Le 45e anniversaire des Jardins du Grand-Portage: de l’art au jardin
J’ai visité les Jardins du Grand-Portage avec mon père il y a une vingtaine d’années. C’était le cadeau qu’il m’offrait pour mon anniversaire, lui qui voyait bien à quel point l’agriculture biologique m’intéressait. Étrangement, ce n’est pas le potager qui m’a marqué, mais le jardin zen, unique puisqu’il remplaçait le sable par des plantes couvre- sols qui changeaient de place avec le temps. C’était la première fois que je me rendais compte qu’un jardin pouvait évoluer au fil du temps. Cette découverte a profondément influencé mon travail de concepteur, m’incitant à apprécier les plantes qui se déplacent et le changement des saisons. Encore aujourd’hui, je me remémore souvent cette expérience marquante.
Cette année, les Jardins du Grand-Portage, fondés par Yves Gagnon et sa conjointe Diane Mackay, célèbrent leur 45e anniversaire. Je me suis donc entretenu avec Yves Gagnon qui m’a raconté son histoire et celle des Jardins, situés à Saint-Didace, dans Lanaudière. Ses jardins ont forgé son parcours d’éducateur et d’artiste.
Joindre l’ornemental au comestible
Leur intérêt pour les jardins ornementaux a vraiment pris son essor après qu’Yves et Diane ont participé à un concours de jardinage organisé par Harrowsmith en 1984. La compétition, qui portait sur les jardins bio et, surtout, sur les potagers, offrait comme premier prix un voyage en Europe pour deux personnes. Yves et Diane, qui n’avaient pas voyagé depuis leur installation à Saint-Didace faute de moyens, ont décidé de tenter leur chance. « Ça fait qu’on a mis le paquet, me raconte Yves. On a fait le plus beau jardin qu’on avait jamais fait, on a pris des photos tout l’été. J’ai écrit un texte, et Diane l’a traduit parce qu’elle est prof d’anglais, donc elle pouvait le traduire correctement. Puis, on a envoyé notre dossier à Harrowsmith et, contre toute attente, on a remporté le premier prix. »
Le voyage en Europe a été une révélation, surtout leur visite des jardins d’Angleterre, comme celui de Great Comp, un jardin privé dans le Kent créé par un couple travaillant d’arrache-pied, qui a été une source d’inspiration majeure. « Et les deux pieds campés dans ce jardin anglais, on s’est dit : “C’est ça qu’on va faire.” Ça a été vraiment le déclencheur. »
À leur retour, Yves et Diane ont commencé à incorporer des éléments de jardins anglais et orientaux à leurs propres jardins. Ils ont créé des sentiers sinueux et des plates-bandes aménagées à l’anglaise, influencés par la philosophie orientale du détachement et du lâcher-prise.
Depuis 1985, ils développent à la fois la production maraîchère et ornementale. Ils continuent à cultiver des légumes, mais se sont également spécialisés dans la production de semences et l’intégration de plantes médicinales, une passion de Diane.
Auteur et éducateur
Lorsqu’il évoque son travail d’auteur, Yves explique que cela s’insère dans ses multiples activités. En effet, malgré son emploi du temps chargé comme semencier et jardinier, il a aussi trouvé le temps d’être éducateur et auteur. « Ben, je te dirais que, quand le mois de novembre arrivait et que j’avais quitté le jardin, les outils étaient huilés et rangés. Puis là, je me retrouvais devant un vide, tu sais, j’avais rien à faire. Moi, je suis hyperactif. Un hyperactif qui se retrouve devant le vide, c’est pas bon. Je développais des problèmes au cerveau dans le sens où, dans ma famille, il y a génétiquement un problème d’hypertension. Mon père faisait de l’hypertension, mon grand-père faisait de l’hypertension. Moi, quand je suis actif, on dirait que ça va, ça circule. Mais quand je me retrouve avec rien à faire, là ça va pas du tout. Ma pression montait, j’avais mal à la tête. J’étais physiologiquement obligé de développer des projets. »
En 1984, Yves a donné ses premiers cours de jardinage, organisés par la formation populaire de la commission scolaire. L’intérêt suscité par ces cours l’a poussé à structurer ses connaissances et à écrire son premier livre, Introduction au jardinage écologique. « Contre toute attente, ça a été un succès de librairie et en 3 ans, j’en ai vendu 10 000 exemplaires. »
Ce succès le mène à donner des formations professionnelles en horticulture maraîchère écologique à Mirabel, ce qui l’a conduit à approfondir ses connaissances, notamment sur les sols, grâce à des ouvrages européens comme ceux de Dominique Soltner. Il a ainsi publié un deuxième livre en 1990, La culture écologique pour petite et grande surface, qui s’est vendu à 14 000 exemplaires.
