Le jardinier face à El Niño
De retour avec vous en ce mois de février après une petite pause. Vous vous êtes ennuyés? Moi, oui! J’ai pris un peu d’avance et vous ai concocté quelques articles savoureux, tout en regardant les caprices de la météo par la fenêtre. Vous savez… les joies de travailler de la maison et de ne pas déneiger de voiture le matin!
Parlant de météo, vous la trouvez un peu… détraquée ces temps-ci? Eh bien, ce n’est pas votre imagination qui vous joue des tours, et si votre grand-mère vous dit que «c’était pas comme ça dans mon temps», sachez qu’en fait… Ça l’était!
Comme le chantait Plume en 1998: «c’t’encore ‘à faute à El Niño!»

Comment ça marche?
Cette année, on a droit à la visite d’El Niño. Pour ceux qui ne sont pas familiers avec l’espagnol, ça se prononce «èl ninyo» et ça signifie «le garçon». C’est un phénomène climatique qui chamboule la planète tous les deux à sept ans, et ce, depuis quelque 130 000 ans. Et il en brasse des affaires, ce p’tit gars-là!
D’habitude, dans le Pacifique, les vents soufflent d’est en ouest et créent des courants qui poussent l’eau chaude de surface vers l’Asie. C’est pour ça qu’en temps normal, l’eau est plus chaude près de l’Indonésie et plus froide près du Pérou. Voyez sur cette image comme les courants froids se heurtent à l’Amérique du Sud et remontent le long de la côte est.

Mais pendant El Niño, les vents prennent des vacances. Sans eux pour pousser l’eau chaude vers l’ouest, celle-ci reste sur place ou revient vers l’est. Résultat? Une grande partie du Pacifique se réchauffe.
Jusqu’ici, ça semble bénin, n’est-ce pas?
Où est le problème?
Imaginez que vous preniez une grande poêle avec quelques centimètres d’eau (ça marche aussi avec votre chaudron de pâtes, mais c’est moins évident) et que vous la mettez seulement en partie sur un rond allumé. Que se passe-t-il? L’eau se réchauffe partout, et éventuellement, la partie qui est directement sur le feu va bouillir, mais pas le reste de l’eau: elle reste plus froide. (C’est une simulation, ne mettez pas vos doigts dedans pour vérifier, ça reste chaud!) Ça, c’est la normalité. Si on centre la poêle sur le rond, toute l’eau se met à bouillir d’un coup. Il y a soudainement beaucoup plus d’évaporation, et un nuage de vapeur peut même se former. Ça, c’est El Niño qui s’installe.
L’océan ne bout pas comme dans la casserole de notre expérience, mais quelques degrés de plus suffisent à faire plus d’évaporation. Et sur une superficie immense comme l’océan, ça en fait de l’évaporation! On se souvient du cycle de l’eau appris à la petite école? L’eau s’évapore, fait des nuages et… retombe en précipitations.
Pas de neige à Noël? Trop de neige après? Ben oui: toute ça, c’t’à cause d’El Niño!
D’où vient ce nom bizarre?
Les pêcheurs péruviens ont remarqué depuis des siècles que certaines années, vers Noël, l’eau devenait plus chaude et les poissons disparaissaient. Ils ont appelé ce phénomène El Niño (en référence à l’Enfant Jésus) à cause de son apparition autour de Noël.
Ce n’est qu’au 19e siècle que les scientifiques ont commencé à comprendre le phénomène. Sir Gilbert Walker, un physicien britannique, a découvert que quand la pression atmosphérique était basse en Australie, elle était haute au Pérou, et vice versa. Cette pression influence le déplacement des masses d’air (du vent) dans l’océan Pacifique. Il ne le savait pas encore, mais cette découverte, nommée l’oscillation australe, est la cause d’El Niño.
Ce n’est que dans les années 1960 que les scientifiques ont fait le lien entre les observations des pêcheurs et les changements atmosphériques. Aujourd’hui, on parle même d’ENSO (El Niño-Southern Oscillation) pour décrire ce phénomène complexe.
(Personnellement, je trouve que «le p’tit gars qui brasse la météo» est plus accrocheur qu’ENSO, mais bon, vous savez, les scientifiques…!)
El Niño et les précipitations: une histoire d’amour-haine
Les scientifiques ne comprennent pas tous les impacts du phénomène (je vous fais la version très abrégée des causes et effets), mais on sait que les zones de précipitation sont déplacées. Chez nous, El Niño a tendance à nous donner des hivers plus chauds et secs que la normale. Moins de neige signifie moins d’isolation pour les racines de nos plantes, et moins d’eau disponible au printemps lors de la fonte.
Par contre, au printemps, on peut avoir droit à des précipitations plus abondantes que d’habitude… et ça inclut de la neige. Ensuite, il faut généralement se préparer à un été de canicules mondiales… Mais pas toujours au Québec.
Hein?
Eh bien oui: s’il fait plus chaud, les glaciers fondent au nord et le courant océanique atlantique descend le long de la côte avec toute cette eau froide, pouvant offrir au Québec un été plus frais. Je vous mets une autre carte des courants océaniques lorsqu’ils sont normaux. Regardez le courant qui descend le long de la côte ouest du Canada:

