Le fruit défendu n’a pas toujours été la pomme!
Que diraient nos ancêtres s’ils nous voyaient aujourd’hui, penchés sur nos catalogues de semences, à rêver de nos futures tomates du jardin? Ils nous prendraient probablement pour des fous! Car, oui, pendant près de 200 ans en Europe, ce fruit était considéré comme un poison mortel. De «fruit du diable» à vedette de nos potagers, la tomate a fait tout un chemin!

Une famille pas très recommandable
Ramenée des Amériques par les conquistadors espagnols au 16e siècle, la tomate était d’abord considérée comme une simple curiosité botanique. Les Européens, méfiants envers ce fruit rouge et brillant, préféraient l’admirer dans leurs jardins plutôt que dans leurs assiettes. Certains aristocrates gardaient même des plants de tomates dans leurs jardins d’agrément, aux côtés d’autres plantes exotiques rapportées du Nouveau Monde, mais hors de question de la déguster!
La méfiance envers la tomate n’était pas totalement injustifiée. Comme plusieurs jardiniers le savent, elle appartient à la famille des Solanacées, qui compte parmi ses membres la mortelle belladone, une plante si toxique qu’elle était utilisée comme poison au Moyen Âge. Avec une telle famille, pas étonnant que la tomate suscite la méfiance!
La famille des Solanacées comprend plus de 2500 espèces, dont plusieurs sont devenues des aliments de base: poivrons, aubergines, pommes de terre… Mais toutes partagent une caractéristique: la présence d’alcaloïdes, des composés chimiques qui peuvent être toxiques pour les humains et les animaux.
Dans le cas de la tomate, ces composés sont principalement la tomatine et la solanine, présents dans les parties vertes de la plante. Les tiges, les feuilles et même les fleurs en contiennent suffisamment pour causer des problèmes digestifs sérieux si on les consomme. Si vous êtes de ceux qui aiment décorer vos assiettes de fleurs pour impressionner la visite, ne prenez pas, je répète, NE PRENEZ PAS les fleurs de Solanacées!
Les fruits verts contiennent aussi ces toxines. Elles ne disparaissent qu’à la maturation des fruits. C’est pour ça que les tomates vertes doivent être cuites avant d’être mangées: la chaleur dégrade une partie des composés toxiques. Amateurs de ketchup vert, vous êtes prévenus!
Les tomates sont dangereuses, c’est la vaisselle qui le dit!
Ce qui a vraiment donné mauvaise réputation à la tomate, c’est… la richesse! À l’époque, les plus fortunés mangeaient dans des assiettes en étain et celles-ci réagissaient à l’acidité des tomates, causant des empoisonnements. Les pauvres, qui mangeaient dans des assiettes en bois, n’avaient pas ce problème… mais comme personne ne leur accordait de crédit, la tomate est restée un poison à éviter pendant des générations.

La chimie derrière ces empoisonnements est fascinante: les composés acides des tomates réagissaient avec les couverts. L’étain des assiettes était souvent un alliage avec du plomb, et, en entrant en contact avec les acides, ce plomb devenait soluble. Voilà comment obtenir un bon jus de tomate enrichi de plomb!
Ce métal lourd a la vilaine tendance à s’accumuler dans le corps et à causer des symptômes qui ressemblent étrangement à ceux d’un empoisonnement aux alcaloïdes: maux de tête, confusion, problèmes digestifs…
Ces empoisonnements à l’origine mystérieux ont mené à toutes sortes de théories farfelues. Certains croyaient que les tomates devenaient toxiques au soleil. En fait, ce n’était pas tout à fait faux, puisque la chaleur accélère le procédé chimique entre le plomb et l’acide. Une assiette laissée au soleil ou simplement utilisée durant les périodes plus chaudes (et ensoleillées) de l’année était nécessairement plus «contaminante».
D’autres hypothèses affirmaient que seules certaines personnes étaient sensibles à l’empoisonnement par les tomates, idée encouragée par le fait que le petit peuple pouvait en manger sans problème! C’est probablement le seul cas historique où manger dans des assiettes en bois était plus avantageux que de manger dans de la vaisselle de luxe!