Ce succès répondait à un besoin au Québec, qui souffrait d’un vide dans ce domaine. Yves a donc continué à écrire et à publier, devenant une référence incontournable pour les maraîchers et les jardiniers écologiques. Ses livres étaient largement utilisés, notamment au début des années 2000, lorsqu’il était l’un des rares auteurs québécois à écrire sur ces sujets.
Ouverture des jardins au public
Grâce à ses livres, Yves a également été en grande demande par les sociétés d’horticulture pour donner des conférences. L’idée d’ouvrir les Jardins du Grand-Portage au public est née des premières visites de groupe, souvent après des présentations de diapositives sur les jardins lors de conférences. Au début, tout était informel : des groupes arrivaient en autobus, et Yves faisait le tour du jardin. Cela a rapidement suscité de l’intérêt. Tellement que, en 1990, l’ouverture officielle des jardins au public a eu lieu, permettant des visites tout l’été, du début juillet à la mi-septembre. Ces visites continuent encore aujourd’hui.
Les visiteurs demandaient souvent où manger après leur visite, mais les options locales étaient limitées. Ainsi, en 1992-1993, Yves et sa famille ont créé une table champêtre, offrant des repas le week-end pendant 20 ans. Cette initiative a non seulement enrichi l’expérience des visiteurs, mais a également permis de financer les études de ses enfants à Montréal. En outre, elle réunit ses deux grandes passions, la cuisine et le jardinage, tout en ajoutant à son travail une touche de créativité.
De l’art au jardin
Je vois un parallèle entre le travail de jardinier d’Yves, qui a évolué de la production maraîchère vers une approche plus créative et ornementale, et son travail d’auteur, qui a débuté par des écrits techniques et scientifiques pour ensuite s’orienter vers des récits et de la poésie.
« À un moment donné, je me suis rendu compte que mon plus grand plaisir dans l’écriture de mes livres, c’était les introductions, les débuts de chapitre, là où je me permettais une forme plus littéraire. Tu sais, un guide de jardinage, c’est très technique. Je me suis rendu compte que ce que j’aimais le plus dans mon travail d’écriture, c’était le côté littéraire grâce auquel je pouvais être philosophe et poète aussi, tout en présentant le plaisir que j’avais à jardiner. En 2004, je me suis dit : Vu que j’aime écrire, je vais écrire un récit. Donc, au lieu que ce soit un guide de jardinage, je vais raconter mon jardin. Alors, j’ai commencé en janvier 2004 et j’ai écrit pendant un an. Chaque chapitre de ce livre représente un mois de l’année. C’est comme ça que j’ai écrit Un seul jardin. ». Il y a aussi intégré quelques poèmes qui ont stimulé son intérêt pour la poésie.
