Pleurs et saveurs: les deux visages de l’oignon
Alors que certains jardiniers s’affairent déjà sur leurs semis de poireaux et d’oignons espagnols, d’autres attendent patiemment le dégel pour planter leurs bulbilles d’oignons jaunes ou leurs gousses d’ail. Une chose est certaine: si vous êtes un jardinier, vous avez probablement une sorte d’oignon quelque part dans le potager.

Ces légumes de la famille des Alliacées sont fascinants parce que ce qui les rend si savoureux et ce qui nous fait verser une (ou plusieurs) larme en les cuisinant sont aussi leur moyen de NE PAS se faire manger. Une contradiction assez étonnante, n’est-ce pas!
Une grande famille qui «pique» la curiosité
La famille des Alliacées comprend plusieurs espèces cultivées dans nos jardins. L’oignon commun (Allium cepa) est probablement le plus connu, mais il a de nombreux cousins: l’ail (Allium sativum), le poireau (Allium porrum), la ciboulette (Allium schoenoprasum), et bien d’autres. Chacun a ses particularités, mais tous partagent des caractéristiques communes, notamment leurs composés soufrés qui leur donnent ce goût piquant caractéristique.
Ces plantes peuvent prendre différentes formes selon l’espèce et le stade de récolte. Certaines font des bulbes, comme l’oignon et l’ail, qu’on récolte à maturité pour les conserver. D’autres, comme le poireau, développent plutôt une tige charnue qu’on appelle un fût. La ciboulette, elle, pousse en touffes et on récolte principalement ses feuilles. Mais ce n’est pas tout! On peut aussi manger plusieurs de ces plantes alors qu’elles sont encore jeunes: les oignons verts ne sont rien d’autre que de jeunes oignons récoltés avant la formation du bulbe.

Pour les besoins de notre article aujourd’hui, je vous invite à lire le mot «oignon» au sens large. Ne venez pas m’obstiner dans les commentaires qu’une échalote n’est pas un oignon: aujourd’hui, tout est un oignon!
(Et oui, je suis de la vieille école, j’écris oignon avec un g.)
Des maîtres de l’autodéfense
Les Alliacées ont développé tout un moyen de défense au fil de l’évolution: la capacité de prendre le soufre dans le sol et d’en faire des composés soufrés. Ces substances chimiques repoussent de nombreux herbivores et rendent les plantes moins appétissantes pour la plupart des insectes. Plus une variété est «forte» ou piquante, plus elle contient de ces composés protecteurs. C’est un peu comme la capsaïcine des piments forts, sauf que là, c’est dans toute la plante qu’on a la protection, et non seulement dans le fruit.
Ces composés soufrés ne sont toutefois pas présents uniformément dans toute la plante. Ils sont stockés sous forme inactive dans les cellules, et sont particulièrement concentrés dans les bulbes. C’est une stratégie pertinente: la plante protège surtout ses réserves, qui lui permettront de survivre et de se reproduire. Les feuilles en contiennent aussi, mais en moins grande quantité, ce qui explique pourquoi la ciboulette est moins «forte» que l’échalote française.

La concentration de ces composés varie selon plusieurs facteurs: la variété bien sûr, mais aussi les conditions de culture, le stade de maturité, et même le traitement après la récolte. C’est pour ça que vos oignons du jardin peuvent parfois sembler plus «forts» que ceux du supermarché. Ce n’est pas votre imagination: cultivés dans des conditions optimales, ils peuvent développer plus de composés pour se défendre. Paradoxalement, le stress, comme le manque d’eau ou les variations de température, peut aussi augmenter la production de ces composés.
Cette défense chimique ne protège pas seulement la plante elle-même: les composés soufrés qui s’évaporent dans l’air peuvent servir à éloigner certains insectes, microbes et champignons nuisibles des cultures. Quand un oignon est abîmé (par le vent, la sécheresse, un animal, etc.), les composés défensifs se propagent dans l’air et peuvent protéger les autres plantes du jardin. C’est une des raisons pour laquelle on recommande souvent d’avoir de la ciboulette au jardin.
Une protection… pas si parfaite!
Malgré cet arsenal chimique, certains insectes se sont adaptés et attaquent nos Alliacées. La teigne du poireau, par exemple, ne semble pas du tout dérangée par ces composés soufrés. Ce petit papillon pond ses œufs sur les feuilles, et ses larves creusent des galeries dans les tiges, causant des dégâts importants.

