La vie pas si endormie sous la neige
Un matin d’hiver calme et immobile. Tout est endormi, sur pause. J’aimerais pouvoir accompagner cet article de l’odeur et du son de ce matin d’hiver dont je vous parle. Pas l’odeur de la neige brune et le son des voitures en ville, je ne suis pas méchante comme ça! Non, plutôt l’odeur d’un matin en campagne, quand un pied de neige fraîche est tombé durant la nuit. C’est une odeur indescriptible de froid et de vide qui chatouille les narines. Il y a une touche légèrement minérale, voire métallique, et l’air semble sec, piquant, comme si des cristaux de glace étaient en suspension dans l’air qu’on respire.
Et le son de ce matin! C’est une mélodie dont je ne me lasse pas. Au premier abord, tout est silencieux, rien ne bouge. Le silence paraît plus profond que n’importe quel silence, comme si le tapis de neige pouvait absorber le moindre bruit. Et puis on réalise que cette ambiance feutrée est en fait composée d’échos. Car la neige répercute les sons les plus infimes et les plus lointains, créant un léger bourdonnement apaisant composé de courants d’air et du froissement des feuilles de chêne sèches encore sur les branches. C’est comme poser son oreille contre un coquillage.

Mais cette apparente tranquillité cache une vérité fascinante: sous la neige, c’est le party! Un party silencieux et invisible, certes, mais un party quand même!
Un igloo pour les tous petits
Avant de vous présenter nos vedettes microscopiques, il faut comprendre pourquoi la neige est le parfait habitat hivernal. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, sous la neige, la température reste étonnamment stable, autour de 0 °C. C’est comme un igloo naturel pour les animaux et les microbes.
La neige est pleine de petites poches d’air qui agissent comme isolant, un peu comme les couches d’air qu’on superpose avec nos chandails, vestes et manteaux. Même si c’est froid au toucher, la neige et la glace sont tellement isolantes qu’elles permettent de créer des habitats bien protégés des grands froids. Ceux-ci sont même chauffés naturellement, soit par la chaleur du corps des animaux, soit par d’autres activités naturelles comme la décomposition.
Les populations vivant dans le Grand Nord le savent depuis des millénaires: même quand il fait -40 °C dehors, l’intérieur d’un igloo peut rester relativement confortable. Pourquoi le tunnel d’une musaraigne serait-il différent? Ce n’est pas pour rien que plusieurs animaux actifs en hiver creusent des habitats dans la neige: ce peut être un refuge «plus chaud» qu’une cavité naturelle dans des rochers ou des troncs d’arbres. Bref, dans votre cour, sous la neige, il y a un monde actif, même en hiver.
Je vous ai parlé d’igloo, de tunnels de petits animaux, mais là où je veux en venir, c’est à la vie encore plus petite qui agit sur l’environnement en hiver. Les organismes qu’on ne peut même pas voir à l’œil nu, mais qui sont pourtant essentiels à l’équilibre de l’écosystème, et à la bonne santé de vos plates-bandes.
Les champions du froid
Commençons par les champignons psychrophiles. Psychro signifie «qui aime le froid», et ces organismes ne font pas que tolérer les températures glaciales, ils en ont besoin pour prospérer! La plupart d’entre eux ont une croissance optimale entre 0 °C et 10 °C, et certaines espèces peuvent même rester actives jusqu’à -20 °C.
Le rôle de ces champignons est de continuer de décomposer la matière organique, même quand tout est gelé. Pour y arriver, ils ont développé des adaptations remarquables: leurs membranes cellulaires contiennent plus de gras insaturés que de gras saturés, ce qui les garde souples même au froid. Pensez à du beurre, qui est un gras solide à température ambiante, en comparaison à de l’huile, qui sera liquide. Les protéines aussi sont différentes: toute leur composition est adaptée aux températures hivernales.
On trouve ces champions du froid partout: dans le sol, sur les feuilles mortes, et même sur les aiguilles de conifères. Leur travail est essentiel: en décomposant la matière organique tout l’hiver, ils libèrent des nutriments qui seront immédiatement disponibles pour les plantes au printemps.
Les bactéries, pas en reste!
