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Comment les plantes savent que c’est le printemps (alors que nous, on se fait encore avoir!)

Ah, le printemps québécois! Ce moment de l’année où la météo joue au yoyo: 20 degrés pendant trois jours et de la neige la semaine suivante. J’avais à peine sorti mes chaises de patio à la mi-mars, histoire de profiter du 18 °C et du soleil, que j’ai dû les rentrer en vitesse quand c’est retourné à -10 °C sous la neige la semaine d’après. Mes espoirs de printemps et moi, nous voilà refroidis – littéralement!

Mais les plantes, elles? Elles ne regardent pas les prévisions météo sur leur téléphone intelligent et n’ont aucun moyen de savoir qu’un épisode d’hiver suivra le scandaleux 18 °C susnommé! Le printemps des fous est-il un enjeu pour nos aménagements? Heureusement, les végétaux ont un système bien plus sophistiqué que nos thermomètres et nos calendriers pour savoir si c’est le «vrai» printemps!

Photo: Joseph Royer

En fait, les plantes ont des récepteurs bien plus précis que nos sens capricieux en matière de détection de lumière ou de température. Leur méthode pour reconnaître le printemps combine plusieurs signaux bien plus fiables que ce que notre perception humaine peut détecter.

Des capteurs de lumière sensibles

La photopériode – ou la durée du jour – est leur premier indice. Vous avez noté que le soleil est plus bas à l’horizon et moins chaud en hiver? Mais il finit par remonter peu à peu à mesure que la terre s’incline vers lui et en mars, on peut sentir sa chaleur sur notre visage. Le temps qu’il passe dans le ciel et aussi sa «force» sont détectables par les plantes.

Cette apparente «puissance» vient tout simplement du fait que les rayons frappent la terre de plus en plus perpendiculairement et donc, une plus grande concentration de rayons se retrouve sur un périmètre donné.

Comme une image vaut mille mots, voici:

Source: meteocentre.com

Ce sont les phytochromes qui sont responsables de recevoir ces signaux lumineux. Leur particularité? Ils peuvent détecter la lumière même à travers la neige! La lumière traverse en effet facilement une fine couche de neige, permettant aux plantes de «sentir» les changements lumineux, même lorsqu’une fâcheuse bordée nous surprend en mars.

Ces protéines fonctionnent comme des interrupteurs moléculaires: elles changent de forme selon la longueur d’onde de la lumière. La lumière rouge active une forme, la lumière infrarouge en active une autre. Programmées par des millions d’années d’évolution, les plantes arrivent ainsi à comprendre les nuances les plus subtiles de la lumière. Coup de chance: peu importe la météo, le soleil et les mouvements célestes sont stables d’année en année, c’est donc un excellent moyen pour savoir qu’il faut commencer à s’éveiller pour éventuellement fleurir au bon moment.

La semaine qui n’existe pas

Vous savez que je raffole des anecdotes historiques! En voici une que j’adore: en 1582, le pape Grégoire XIII a proclamé que le jeudi 4 octobre 1582 serait suivi du vendredi 15 octobre. Boum! 10 jours de l’Histoire qui n’ont jamais existé!

Mais pourquoi cela? Le temps, avec les heures et les dates, a été «créé» par les humains. Toutefois, il ne reflète pas totalement la réalité. Par exemple, la terre ne tourne pas sur elle-même toutes les 24 heures. Elle le fait plutôt toutes les quelques… 23 h 56 min 4 s! Ainsi, c’est environ 4 minutes «de trop» que nous avons chaque jour.

De même, la terre ne met pas 365 jours pour faire le tour du soleil, mais bien 365.25 jours. Et voilà l’explication des années bissextiles aux quatre ans! Chose qui n’a pas été appliquée dès la «création» du calendrier. Notre cher Grégoire a donc retiré 10 jours du calendrier pour remettre les pendules à l’heure (du soleil) et faire de nouveau concorder les équinoxes avec les jours de fête et les calendriers de jardinage. Parce que bien entendu, les plantes, elles, continuent de suivre le soleil.

Le froid, un mal nécessaire

La lumière n’est pas leur seul indicateur. La température du sol joue un rôle crucial dans ce réveil printanier. Les racines et les semences sont équipées de capteurs de température qui mesurent précisément les variations. Ce n’est pas seulement la température de l’air qui compte, mais celle du sol – un paramètre bien plus stable et fiable.

Par exemple, si on pense aux bulbes de fleurs, elles sont besoin de passer par une période de froid avant de pouvoir fleurir. C’est la vernalisation. Sans quoi vos tulipes pourraient décider de refleurir en août, épuiser leur énergie, ne pas refaire de réserves et être incapables de refleurir après l’hiver.

Photo: Alexandra Vo

D’autres plantes, comme le pawpaw, un arbre fruitier d’Amérique du Nord, ont besoin de voir leurs semences exposées à plusieurs semaines à basse température pour germer. Ceci assure, encore une fois, qu’elles ne germent pas en plein été indien. C’est en quelque sorte un mécanisme de sécurité pour germer au bon moment, quand l’eau est disponible dans le sol, et que la belle saison sera suffisamment longue pour une croissance optimale.

La chaleur (selon les plantes!)