La mouche de l’oignon est un autre ravageur redoutable qui a développé une résistance à ces défenses chimiques. Ses larves s’attaquent directement aux bulbes, provoquant leur pourriture. Les dégâts peuvent être particulièrement importants en début de saison, quand les plants sont encore jeunes et vulnérables. Une fois installées dans le bulbe, les larves sont protégées des traitements insecticides et peuvent détruire toute la récolte.
Les thrips semblent aussi immunisés contre cette protection naturelle. Ces minuscules insectes suceurs peuvent causer des dégâts considérables, particulièrement durant les périodes chaudes et sèches. Ils laissent des marques argentées sur les feuilles et peuvent même transmettre des virus. Leur petite taille les rend difficiles à repérer avant que les dégâts ne soient visibles.
Pour protéger nos cultures, il faut donc combiner plusieurs stratégies: la rotation des cultures pour éviter que les ravageurs ne s’installent, les filets anti-insectes pour empêcher la ponte des papillons et des mouches, et une bonne irrigation pour garder les plants vigoureux. Certains jardiniers plantent aussi des carottes ou du persil entre leurs rangs d’oignons: ces plantes aromatiques peuvent aider à confondre les ravageurs qui cherchent leurs hôtes à l’odeur. Le compagnonnage, c’est aussi de la lutte biologique!

Mythes et réalités autour des oignons
1. Plus on arrose les oignons, moins ils sont piquants
FAUX: La force de l’oignon dépend de sa génétique et des composés soufrés qu’il produit naturellement grâce au soufre du sol. Un bon arrosage donne des oignons plus gros et en meilleure santé, mais ne change pas leur mordant! Au contraire, tout stress hydrique (trop ou pas assez d’eau) peut même augmenter la concentration en composés soufrés, tout en donnant des bulbes décevants… après tout, c’est un mécanisme de défense!
2. Les oignons plus gros goûtent plus fort
FAUX: La taille n’a rien à voir avec l’intensité. Certaines petites échalotes peuvent être beaucoup plus piquantes qu’un gros oignon espagnol. Comme pour les piments forts, on ne peut se fier à leur grosseur ou à leur couleur! Fiez-vous plutôt à vos sens: faites une petite entaille dans votre oignon et sentez-le, ça devrait donner un bon indice pour savoir si on le met dans le pesto ou dans la mijoteuse!
3. On peut récolter les feuilles d’oignons tout au long de la saison
VRAI ET FAUX: Les feuilles sont comestibles et délicieuses, mais leur récolte réduit la capacité de la plante à nourrir son bulbe. Chaque feuille coupée, c’est de l’énergie utilisée à refaire des feuilles, plutôt qu’à stocker dans le bulbe. Mieux vaut choisir: soit des oignons pour les feuilles (comme la ciboulette), soit pour les bulbes: on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre!
4. Les oignons cultivés en sol sablonneux sont moins forts
FAUX: Le type de sol influence la croissance et la conservation, mais pas l’intensité des composés soufrés. Un sol sablonneux donne des oignons qui se conservent mieux, car ils sèchent plus facilement à la récolte, mais leur goût reste le même. C’est la composition du sol (plus ou moins de soufre disponible) qui peut influencer le goût.
Pourquoi tant de larmes?
Revenons maintenant à cette fameuse question: pourquoi les oignons nous font-ils pleurer? Tout commence quand on coupe l’oignon. En brisant ses cellules, on libère une enzyme, l’alliinase (il n’y a pas d’erreur, c’est bien deux L et deux I!), qui transforme des composés soufrés inoffensifs en un gaz irritant. Ce gaz, au contact de l’eau dans nos yeux, se transforme à son tour en acide sulfurique. Nos yeux, pour se protéger, produisent alors plus de larmes pour diluer cet acide.