Dire qu’aujourd’hui, manger sur du bois, c’est rendu fancy!
Une cousine qui a changé le monde
Ironiquement, pendant que l’Europe boudait la tomate, une autre Solanacée changeait l’histoire: la pomme de terre. Venue elle aussi des Amériques, elle est devenue la base de l’alimentation européenne, permettant une croissance démographique sans précédent. Sa capacité à pousser dans des sols pauvres et à produire beaucoup de nourriture par surface cultivée en a fait une culture révolutionnaire.
Les deux plantes partagent plusieurs caractéristiques: des parties vertes toxiques, une origine américaine, et une période initiale de méfiance. Mais la pomme de terre a eu un ambassadeur de choix en la personne d’Antoine Parmentier, qui a convaincu Louis XVI de son intérêt. Mais ça, c’est une autre histoire qui mériterait bien son propre article!
Mon point est le suivant: si vous cultivez des pommes de terre (Solanum tuberosum), il se peut que vos plants produisent de petites «tomates». Celles-ci sont vraiment toxiques (plomb ou pas!). À l’inverse, si vous cultivez des tomates (Solanum lycopersicum), sachez qu’il existe des plants modifiés qui peuvent produire des petites patates! En effet, comme les deux espèces sont proches, les producteurs s’amusent parfois à créer des hybrides, à faire des greffes, et autres techniques.
Sachez toutefois qu’on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre! Ces curiosités végétales nécessitent énormément de ressources pour faire des fruits ET des réserves dans leurs racines (les patates). La récolte est donc souvent décevante, mais l’expérience reste fascinante!

La réhabilitation du «fruit du démon»
Il a fallu attendre le 19e siècle pour que la tomate soit enfin comprise. Des démonstrations publiques de dégustation de tomates ont été organisées pour prouver leur innocuité. Le plus célèbre de ces «spectacles» eut lieu en 1820 sur les marches du tribunal du New Jersey, où le colonel Robert Gibbon Johnson mangea publiquement un panier entier de tomates sans mourir! C’était tout à son avantage, d’ailleurs, puisqu’il était cultivateur et horticulteur (en plus d’avoir homme politique, juge, soldat, et historien sur son CV. Dire que je trouve long d’expliquer que je suis une biologiste experte en vulgarisation scientifique!)

En Italie
Les Italiens ont joué un rôle crucial dans cette réhabilitation. Ils ont été parmi les premiers Européens à adopter la tomate dans leur cuisine, créant des sauces qui sont devenues emblématiques de leur gastronomie. La «pomme d’or» (pomodoro) est devenue si importante dans leur culture qu’il est difficile d’imaginer la cuisine italienne sans tomates… même si elles n’y sont présentes que depuis quelques siècles.
Et puis en France
Les Français, initialement réticents, ont fini par succomber aussi. La tomate est devenue un ingrédient de base de la cuisine provençale, donnant naissance à des plats comme la ratatouille, la salade niçoise, la tomate farcie et même les tomates séchées dans l’huile d’olive! On l’appelait alors la «pomme d’amour» et le coulis de tomate (la sauce tomate) fut un tournant dans cette cuisine du sud de la France, particulièrement en région rurale. Les botanistes français ont d’ailleurs commencé à développer de nouvelles variétés, plus grosses et plus savoureuses que leurs ancêtres sauvages.
Les tomates modernes
Aujourd’hui, la tomate est l’un des fruits les plus cultivés au monde, avec des milliers de variétés différentes: des minuscules tomates cerises aux énormes cœurs de bœuf, des jaunes aux noires en passant par les vertes et les rayées, la diversité est impressionnante.
Les scientifiques continuent d’ailleurs de développer de nouvelles variétés. Ils cherchent à créer des tomates plus résistantes aux maladies, plus adaptées aux climats nordiques, ou plus riches en nutriments.
D’ailleurs, on est en février et c’est le moment de choisir vos variétés. Nos semenciers québécois ont des catalogues infinis! Personnellement, je suis assez conservatrice et… je cultive surtout des restants de semences qui me sont donnés! L’année dernière, j’ai dû me procurer des semences et… il y en avait tellement que j’étais complètement perdue! J’ai opté pour un sachet de tomates italiennes en mélange des Jardins de l’Écoumène et j’ai adoré la simplicité et la variété de ce mélange! Où va votre préférence, vous? La simplicité, les variétés originales, les grosses, les petites? Je suis curieuse!