Votre grand-mère continue de vous obstiner que «c’était pas pareil avant»? Elle n’a pas tout à fait tort! Même si le phénomène El Niño ne date pas d’hier, on a pu observer que depuis quelques dizaines d’années, les effets de température et de précipitation sont plus intenses qu’avant. On ne parle pas d’un ÉNORME écart cependant: un ou deux degrés de moyenne mondiale. En tant qu’humain, c’est à peine perceptible, les effets sont cependant bien plus sentis au niveau de la nature…
Qu’est-ce que ça change dans notre cour?
J’y arrive, chers jardiniers! C’est bien beau la science, mais qu’est-ce que ça change pour vos tulipes?
Plusieurs éléments peuvent être affectés par ce p’tit gars. Je vous rassure: la nature est forte, habituée aux catastrophes et aux cycles capricieux de la météo. Si plusieurs changements peuvent être observés, ils ne sont pas tous mauvais ou nuisibles. Les pêcheurs du Pérou voient les poissons déserter les eaux devenues trop chaudes et pauvres en nutriments, mais les cultivateurs péruviens, eux, connaissent leurs meilleures années grâce aux précipitations abondantes. Si vos jardins sont infestés de bestioles cet été, voyez le positif: s’il fait moins chaud, ça va moins vous «faire suer» d’aller les ramasser!
Voici quelques exemples de changements que vous pourriez observer chez vous:
Les écureuils perdent la boussole

En temps normal, ces petits acrobates à queue touffue (et certains oiseaux comme les geais bleus) cachent des provisions en prévision d’un hiver long et froid. Mais avec El Niño qui nous amène des températures plus douces, ils trouvent plus facilement de la nourriture pendant l’hiver. Résultat? Ils oublient ou abandonnent une partie de leurs caches. Ces glands et autres graines, au lieu d’être déterrés et mangés, vont germer au printemps.
Surprise: des chênes poussent maintenant dans vos plates-bandes!
Vos vivaces se couchent tard
Normalement, elles entrent progressivement en dormance à l’automne et restent endormies tout l’hiver. Mais avec El Niño et les premiers mois d’hiver assez doux, la dormance tarde à s’installer, et les plantes restent gorgées d’eau et étirent leur saison.
Mais voilà, un jour, il fait 0 °C, le lendemain -40 °C! Si le gel survient subitement, les cellules des plantes peuvent être endommagées. Vous avez déjà mis une bouteille d’eau pleine au congélateur? Vous savez de quoi je parle… Quand le froid tombe subitement en janvier après un décembre doux, ça peut faire beaucoup de dommages.
Heureusement pour nous, le début du mois de janvier 2025 a été généreux en neige, qui est un excellent isolant pour vos plantes. Le froid est arrivé assez graduellement aussi, alors cet El Niño-ci ne devrait pas trop abîmer vos vivaces: ouf!
Les insectes font le party
D’habitude, notre hiver québécois fait un certain ménage: le froid intense tue plusieurs insectes nuisibles et/ou invasifs, ou les force à hiberner profondément. Mais avec des températures plus clémentes, plus d’insectes survivent jusqu’au printemps. Certains peuvent même rester actifs plus longtemps et se reproduire davantage. Résultat? Plus de bestioles dans vos maisons, des mouches encore actives à Noël, et une plus grande population d’insectes au printemps. On croise les doigts pour que les prédateurs soient aussi plus nombreux… Prêts à relever de nouveaux défis au jardin?