Ce mécanisme varie beaucoup selon les variétés. Les oignons rouges, par exemple, contiennent généralement moins de ces composés que les oignons jaunes. Les oignons doux, comme le fameux oignon de Vidalia, ont été sélectionnés spécifiquement pour leur faible concentration en composés soufrés, et sont donc, comme leur nom l’indique, plus doux. Quant à l’ail et aux échalotes, ils contiennent des composés différents qui sont tout aussi piquants, mais qui nous font généralement moins pleurer, car ils sont moins volatils. Après, tout dépend de votre sensibilité personnelle et de la quantité: si vous passez 5 lb d’oignons au mélangeur, attention en ouvrant le couvercle, peu importe le type d’oignon!
Quelques trucs
Il existe plusieurs trucs pour réduire les larmes en cuisine. Certains fonctionnent, d’autres relèvent plus du mythe! Couper l’oignon sous l’eau ou près d’une flamme peut aider, car l’eau ou la chaleur captent une partie des gaz avant qu’ils n’atteignent nos yeux. Porter des lunettes étanches, comme celles de piscine, est très efficace – même si on a l’air un peu ridicule! Par contre, mettre une cuillère dans sa bouche ou mâcher de la gomme n’a aucun effet prouvé.
Mon truc personnel? Je laisse mon conjoint les couper…!