« De la voûte céleste toute craquelée, s’échappe une fine poussière grisâtre qui s’accumule dans le désert, qu’un cowboy solitaire balaie avec une branche de conifère. Il cherche une goutte d’huile pour allumer un vieux cigare cubain sec et brisé comme lui. Un cowboy majoritaire sans ses amis du parti, qui ont tous péri dans le tsunami. »
Yves a alors publié son premier recueil de poésie, Terre-Cuite. Pour faire connaître ses oeuvres, il a monté un cabaret poétique avec des musiciens de jazz. Malgré leur succès artistique, les spectacles n’étaient pas financièrement viables. Il a ensuite collaboré avec le guitariste Marc-Antoine Sauvé pour créer des cabarets poétiques plus intimes et abordables.
Aujourd’hui, Yves continue de présenter ses spectacles de poésie, comme Vers de terre, tout en intégrant des thèmes variés tels l’agriculture, l’amour, la politique et l’environnement. Sa poésie est marquée par son amour de la nature et son sens de l’humour, offrant au public une expérience à la fois émotive et divertissante. Ces activités créatives lui permettent de continuer à s’exprimer artistiquement à 70 ans tout en stimulant ses facultés cognitives.
45 ans de bonheur
Avant de conclure mon entretien avec Yves, je lui ai posé une question ambitieuse : « Les Jardins du Grand-Portage et toute l’aventure qui les entoure, qu’est-ce que ça t’a apporté à toi ? » Sa réponse n’a pas tardé : « Je pourrais résumer ça facilement, en quelques mots : un sens à ma vie, définitivement. Et une façon de combattre l’éco-anxiété. (phrase enlevée ici pcq répétitive) Le jardin, tout comme l’écriture et les spectacles que je fais, est pour moi thérapeutique. Ça me permet de garder une certaine sérénité. Quand je me couche le soir, je suis en paix avec moi-même. Je considère que je n’ai pas contribué dans ma vie au désastre écologique que l’on connaît actuellement, que ce soit sur le plan climatique ou sur d’autres plans. J’ai essayé de ne pas y prendre part. »
À travers son écriture, ses conférences et ses spectacles, Yves essaie de sensibiliser les gens au calme, au rapprochement de la nature et à l’appréciation de ce qu’ils ont autour d’eux. Il les encourage à limiter le besoin constant d’excitation, d’accumulation de nouveaux biens et de voyages. « Je crois qu’on peut trouver dans un petit espace tout ce qui permet à un être humain de s’épanouir et de donner un sens à son existence. »
Nous avons aussi discuté du fleuve Saint-Laurent, qui est un point d’encrage pour lui comme pour moi.
«Quand j’ai besoin d’exotisme, je vais au fleuve Saint-Laurent. C’est une offre infinie de lumière et de paysages. Il y a tout le contact avec les marées, la puissance du fleuve et cette expérience de la vastitude. Pour moi, cela répond parfaitement à mon besoin d’intériorité. Dans ma vie, je n’ai pas besoin d’aller dans les Alpes. Je pense que le fleuve Saint-Laurent a un potentiel d’émerveillement sans fin. Pour moi, le contact avec le fleuve, c’est l’exotisme. Cela me permet de sortir un peu de mon jardin, parce qu’à un moment donné, il faut bien en sortir pour mieux y revenir. »
« Mais en somme, le jardin m’a apporté du bonheur. »
Lisez la première partie de l’entrevue avec Yves Gagnon: Le 45e anniversaire des Jardins du Grand-Portage.
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Bonjour, merci de mous faire découvrir M. Yves Gagnon, que de passions menées à terme chez cet homme, votre jardin semble être la pointe de l’iceberg de vod projets, vous êtes une fontaine de sagesse et d’inspiration. J’espère avoir le privilège de goûter votre table champêtre. Merci, je vous lirai sous peu.
J’ai grand plaisir à vous lire et à apprendre par vos écrits. Je crois qu’il y a qq chose de noble , dans le sens de grand et tendre à la fois que de perpétuer l’œuvre de votre père, et cela en gardant et amenant votre propre couleur. Merci !
Très bel article
J’aimerais savoir s’il faut couper les « petites tomates » tomates dans les rosiers après la floraison…