Par Edith Smeesters, biologiste, auteure et conférencière
Un pré fleuri est une magnifique alternative à une surface gazonnée, mais exige de la patience et une bonne préparation du sol pour des résultats satisfaisants à long terme.
Il ne suffit pas d’arrêter de tondre la pelouse, car les résultats seront décevants et, si vous essayez cela sur un terrain de banlieue, vous risquez de vous attirer le courroux du voisinage. Par contre, si vous mettez les efforts nécessaires, le résultat sera magnifique et vous allez entrainer des voisins et amis dans cette belle aventure.
J’ai commencé mon pré fleuri, avec l’aide de mon conjoint, en 2003 : nous avons préparé la surface pendant un an, mais nous n’avons vu fleurir les premières vivaces qu’en 2005 ! Le résultat en vaut la peine, car le seul travail que nous avons à faire actuellement est de faucher une fois par année pour éviter que les jeunes arbres ne reviennent s’implanter et conserver notre magnifique panorama sur les Appalaches !
En 2000, nous avons acheté un terrain à la campagne de 1,5 ha (3,5 acres) dont la moitié est boisée et l’autre était un ancien pâturage. Nous avons bâti notre maison dans cette prairie en 2002 et, après la construction, il fallait végétaliser une surface de près de 2?000 m2 (environ 20?000 pi2) bouleversée par la machinerie, le champ d’épuration, la terre d’excavation, etc. Pas question pour nous de mettre du gazon partout, ce qui aurait demandé des heures de tonte hebdomadaire. Nous avons donc opté pour un pré fleuri qui a quand même exigé passablement d’efforts les 2 premières années. Nous avons gardé un peu de gazon autour de la maison pour permettre une circulation facile, recevoir des amis sur la pelouse ou permettre à nos petits-enfants de jouer en toute liberté.
Préparation du terrain
Avant de semer, il faut absolument que le sol soit débarrassé de toute végétation : pelouse ou prairie existante. Sur de petites surfaces, on peut étouffer les végétaux avec des toiles de plastique noir, du carton ou un autre matériel opaque qu’on laisse en place toute une saison. Dans notre cas, l’espace convoité était énorme et pratiquement à nu, mais probablement plein de semences d’adventices. De plus, le sol était en grande partie argileux et la terre d’excavation encore davantage. Un minimum d’amendement nous semblait donc essentiel.
Au printemps 2003, le fermier voisin est venu étendre du sable et labourer. Ensuite, nous avons semé un engrais vert de sarrasin afin d’apporter un peu de matière organique et d’éliminer un maximum de plantes adventices. Pour recouvrir les semences sur une telle superficie, nous avons eu la chance d’expérimenter un terreauteur motorisé qui a étendu 5 m3 de compost en une heure. Nous n’avons pas eu assez de compost pour couvrir toute la surface et on pouvait voir une énorme différence dans le taux de germination du sarrasin.
Nous espérions semer notre mélange de vivaces à la fin de l’été. Malheureusement, le temps était extrêmement sec et l’arrosage était exclu sur une telle superficie. Après avoir enfoui l’engrais vert au motoculteur, nous avons donc semé du seigle d’hiver et attendu au printemps 2004 pour semer nos fleurs.
Semis
J’ai utilisé trois mélanges de semences différents : un mélange de vivaces provenant de chez Labon (compagnie fermée aujourd’hui), un mélange spécial pour sols argileux de Wildflower Farm en Ontario et mon propre mélange, récolté aux alentours, qui contenait aussi quelques annuelles de mon ancien jardin de banlieue.
Les semences de fleurs sauvages sont très coûteuses et on ne veut absolument pas en gaspiller ! On les mélange donc avec un substrat inerte comme du sable, de la sciure de bois ou de la tourbe, par exemple. On remplit un seau de 70 l avec ce substrat humide et on ajoute à peine 150 g de semences pour couvrir une surface de 100 m2. On passe ensuite un rouleau pour assurer un bon contact avec le sol et on éparpille un peu de paille sur le tout.