De la sauce à pizza aux sandwichs BLT, en passant par la sauce à spaghetti de grand-maman, la tomate règne désormais en reine incontestée de nos cuisines. Elle est passée de poison mortel à superaliment, riche en lycopène et en vitamine C.
Comme quoi, même les pires réputations peuvent changer… avec un peu de temps, beaucoup de courage de la part de quelques amateurs de tomates téméraires, et surtout, des assiettes sans plomb!
Article très intéressant! Merci!!!!!
mais QUI a écrit cet article? il est écrit au féminin et signé Mathieu!
C’est confu hein? Mais c’est bien moi, la correction est en cours haha ! On voulait voir si vous suiviez !
LOL
Excellent sujet…j’adore les tomates et c’était le légume préféré de ma mère. Super de comprendre toute l’histoire de ce »fruit défendu ». Merci.
Petite erreur historique.
Le Salem des sorcières est au Massachusetts, pas au New Jersey !
Extrêmement intéressant! De notre côté, nous avons essayé différentes variétés au fil des ans. Mais comme nous cherchons principalement à faire des réserves pour l’hiver – lire ici préparer quelque 150 pots Mason en octobre – nous cultivons des italiennes pour faire toutes nos bases de recettes.
Bonjour à tous
Merci pour tous vos articles toujours aussi intéressants que j’apprécie beaucoup.
Depuis quelques jours je m’étonnai de ne plus recevoir vos messages (pourtant journaliers) et je me suis réinscrite et aujourd’hui je suis bien heureuse d’avoir votre mail. Tout est rentré dans l’ordre.
Bonne journée
Excellent article et complet comme d’habitude merci! Ma tomate préférée est la Brandy Wine peu juteuse, très tendre et quel « goût !….
Pour les amateurs de tomates…et de solanacées : http://www.lapassiondestomatesetdesbrugmansias.com/
Mes tomates préférées : la « Liguria, la Noire de Crimée, les Zebra (de toutes couleurs), l’andine cornue et beaucoup d’autres : ce sont quelques unes des variétés que j’ai cultivées .
En fait j’aime toutes les tomates.
« Amateurs de ketchup vert, vous êtes prévenus! » la recette du ketchup vert m’a été donnée par un restaurateur de Chicoutimi, et comme il faut, d’après sa recette, cuire longuement les tomates, il ne devrait y avoir rien à craindre.
Ha ha Audrey, la solanine toxique, faut croire que les souris, mulots, ratons laveurs ont lu votre chronique. L´été dernier ces ravageurs
s´en sont goinfrés plus que moi. Non tuteurés les plants couchés les leur ont offertes. À chaque fois qu´une tomate commençait à rosir, c´est par grandes bouchées qu´elles étaient amputées. Jamais les vertes….
Merci Audrey.
Toujours aussi intéressants les articles du JARDINIER PARESSEUX. Qu’on en apprend des choses en se divertissant.
Mon moral est bien affecté de ce temps-ci par les mauvaises nouvelles internationales, vous lire me fait un bien énorme. Ainsi que les nombreux commentaires.
Bonjour, je n’achète pas de semences de tomates car je garde celles des tomates que j’aime et je les sème le moment venu. J’ai même déjà semé une graine dans un pot de fleur dans la maison en août et je me suis retrouvé avec des tomates quelques mois plus tard!