Que faire pour protéger notre petit coin de verdure?
1. Gardez votre paillis en place
Un bon paillis, c’est comme une couverture de survie pour vos plantes. Il aide à maintenir une température plus stable autour des racines et conserve l’humidité du sol. N’hésitez pas à en ajouter une couche supplémentaire si vous voyez que la protection diminue.
(Vous avez déjà lu ça dans un autre article? Sans blague! Le paillage, c’est l’outil ULTIME du jardinier paresseux, et ce, peu importe la saison!)
La neige, c’est un peu comme du paillis. Ne déneigez pas vos plates-bandes, c’est LA meilleure protection hivernale. S’il y en a beaucoup, c’est génial!
2. Surveillez l’humidité
Même en hiver, vos plantes ont besoin d’eau. Profitez des journées plus douces pour vérifier si le sol n’est pas trop sec, surtout autour des arbustes et des vivaces nouvellement plantés. S’il y a de la neige, aucun souci! Mais si en mars ou avril il n’y a plus de neige, qu’il ne pleut pas, et que le sol est sec… Honnêtement, c’est difficile de trop arroser les plantes qui sont en pleine terre alors dans le doute, arrosez donc vos plantes (au lieu d’arroser votre entrée en asphalte!).
(P.S. Amis de France, désolée si cet article qui parle de rond de poêle et d’arrosage d’asphalte vous laisse perplexes!)
3. Plantez des choses!
Le vent assèche et refroidit, particulièrement la terre nue. Protégez vos plates-bandes des effets desséchants des vents d’hiver en plantant plus de plantes! Un parterre de fleurs au milieu d’une pelouse survivra beaucoup mieux aux hivers en général avec quelques arbustes autour. Choisissez des variétés indigènes ou très rustiques, et optez pour la diversité.
Gardez en tête aussi que ce n’est pas parce que votre plante a survécu UN hiver qu’elle survivra TOUS les hivers. Avec les El Niño, les absences de neige, les températures extrêmes… Le Québec, vous savez…! Ne vous compliquez donc pas la vie et plantez des plantes qui survivent déjà bien à nos hivers.

Bref, en attendant que tout rentre dans l’ordre, prenez ça comme une occasion d’observer les adaptations de la nature. Aucune inquiétude à avoir: si les plantes et les animaux ont survécu à des millions d’années d’évolution, ils ont sûrement quelques tours dans leur sac!
Merci pour les bons renseignements très intéressant.Je n ai pas beaucoup de soleil à l intérieur quelles plantes que je peux me permettre.Bonne journée merci.
Merci pour ses informations, c s’était intéressant
Merci ! Vos articles sont toujours très pertinents, éducatifs, pédagogiques et intéressants. !
Heureuse de vous lire ce matin!
Merci madame Martel pour votre excellent texte et merci El Nino pour cette belle variété dans nos saisons.
Heureuse de vous relire et bonne journée.
Merci! Là au moins, on saura (?) à quoi s’attendre…?
Petite rectification
Le mot niño ne se prononce pas comme ninyo, mais comme nigno car ñ en español = gn en français.
Toujours aussi intéressant à lire. Vous donnez des informations clair et facile à comprendre tout en conservant un côté comique.
Merci Audrey, très intéressant. J’adore te lire.
Petite erreur d’inversion des points cardinaux… Première carte, le courant froid remonte la côte Ouest de l’Amérique du Sud. Deuxième carte, le courant du Labrador descend le long de la côte Est du Canada.
Wow merci! Je ne peux pas croire que cette erreur aie passée tous les niveaux de révision… comme quoi on est des horticulteurs et biologiste, et non des géographes ! Je corrige de suite.
Merci Audrey pour cet autre texte instructif … j’attendais le retour de tes joyeuses écritures du jeudi avec impatience. Bon, je vais de ce pas brasser ma grosse fougère puisque le grand vent des derniers jours n’est pas entré dans la maison… heureusement ?