Le résultat
Avec notre semis très précoce au printemps 2004, les annuelles nous donnaient déjà un peu d’espoir : les pavots, les centaurées et les cosmos étaient magnifiques, mais je savais que je les verrais de moins en moins les années suivantes à cause de la compétition avec les vivaces. Il est possible de conserver un pré fleuri d’annuelles, mais il faut passer le motoculteur et sursemer chaque année ! Pas très écologique à mon avis.
C’est en 2005 que nous avons vraiment été récompensés pour nos efforts avec la floraison des vivaces : des milliers de marguerites et de lupins sont apparus en juin, suivis des rudbeckies, échinacées, achillées et carottes sauvages en juillet et août, pour finir avec les asters en automne. Quel bonheur !
Les deux années suivantes, d’autres espèces sont apparues, comme des miscanthus, des monardes et plusieurs sortes de composées. Je dois dire que le mélange pour sols argileux a produit une variété de plantes plus intéressante que l’autre mélange commercial, meilleur marché.
Nous avons fauché des sentiers à travers notre pré et nos petits-enfants s’en donnent à cœur joie dans ce labyrinthe fleuri. C’est aussi un plaisir sans cesse renouvelé que d’observer les milliers de papillons et autres insectes qui butinent toutes ces fleurs, sans compter les volées de chardonnerets qui se nourrissent des graines et les tyrans tritris à l’affut des insectes !
À long terme
Nous n’avons désormais qu’un seul fauchage annuel à faire pour éviter que les plantes ligneuses ne s’installent et pour conserver un aspect de prairie. Inutile de songer à une tondeuse à gazon, il faut louer ou acheter une débroussailleuse.
Dans notre cas, comme notre pré fleuri est très vaste, mon mari en a profité pour se procurer un petit tracteur avec toutes sortes d’accessoires qu’il adore utiliser comme : une souffleuse à neige, une débrousailleuse et une déchiqueteuse fort utile pour notre brise-vent. C’est dire que ce tracteur est bien amorti et de toute façon, il aide nos muscles vieillissants !
Nous fauchons le plus tard possible en automne pour profiter au maximum de la floraison des asters et des miscanthus. Nous laissons tous les résidus au sol, bien entendu. Cela semble un peu désordonné avant l’arrivée de la neige, mais je crois que cela protège les plantes des effets du gel-dégel et tout cela disparait au printemps en même temps que la repousse.
Au fil des ans, des verges d’or et autres plantes indigènes, que je n’avais pas semées, s’installent progressivement et c’est parfait. J’ai cependant procédé à un nouveau semis dans une zone moins fleurie et j’envisage de rajeunir ici et là de petits espaces. Pour cela, j’étouffe la végétation existante avec du carton ou une toile noire opaque, puis j’attends quatre à six mois avant de passer la grelinette. Il suffit ensuite de ressemer. Avec l’expérience, je trouve que le meilleur moment est en novembre, juste avant les premières neiges. De cette façon, les semences sont en place avant l’hiver, mais ne germent pas avant le printemps. On gagne facilement un mois par rapport à un semis printanier et les semences ne manquent pas d’eau, car le sol en est gorgé.
Je pense que les prés fleuris ont une place de choix, surtout pour remplacer les éternelles pelouses sur les grands terrains, mais il faut demeurer réaliste et patient. Il faut prendre le temps de bien préparer le terrain et il ne faut pas espérer une floraison continue, mais plutôt accepter ce que la nature peut nous offrir à un endroit donné. Choisissez des vivaces qui poussent en abondance dans votre région, qui conviennent au sol de votre terrain et qui ne demandent pas d’entretien.
Pour nous, c’est un plaisir qui se renouvelle maintenant depuis seize ans et nous sommes encore surpris que toutes ces fleurs reviennent ainsi chaque année, pratiquement sans effort, tout en évoluant avec le temps.
Cet article est adapté du livre de l’auteure: « Guide du jardinage écologique », Éditions Broquet 2013. Photos de l’auteure.