Certaines bactéries du sol ont développé des adaptations dignes des meilleurs films de science-fiction. Elles produisent des molécules antigel similaires à celles qu’on trouve dans le sang des poissons arctiques… ou dans le lave-glace des autos! Dans le cas des bactéries, il s’agit de protéines antigel qui se lient aux débuts de cristaux de glace, les empêchant de grossir et de déchirer leurs cellules.
D’autres bactéries entrent dans un état de «dormance active» (oui, je sais, ça sonne contradictoire!). Dans cet état, leur métabolisme ralentit considérablement, mais ne s’arrête pas complètement. Elles maintiennent juste assez d’activité pour réparer les dommages cellulaires causés par le froid et pour reprendre rapidement leur croissance dès que les conditions s’améliorent. Cette stratégie leur permet de survivre à des températures qui tueraient la plupart des autres organismes.
Tout comme les champignons, ces bactéries sont utiles à la décomposition hivernale.
Les algues qui colorent la neige
Mais mes préférées restent les algues qui colonisent la neige. Ces organismes microscopiques vivent SUR et non SOUS la neige et sont donc exposés de plein fouet aux éléments. Mais si je les trouve extraordinaires, c’est parce que ces algues peuvent littéralement colorer la neige en rose, en vert ou même en rouge! Plates-bandes d’hiver colorées en vue?
Ces microalgues peuvent non seulement survivre sur la neige, mais s’y multiplier activement, ce qui provoque la coloration de grandes surfaces. Ces couleurs viennent de pigments spécialisés: des caroténoïdes qui protègent leurs cellules des rayons UV intenses réfléchis par la neige, et des chlorophylles modifiées qui leur permettent de faire la photosynthèse même à des températures négatives. Selon l’espèce et la concentration en pigment, la neige apparaît d’une couleur différente.
Le cycle de vie de ces microalgues est particulièrement bien adapté aux conditions extrêmes. En été, elles survivent sous forme de spores dans le sol. Quand l’hiver arrive, ces spores germent et les algues migrent vers la surface de la neige où elles se multiplient rapidement. Elles peuvent même créer leur propre micro-environnement: leurs pigments foncés absorbent la chaleur du soleil, faisant fondre légèrement la neige autour de la colonie, et libérant l’eau dont elles ont besoin.
Malheureusement, n’espérez pas colorer vos bancs de neige avec ces algues, elles ne vivent que dans les régions très froides où la neige est présente une bonne partie, voire toute, l’année. On les retrouve en Arctique, au Groenland, dans les Alpes… Bref, pas vraiment dans les banlieues!

Un écosystème complexe
Tous ces microorganismes ne vivent pas en solitaire. Ils forment un véritable réseau sous la neige. Les champignons décomposent la matière organique, libérant des nutriments que les bactéries utilisent pour décomposer de la matière que le champignon ne décompose pas. Les algues produisent de l’oxygène et des sucres, qui participent aussi au cycle des espèces hivernales. C’est une mini-ville glacée où chacun a son rôle, et où les échanges sont tout aussi importants et complexes qu’en été.
Cette activité microbienne est cruciale pour nos jardins. Sans elle, le cycle des nutriments s’arrêterait complètement en hiver, et nos plantes auraient beaucoup moins de nourriture disponible au printemps. Ce monde minuscule est beaucoup étudié et de nouvelles espèces et de nouveaux mécanismes d’adaptation sont sans cesse découverts.
Plus encore
Récemment, les scientifiques ont même découvert que les microorganismes qui vivent à la surface de la neige peuvent significativement influencer sa vitesse de fonte. Ce phénomène est particulièrement visible avec les algues colorées, mais aussi avec certaines bactéries et champignons colorés (même si on ne les voit pas à l’œil nu!). En se multipliant à la surface, ces organismes forment des colonies qui modifient l’albédo de la neige, c’est-à-dire sa capacité à réfléchir la lumière.

Et alors? La neige fraîche et propre réfléchit jusqu’à 90 % de la lumière solaire. Mais quand elle est colonisée par des microorganismes, cette réflectivité peut chuter jusqu’à 40 %. Les pigments foncés des organismes absorbent la chaleur du soleil plutôt que de la renvoyer vers l’espace, créant des microzones au sol qui sont plus chaudes et qui accélèrent la fonte. Ce phénomène peut avoir un impact significatif: dans certaines régions arctiques, la présence d’algues des neiges peut accélérer la fonte de 13 à 21 % par rapport à la neige non colonisée. Pensez-y un instant: c’est un effet énorme pour des organismes si petits!
