieux humides, et les invasions biologiques. Il a dirigé plusieurs projets de recherche significatifs et a contribué à l’avancement des connaissances sur la gestion des plantes invasives et la conservation des milieux humides. Claude Lavoie est également l’auteur de nombreux ouvrages et articles scientifiques, contribuant ainsi à la sensibilisation et à l’éducation environnementale.

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