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Mon parcours de l’asphalte à la verdure

Il y a très longtemps, en octobre 1993, je vous ai parlé d’une petite complication dans ma vie: je venais d’acheter ma première maison, le rêve de tout jardinier, mais j’avais découvert que les cours arrière et latérales étaient… pavées. «Voyons, me direz-vous, vous deviez sûrement le savoir au moment de l’achat!» Eh bien, non. C’est que nous avions acheté notre maison au mois de février. Or, je vous mets au défi de savoir ce que vous avez comme terrain, à Québec, en février. C’est en visitant à nouveau la maison, à la fonte des neiges, que j’ai découvert… le pot aux roses. Vous pouvez facilement imaginer que pour quelqu’un qui a rêvé toute sa vie d’un jardin à lui, ce fut tout un choc!

Asphalte, presque de l’entretien zéro

Évidemment, en tant que jardinier paresseux, j’aurais dû être content. Après tout, l’asphalte, c’est presque de l’entretien zéro! Mais disons que je voulais quelque chose d’un peu plus vert. De toute façon, l’asphalte était en train de se faire sérieusement gruger par l’un des rares végétaux que les anciens propriétaires avaient plantés, l’herbe aux goutteux (Aegopodium podagraria). C’est ainsi que j’ai décidé d’enlever l’asphalte, tout l’asphalte (ainsi que l’herbe aux goutteux!), et de convertir ma cour arrière en véritable jardin.

L’herbe aux goutteux.

Évidemment, enlever de l’asphalte, ça prend du temps et des efforts. Je ne pouvais imaginer comment tout faire disparaître en une seule année, du moins sans trop m’épuiser. Alors j’ai intégré l’enlèvement de l’asphalte à mon plan d’aménagement, un plan étape par étape réparti sur… 47 ans (on est paresseux, ou bien on ne l’est pas!). L’enlèvement de l’asphalte s’étalait sur six années. Et la bonne nouvelle, c’est que, six étés plus tard, c’est effectivement terminé.

Un projet à long terme

Je me souviens encore des réactions de gens qui sont venus visiter notre maison au cours des cinq dernières années. J’avais expliqué à l’époque avoir enlevé la moitié de l’asphalte de la cour arrière dès la première année. Or, une cour à moitié pavée, c’est encore un peu surprenant. La remarque habituelle? : «Mais je pensais que vous aviez enlevé de l’asphalte!» Encourageant, n’est-ce pas, de bûcher comme un fou pour enlever le plus possible d’asphalte et de voir que la plupart des visiteurs pensaient que je n’avais pas encore commencé?

Un jardin rempli de végétaux est tellement accueillant. Photo: Elena Photo

Je suis donc d’autant plus heureux de partager avec vous cette nouvelle: il n’y a plus d’asphalte dans ma cour! Ma cour ressemble désormais à n’importe quelle autre cour du Québec: du gazon, quelques arbres et arbustes, et des fleurs… D’accord, il y a peut-être moins de gazon que dans la plupart des cours et plus de fleurs, mais tout de même, c’est plus près de la norme.

Un truc pour enlever l’asphalte

Au cours des deux dernières années, j’avais cependant trouvé un truc pour enlever l’asphalte sans dépenser autant d’énergie que les premières années, où je l’ai fait moi-même en utilisant un marteau-piqueur. C’est le truc idéal pour le jardinier paresseux: payer quelqu’un d’autre pour le faire à notre place! Je ne sais pas pourquoi je n’y avais pas pensé plus tôt (mais le fait que je n’avais pas de budget pour ça était sans doute un facteur important!). Et non pas avec un marteau-piqueur, mais avec une pelle mécanique. Non seulement la pelle casse-t-elle l’asphalte encore plus rapidement, mais elle enlève aussi les résidus.

La pelle mécanique est l’option la plus rapide pour retirer l’asphalte. Photo: Getty Images

Les autres années, voyez-vous, avec le marteau-piqueur, casser de l’asphalte n’était qu’un début: il fallait de plus enlever chaque morceau l’un après l’autre, manuellement, et le déplacer. Étant donné la taille du défi, je n’ai pas fait ce qui paraît évident, soit de descendre l’asphalte jusqu’à la rue pour m’en débarrasser complètement. La rue, sur mon terrain très en pente, est située presque deux étages plus bas. Donc, descendre deux étages avec de gros morceaux d’asphalte lourds pour remonter aussitôt, c’est beaucoup d’efforts pour un jardinier paresseux. Aussi, je l’ai caché dans la cour arrière. La rocaille dans le coin et la butte du fond sont composées de 95 % d’asphalte et de seulement 5 % de bonne terre et de pierres ornementales. Et les pas japonais qui traversent mes plates-bandes? Ça aussi, c’est de l’asphalte.

