Par Julie Boudreau
14 juin 2025

Rutilante rhubarbe

Belle oubliée du temps de nos grands-parents. Toujours on la voit du coin de l’œil, dans les vieux jardins, survivant aux affres du temps sur les fermettes abandonnées, acculée à la grange, longeant la clôture de perches de cèdre. Il est grand temps de lui redonner ses lettres de noblesse et de vanter ses mérites aux quatre coins du jardin.

La rhubarbe est un légume fabuleux. D’abord parce qu’il est vivace, ce qui veut dire qu’on le plante une fois et qu’il revient fidèlement d’année en année. La rhubarbe produit pratiquement pour toujours. Elle pousse même en zone 3. Ensuite, ce légume est peu affecté par les insectes et maladies. On peut l’installer dans un recoin, au fond du jardin, et pratiquement l’oublier… sauf en saison de la tarte fraises et rhubarbe.

Aussi belle que bonne!

Toutefois, implanter la rhubarbe dans un endroit reculé serait bien peu rendre hommage à ses qualités ornementales. La rhubarbe est une plante architecturalement intéressante. Large feuillage bosselé disposé autour d’une grande hampe florale verticale, majestueuse et dominante en juin. Elle a le potentiel d’une plante vedette autour de laquelle gravitent les autres légumes du jardin. Il faut bien sûr considérer sa permanence avant de l’implanter à un design composé en majorité de plantes comestibles annuelles.

Assurément, les feuillages foncés des arroches pourpres, des betteraves ‘Bloody Mary’, du basilic pourpre, du radicchio ou du chou ‘Redbore’ créent un contraste intéressant. Les feuillages fins de l’estragon, de l’hysope et de la sarriette sont aussi à considérer. Puis, le fenouil bronze, une belle annuelle qui se comporte parfois comme une vivace, offre le meilleur des deux mondes! La rhubarbe est aussi intéressante pour former une haie qui borde le potager sur son extrémité.

Planter les rhubarbes au bon endroit

Plante imposante, elle peut couvrir jusqu’à 1,5 m de diamètre à maturité. Il faut donc lui allouer un espace convenable. Même si la rhubarbe affectionne le plein soleil, plusieurs jardiniers confirment sa culture à la mi-ombre. La fertilité du sol est une condition essentielle à son bonheur. À la plantation, on enrichit généreusement le sol de compost ou de fumier et on appliquera 5 à 10 cm de nouveau compost tous les deux ou trois ans. Bonne nouvelle pour ceux qui sont aux prises avec un sol lourd et argileux, la rhubarbe est votre nouveau meilleur ami, car elle s’y plaît.

Pétioles verts ou rouges?

La rhubarbe le plus souvent observée aux abords des maisons anciennes est une variété à pétioles verts avec de légers reflets rouges qu’on pourrait soupçonner d’être ‘Victoria’, une des anciennes variétés qui a traversé le temps et l’espace et qui est encore présente sur les tablettes aujourd’hui.

De nos jours, on privilégie les cultivars à pétioles rouges dont la belle couleur persiste à la cuisson. Nous sommes portés à croire que la couleur rouge indique une saveur plus sucrée, ce qui est parfois le cas, mais pas toujours. La rhubarbe ‘Canada Red’ est la variété classique qu’on peut dénicher à peu près partout. Pour une touche d’originalité, on peut dénicher ‘Strawberry Red’, bien intéressante pour sa couleur et son goût sucré ou ‘Valentine’, une variété plus compacte qui ne fleurit que rarement. Les amateurs de variétés anciennes rechercheront la juteuse ‘Glaskins’ pour ses origines britanniques datant des années 20. En vérité, il existe des trentaines de variétés différentes de rhubarbes, mais le marché québécois en propose 4 ou 5 tout au plus.

Pétiole = Miam! Feuille = Beurk!

Chez la rhubarbe, on ne consomme que les pétioles, c’est-à-dire les tiges des feuilles, qui peuvent mesurer de 20 à 45 cm de longueur. Les feuilles sont jetées au compost, car elles sont considérées comme toxiques. Quelques cas de décès et de troubles digestifs ont été répertoriés, mais on ignore encore à ce jour ce qui cause précisément l’intoxication. Certains pointent du doigt la haute concentration d’acides oxaliques, que l’on retrouve aussi en plus petites doses dans les épinards et l’oseille. D’autres mentionnent les phénols ou les glucosides d’anthraquinone. Qu’importe, la conclusion reste la même: on ne mange pas les feuilles de rhubarbe.

Récolter la rhubarbe

La récolte s’effectue principalement au printemps à peu près quand la feuille atteint son plein déploiement. D’un geste de la main, on casse le pétiole près du sol. Plus c’est jeune, plus l’équilibre entre l’acidité et le sucré est intéressant. Les petits pétioles sont aussi moins fibreux, ce qui est intéressant pour les confitures. La récolte peut quand même se prolonger jusqu’à la mi-août.

Après cette date, on laisse la plante refaire ses énergies pour se préparer à l’hiver. D’ailleurs, il faut pratiquer une cueillette raisonnée, car chaque pétiole que l’on prélève prive la plante d’une feuille, nécessaire au développement et à la croissance de la plante. Dès le départ, on attend une année complète après la plantation avant de commencer les récoltes. Par la suite, on conseille de prélever environ 50% des pétioles. Si on coupe systématiquement 100% des tiges, on finit par épuiser le plant de rhubarbe en trois ou quatre ans.

La précieuse victuaille prend alors la direction du chaudron à confitures. C’est une merveille dans les tartes et les smoothies. Il faut explorer les muffins, les chaussons, les tartes tatin, les crumbles, la pâte de fruits et les sucettes glacées. Et surtout ne pas négliger les sauces pour grillades et les entrées. On peut aussi congeler la rhubarbe coupée en tronçons, pour usage ultérieur. Les Britanniques disposent de jarres sans fonds qu’ils déposent sur les rhubarbes pour forcer les tiges à s’allonger et à se développer sans chlorophylle. Les rumeurs affirment que les tiges forcées de rhubarbes sont exquises.

Comme les fraises et les asperges, elle marque une saison de ses couleurs et de sa saveur. Oui, elle est probablement déjà là, au fond du jardin, et elle n’attend que vous…

D’origine asiatique, c’est Marco Polo en personne (car il a bien existé et son héritage ne se résume pas à un simple jeu de piscine) qui a d’abord fait les éloges de cette plante qu’on utilisait en Chine pour ses propriétés médicinales. L’Histoire nous laisse présumer que la Guerre de l’Opium aurait un lien avec la rhubarbe. En effet, au temps de la dynastie Qing, il était interdit de vendre de la rhubarbe aux étrangers européens (et du thé aussi) afin de punir les Britanniques pour leurs importations abusives d’opium en provenance de l’Inde.

Julie Boudreau

Julie Boudreau est horticultrice, diplômée de l’ITA de Saint-Hyacinthe. Elle œuvre dans le domaine l’horticulture depuis plus de 25 ans. Elle a publié une dizaine de livres et participé à de nombreuses émissions de télévision et de radio. Elle est enseignante au Centre de formation horticole de Laval. Passionnée de son métier, Julie Boudreau se consacre à promouvoir le jardinage, le design de jardin, la botanique et l'écologie, sous toutes ses formes. Un peu grano, écolo depuis toujours, gourmande et essayeuse, Julie est une épicurieuse avec un fort penchant pour tout ce qui se prononce en latin.

---

Nos partenaires locaux