Toutes les plantes n’ont pas besoin de vernalisation, mais toutes sont sensibles à la température. Pour ces espèces, le réchauffement du sol est un signal crucial du printemps. Les variations de température enclenchent un réveil souterrain bien avant que les parties aériennes ne montrent des signes de croissance.

Meilleur exemple: l’eau d’érable. La sève remonte dans le tronc parfois dès la fin février. Pourtant, les bourgeons n’ouvrent pas avant avril ou mai!

Le réchauffement du sol active tout un processus biochimique. Les enzymes recommencent à travailler, la circulation de la sève s’accélère et les réserves d’énergie accumulées pendant l’hiver sont progressivement mobilisées. Et on ne voit rien de tout ça!

Chaque espèce a son propre seuil de température. Les pois et les laitues commencent leur germination dès que le sol est autour de 4 °C (le fameux «dès que le sol est malléable» des sachets de semences!), tandis que les tomates attendent que la température du sol dépasse 15 ou 20 °C. Ces seuils varient considérablement selon les espèces, reflétant leurs origines géographiques, leurs adaptations évolutives et la sélection que l’humain a faite.

Le réveil printanier et les changements climatiques

Comme on peut s’y attendre, les changements climatiques modifient petit à petit les signaux auxquels les plantes sont habituées. Des hivers plus doux, ou plus rigoureux, des variations de température plus fréquentes et plus importantes, sans oublier les précipitations toutes chamboulées, tout cela crée de nouveaux défis d’adaptation. Certaines plantes montrent d’ailleurs déjà des signes de perturbation: des bourgeons qui éclosent prématurément, des cycles de floraison décalés…

Mais pas d’inquiétude: l’évolution a doté les plantes d’une remarquable capacité d’adaptation. Leurs mécanismes complexes de détection leur permettent de s’ajuster progressivement à ces changements. Oui, certains individus fleuriront sans doute trop tôt, ou seront pris dans un gel tardif, mais ce n’est pas inquiétant. Ce n’est pas le premier réchauffement de la planète: certaines espèces s’adaptent et d’autres s’installent pour remplacer celles qui n’ont pas réussi. Ce n’est pas un processus parfait, mais plutôt une négociation constante avec un environnement en mutation. En un mot, c’est ce qu’on appelle l’Évolution avec un grand É!

Bref, j’espère qu’au moment où vous lisez ces lignes, j’aurai ressorti mes chaises de patio! Et pour de bon, cette fois! Mais je ne peux pas en être vraiment certaine… je ne suis pas une plante après tout!

Photo: Elisabeth Jurenka

  1. Madame Martel
    Votre blog sur la flore est un petit rayon de soleil que je déguste chaque matin. Un gros merci pour le partage de vos connaissances et conseils qui me sont très utiles.

  2. Merci pour vos écrits que je déguste toujours avec plaisir et avec le sourire.

  3. J’adore vous lire!

    Ici, dans l’Outaouais, il a neigé hier. 🙁

  4. Merci d’être là!

  5. Eh bien, chère Audrey qui écrit bien, ça ne sera pas pour aujourd’hui!

  6. Josée et Céline : Courage! Il a neigé hier, mais aujourd’hui, on annonce un beau 16 degrés! (Sous la pluie, mais bon, il ne faut pas trop en demander hein!)

  7. Bonjour Audrey,
    Je vous remercie pour tous les articles.
    Les détails intéressants que vous avez évoqués dans votre article m’ont donné l’idée de vous écrire à propos du Nouvel An dans mon pays, l’Iran.
    En Iran, le Nouvel An commence chaque année avec l’arrivée du printemps et donc change chaque année.
    Cette année, par exemple, il a commencé le jeudi 20 mars 2025 à 10 h 01 min 30 s ! Très précis!
    Pour nous, le Nouvel An commence chaque année avec le renouveau de la nature.

    Je vous souhaite un beau printemps fleuri, ainsi qu’à votre jardin 🙂

  8. Étant donné que vous n’avez d’endroit pour se désabonner, alors faite le pour moi.
    Envoyé plus tôt le courriel à l’adresse suivante : bengua2018@gmail.com
    Merci
    Benoit

  9. Merci Audrey, la facon dont vous maniez le verbe avec la connaissance m’impressionne toujours …

  10. Même depuis mon garde-robe, mes bulbes de Dahlia germent au printemps!

  11. Bonjour, je ne suis pas à l’aise avec votre phrase « la nature s’est toujours adaptée, donc nos jardins vont s’adapter aux changements climatiques ». Mais c’est justement sur cela que les scientifiques alertent : la nature s’est adaptée à des changements qui se sont fait sur des centaines voire milliers d’années. Le dégel de la dernière glaciation s’est fait en 6000 ans environ (https://fr.wikipedia.org/wiki/Glaciations_quaternaires). Le maximum glaciaire atteint était de 6-7 degrés Celsius, et en 6000 ans de dégel la température moyenne a monté de 6 degrés (https://trustmyscience.com/quelles-temperatures-sur-terre-durant-derniere-ere-glaciaire/). Aujourd’hui 2025, on parle de prendre 4 degrés en moins de 100 ans… (température moyenne du globe, incluant les zones se réchauffent beaucoup, peu et pas du tout)

  12. J’ai adoré ce texte. Dame Nature en sait plus que nous.