Conclusion
La prochaine fois que vous regarderez un paysage enneigé, calme, endormi, immobile… rappelez-vous qu’en dessous, c’est le party! (Et maintenant, je me sens mal chaque fois que je pellette ou que je déneige mon auto… S’cusez-moi, les champignons!!)
Fascinant. Merci beaucoup, c’est toujours agréable de te lire.
Extraordinaire, cet article. Merci beaucoup, Audrey.
J’ai perdu l’odorat et le goût suite à la Covid. Comme j’ai aimé votre description olfactive d’un matin d’hiver! C’est comme si je pouvais y être, presque. Merci.
Merci aussi de cet article si intéressant. C’est fascinant.
Moi aussi. Plus d’odorat depuis 4 ans et très peu de goût..Alors merci de nous faire rêver ?
Moi aussi. Plus d’odorat depuis 4 ans et très peu de goût..Alors merci de nous faire rêver ?
J’ai toujours aimé l’hiver et la neige… et bien la je vais la voir autrement. Merci du partage de tes connaissances, sous cette plume de mots. Justement en ce matin de tempête, le thème est juste et clair??
J’ai toujours aimé l’hiver et la neige… et bien la je vais la voir autrement. Merci du partage de tes connaissances, sous cette plume de mots. Justement en ce matin de tempête, le thème est juste et clair??
Super intéressant. Merci
Bonjour Audrey Martel,
Oui, j’abonde dans le même sens que Céline, fascinant et fort révélateur ce monde infime et essentiel au bon déroulement du cycle des saisons.
Très intéressant, merci
Merci de nous expliquer l’invisible hivernal, qui permettra de rendre visible la beauté des végétaux au printemps !
Fascinant, mystérieux et magique !
Vous lire est toujours un pur plaisir !
Merci Audrey ; vous etes vraiment une excellente vulgarisatrice.
Extraordinaire, cet article. Merci beaucoup, Audrey.
Grand merci pour cet enseignement qui nous fait apprécier nos quatre magnifiques saisons et les richesses qu’elles recèlent! Tout cela est merveilleux, magique et votre plume l’est tout autant!
Je n’aime pas l’hiver. Il fait toujours trop froid pour moi. Grâce à votre article, je vais voir l’hiver autrement. Oui Dame Nature ne fait rien pour rien. Tout a un sens dans la nature et chaque saison a un rôle indispensable à jouer. Si nous, les humains cessions un peu de jouer aux apprentis sorciers et nous inspirions de la sagesse millénaire de la nature notre planète et ses habitants s’en porteraient beaucoup mieux.
Heureusement qu’il y a des gens comme vous, scientifiques, vulgarisateurs et autres pour nous aider à comprendre et à respecter le travail des invisibles et inlassables travailleurs à qui on nuit trop souvent.
wow. qui l’eut cru! J’adore! ca me donne tellement le goût d’étudier la biologie!
Un texte magnifique, inspirant et plein d’espoir de toutes sortes.
Merci
Je veux continuer mon abonnement. Merci!
Quelle belle plume vous avez , Audrey!!
OH! J’adore vos explications offertes avec tant de couleurs! Merci.
Super intéressant. Merci
Audrey, merci pour ce beau texte. Un mélange de poésie, de sensibilité artistique et de connaissances scientifiques qui nous comble de bonheur.
je lis pas a tous les jours , quand j’ai besoin de savoir alors j’ouvre tout ou presque ce que j’ai besoin de savoir , merci encore vous faite de la belle ouvrage bravo
Merci de continuer de m’envoyer vos courriels toujours intéressants à lire!
L’infolettre du Jardinier est quotidienne, chaque jour on doit accepter ou gérer les cookies (je ne sais pas comment nommer ça). Ça ne pourrait pas se faire une fois pour toute, être enregistré quelque part. Ça fait quand même 365 acceptations par année.
Merci du commentaires, j’ai envoyé un message axu programmeurs.