Laisser travailler les autres

Et de plus, j’ai eu un autre éclair de génie. J’ai pensé que je pouvais embaucher quelqu’un d’autre, du moins à l’occasion, pour faire des travaux que, en tant que jardinier paresseux, je ne tenais pas à faire moi-même. D’accord, ça allait coûter plus cher, mais quand on considère que je fais vivre ma famille en écrivant, et que les semaines que je passais annuellement à casser de l’asphalte et à le déplacer, étaient des semaines où aucun revenu ne rentrait, c’était plus que justifiable (triste de constater, cependant, qu’une seule journée de travail de huit heures pour un opérateur de pelle mécanique équivaut presque à 160 heures de travail pour un auteur!).

D’ailleurs, je commence à prendre goût à laisser travailler les autres à ma place. L’été dernier, j’ai embauché ma belle-fille pour peindre la maison, charrier de la terre et faire d’autres menus travaux autour de la maison. Cela m’a permis d’écrire un livre que je n’aurais normalement pas eu le temps d’écrire.

Pas pire, n’est-ce pas? Je commence à découvrir comment paresser… et rendre ça payant, de surcroît! Il ne me manque plus que de déposer un brevet sur la méthode et de la vendre et je serai vite multimillionnaire! Hum, il me vient une idée… Je me demande si mon fils a trouvé un emploi, je pourrais lui refiler le contrat…


Larry Hodgson a publié des milliers d’articles et 65 livres au cours de sa carrière, en français et en anglais. Son fils, Mathieu, s’est donné pour mission de rendre les écrits de son père accessibles au public. Ce texte a été publié à l’origine dans Fleurs, plantes, jardins en décembre 2000


commentaire sur "Mon parcours de l’asphalte à la verdure"

  1. Mathieu
    Continue de ton beau travail …fait nous rire avec les anecdotes de ton père si charmant …!

  2. je veux me désabonner… je ne trouve pas l’endroit où le faire; merci de m’informer.

  3. Geneviève Sylvestre

    Tellement charmant! J’adore la photo de Monsieur Hodgson qui roupille dans son jardin! 🙂

  4. J’aime voir que je suis pas la seule qui s’embarque dans des projets gigantesques pour me créer un endroit paradisiaque chez moi et ce même si c’est étalé sur plusieurs années… vive la persévérance! J’aime beaucoup vous lire c’est un réel plaisir!

  5. Quelle fin prémonitoire! Une chance qu’on t’a, Mathieu (et tes nombreux collaborateurs), pour prendre la relève de Larry! <3

  6. Quel charmant article! Je ne l’avais jamais lu encore, mais je reconnais bien le sens pratique et l’humour de Larry. Son histoire n’est pas si unique que ça pour l’époque… en effet, quand mes parents ont acheté leur maison dans le même quartier que Larry en 1964, la cour arrière était entièrement couverte de gravier! Pleins d’enthousiasme (mais sans planifier), ils ont planté tellement d’arbres autour de la maison que 20 ans plus tard, durant l’été, l’ombre du feuillage nous obligeait à allumer les lumières à l’intérieur pour y voir. Les temps ont changé…

  7. Tellement intéressant de comprendre la genèse de cette rocaille et de ces pas japonais “asphaltés” du jardin de ton père, Mathieu! Tu nous en avais brièvement parlé lorsque tu étais allé faire des travaux d’entretien et de réaménagement du terrain après son départ, mais on comprend maintenant mieux l’état d’esprit et la philosophie de ton père en l’entendant nous raconter son projet lui-même. 🙂 Excellente idée de continuer à nous donner accès à ces archives, tout en continuant de nous informer sur les tendances et techniques de jardinage plus actuelles! Merci!

  8. Merci à Mathieu et son équipe pour la relève. Ainsi l´oeuvre de Larry se poursuit, un peu comme le retrait de l´asphalte.
    Et merci pour ces mignons commentaires du public au quotidien.
    Merci à tous de contribuer ainsi à embellir l´oeuvre de Larry.

  9. J’aime beaucoup cette phrase de Jules Renard:
    “Le temps perdu ne se rattrape jamais.
    Alors, continuons de ne rien faire.”
    À nous maintenant de continuer la lignée des paresseux. Merci Mathieu de nous y encourager.

  10. Quelle belle photo de votre papa se reposant dans son magnifique jardin! Un vrai petit coin de bonheur! Un souvenir inoubliable pour vous et inspirant pour nous!!!

  11. J’aime bien quand des textes de Larry refont surface à l’occasion. Merci Mathieu, tu t’acquitte à merveille du contrat que ton père t’a refilé 😉

  12. Merci pour ce bel article tout en humour de votre père! C’est toujours un bonheur de le lire! 🙂

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