(Je vous avoue sans honte que je ris à ma bonne blague toute seule parce que… c’est quand même vrai que c’est lui qui coupe les légumes presque tout le temps!)
Plus sérieusement, les rares fois où je coupe mes oignons moi-même, je me place sous la hotte de cuisine en fonction: le système de ventilation aspire les gaz irritants avant qu’ils n’atteignent mes yeux.
Vous pouvez aussi mettre vos oignons au frigo avant de les couper (le froid ralentit la réaction chimique), et utiliser un couteau bien aiguisé (moins de cellules écrasées = moins de gaz). Et si vous pleurez quand même… dites-vous que c’est le prix à payer pour toutes ces bonnes saveurs!
Il existe également (sud de la France, Cévennes, oignons doux espagnols, sans doute) des oignons doux qui peuvent se consommer crus, excellents en salade par exemple, ou à la « croque au sel » sans empester son environnement immédiat..
Dans ma région (Nord Nouvelle Aquitaine), lorsqu’à la fin de l’hiver les oignons se mettent à émettre des pousses (on les nomme, ou nommait, les traditions se perdent, _ognounes_ ), on utilise celles ci comme de la ciboulette ou pour confectionner de savoureuse omelettes.
Oignon avec un g, oui, biensûr, mais j’y vois simplement le respect ordinaire de l’orthographe du français. En revanche « ne venez pas m’obstiner » au lieux de « m’objecter », là il y a un vrai problème !…
Ici on s’obstine, on ne s’objecte pas, quand on s’objecte c’est pour arrêter quelque chose, quand on s’obstine vous diriez peut être qu’on argumente.
Sans vouloir vous contrarier.
Tout à fait d’´accord…au Québec on s’obstine et on argumente au besoin !!!
Bien dit
Durant la coupe d’oignons, respirer par la bouche et non par le nez, permet de ne pas avoir les yeux qui pleurent
Ma chère Audrey, votre texte est vivant et savoureux! Du bonheur!
Ma chère Audrey, votre texte est vivant et savoureux! Du bonheur!
Que ferait-on sans ail, oignons, poireaux, petit oignons verts, échalotes françaises! ue de saveur et de bonheur. Bon, je me souviens d’une amie qui s’affublait de lunettes de ski, etd’un tuba pour couper ses oignons. À l’époque, mes verres de contact me protégeaient!
Très beau texte, merci!
Moi aussi lorsque j’avais mes verres de contacts rigide, je ne pleurait jamais !
J’apprécie tous vos textes, chère Audrey. On reconnait toujours votre grande passion pour les plantes et même la belle langue française. Mais, là, sans vouloir « ostiner » personne, les rectifications orthographiques adoptées en 1990 par l’Académie françaises, ont des raisons logiques, mais n’avaient pas toutes été colligées par les dictionnaires avant les années 2010 à 2020.. Ainsi la nouvelle orthographe proposée pour « ognon » – ça s’écrit comme ça se prononce. – élimine le « i » et non le « g » (et ça n’oblige personne tant que les deux orthographes sont dans les dictionnaires, sinon les enseignants à ne pas pénaliser les élèves pour ni l’une ni l’autre des orthographes). C’est en anglais (onion) qu’il n’y a pas de « g » et il y a un « i » après le « n ». Fait très intéressant, mais méconnu, c’est une Québécoise linguiste et informaticienne de l’UQAM, Chantal Contant, qui entreprit cette tâche herculéenne de rechercher tous les mots assujettis à ces rectifications.énoncées par l’Académie, et qui a épluché les dictionnaires (Larousse, Robert, Multi…) avec une équipe de bénévoles munie d’un fichier Excel pour remettre à ces Institutions réputées, une liste exhaustive des nouvelles orthographes à inclure dans leurs éditions à venir, tout en reconnaissant (dans des colonnes détaillées du fichier Excel) les ajouts déjà indiqués dans leur dictionnaire en diverses positions dans la définition du mot. Le français est une langue vivante et il ne s’agissait pas là des premiers changements à l’orthographe; par exemple, avant les années 1930 environ, on utilisait une apostrophe au lieu d’un trait d’union dans une série de nom composé avec l’adjectif « grand » comme « grand’mère ». De plus, une interprétation fautive de cette orthographe moderne, affuble l’Académie d’avoir éliminé tous les « ph » alors qu’il n’y a que je mot « nénufar » qui a retrouvé son orthographe d’origine (arabe et non grecque). Renseignez-vous, c’est une étude passionnante aussi. (voir le « Grand vadémécum de l’orthographe moderne recommandée : cinq millepattes sur un nénufar » par Chantal Contant, Éd. : De Champlain S. F. 2010) (voir aussi le site du GQMNF : groupe québécois pour la modernisation de la norme du français)
Oignon est mieux que « gnochon »
🙂
Bonjour Audrey et tous, petit truc pas cher
Pour la ciboulette du Québec, je les achètes à l´épicerie attachées ensembles avec une partie de racines. Les mets dans l´eau 2 jours puis en terre. En ne coupant qu´une tige par ci par là, je peux conserver les plants 7 ans faiblement. L´hiver en pot au solarium chauffé mais assez froid pour qu´il y ai du givre sur les vitres. Font la floraison en mars. En coupant une tige, attention de ne pas perdre la précieuse goutte de sève. Peu exigeantes en eau, terre, et sans fertiliser. Les vieilles tiges brunissent du bout vers le coeur, meurent et sont remplacées. Plantes quasi éternelles aussi bien les acheter plutôt que de partir des graines. Du tout frais à l´année pour des années. Merci Audrey et de bons essais à tous. Toujours chouette de « jardiner » alors que dehors il neige…
Dans mon texte précédent, il aurait fallu lire 7 ANS FACILEMENT au lieu de FAIBLEMENT.
Désolé.
Intéressant, Daniel. Merci!
Je vais tenter l’expérience.
Pour la coupe de l’oignon moi je le garde effectivement au frigo et avant de l’éplucher je coupe le bout d’où viennent les feuilles , ensuite je l’épluche et après je coupe l’autre bout en creusant pour le degager et pour moi ça marche je ne pleure pas des yeux jamais
Pour la coupe de l’oignon moi je le garde effectivement au frigo et avant de l’éplucher je coupe le bout d’où viennent les feuilles , ensuite je l’épluche et après je coupe l’autre bout en creusant pour le degager et pour moi ça marche je ne pleure pas des yeux jamais
C’est mon premier commentaire, mais déjà je suis inquiète. À lire les derniers commentaires je me demande s’il y a ici des inspecteurs de la langue française qui nous rabrouent à chaque erreur commise.
Mais pour en revenir aux oignons voici mon truc: à chaque automne je déshydrate 10 à 15 livres d’oignons jaunes. Au lieu de me boucher les narines et de porter des lunettes de plongée, je m’installe dehors, au grand air et je vous assure que je ne verse pas une seule larme, ça vaut la peine si vous avez autant d’oignons à trancher.