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Une Flore laurentienne dans toutes les maisons!

Par Julie Boudreau

On le remarque bien vite quand on navigue sur les médias sociaux. Les groupes qui s’intéressent aux plantes sauvages, aux plantes sauvages comestibles, à la cueillette sauvage, poussent aussi vite que des champignons au lendemain d’une belle pluie d’automne. La «nature naturelle» du Québec a la cote. Elle est à la mode. Faut-il s’en réjouir ou s’en inquiéter, cela est un autre débat. Mais j’ai remarqué, dans certains cas, à quel point ceux qui font la promotion de cette belle nature semblent si peu bien la connaître. C’est la principale raison qui m’a motivée à faire ce plaidoyer, ce «pitch de vente» en faveur de la Flore laurentienne. Avec cet engouement exponentiel pour les plantes indigènes, il est un bouquin qui mérite d’être fièrement exposé dans toutes les maisons de la province québécoise. Nous parlons ici de la Flore laurentienne du frère Marie-Victorin.

Image tirée de la Flore Laurentienne.

C’est quoi au juste, une Flore?

Une Flore, c’est un inventaire complet des plantes qui couvrent une région précise. Certains diront que c’est un genre de catalogue, où tout est classé selon des caractéristiques communes. Par exemple, il y a une flore d’Espagne, une flore du Nouveau-Brunswick, une flore des plantes alpines des Rocheuses américaines, etc. Et bien sûr, nous avons une flore du Québec, appelée la Flore laurentienne. C’est tout simplement un très gros livre (1093 pages pour la 3e édition de 1997) qui présente toutes les plantes que nous sommes susceptibles de croiser dans la nature au Québec. Les arbres des forêts, les plantes des champs, les mauvaises herbes, les plantes aquatiques, les fougères… tout y est! Ce grand œuvre est, ni plus ni moins, qu’un éloge à notre belle nature, qu’elle soit rurale ou urbaine.

Et pourquoi se doter d’une Flore?

D’abord et avant tout parce que le frère Marie-Victorin avait raison. Fervent nationaliste et, d’une certaine manière, précurseur de ce qui deviendra la Révolution tranquille, Marie-Victorin soulignait l’importance de la connaissance scientifique. Dans le journal Le Devoir, le 26 septembre 1925, il écrivait ceci:

«Nous ne serons une véritable nation que lorsque nous cesserons d’être à la merci des capitaux étrangers, des experts étrangers, des intellectuels étrangers. Qu’à l’heure où nous serons maîtres par la connaissance d’abord, par la possession physique ensuite, des ressources de notre sol, de sa faune et de sa flore.»

C’était un «maître chez-nous» bien senti. Mais qui subtilement soulignait l’importance de bien connaître notre territoire, ses animaux, et surtout, dans le cas qui nous intéresse, ses plantes.

C’est ainsi que 10 ans plus tard, Marie-Victorin solutionnait son propre problème en publiant la Flore laurentienne. Raison numéro un d’avoir la Flore à portée de main: connaître sa nature pour satisfaire un besoin identitaire. Rien de moins.

Raison numéro deux: satisfaire un engouement grandissant pour les plantes en général, qu’elles soient comestibles, médicinales ou juste là, devant soi. Il n’est pas déraisonnable d’affirmer que la Flore laurentienne est l’ouvrage le plus complet actuellement disponible pour identifier des milliers de plantes. Et pas seulement des plantes indigènes, c’est-à-dire celles qui poussent ici depuis la nuit des temps. La Flore aborde aussi ces grandes voyageuses, les plantes introduites, celles qui sont arrivées en même temps que les premiers Européens et les premiers moineaux domestiques. Citons notre glorieux pissenlit, notre belle marguerite des champs ensoleillés ou la molène vulgaire, affectueusement appelée le tabac du Diable. Toutes des introduites!

Tout le Québec dans un livre?

Pas exactement. Même si la Flore fait la recension de 88 espèces de fougères, prêles et lycopodes, de 15 conifères, et de 2440 plantes à fleurs (on s’entend ici que la définition d’une fleur est bien large), elle n’englobe pas toutes les plantes du Québec dans ses délimitations politiques actuelles. En effet, la flore nordique, qui pousse au-delà du 54e parallèle, en est quelque peu exclue. Pour cette partie, il faut se procurer les quatre immenses et majestueux tomes de Flore nordique du Québec et du Labrador. On ne fait que quelques mentions également de la flore époustouflante qui croît contre vents et marées, c’est le cas de le dire, sur les îles de Mingan. Malgré ces choix délibérés qui auraient certainement augmenté l’épaisseur déjà considérable de l’ouvrage, on peut tout de même apprécier plus de 2500 espèces qui poussent dans une proximité relative des lieux habités.

Publiée pour la première fois en 1935 (quatre ans avant l’ouverture officielle du Jardin botanique de Montréal, une institution aussi initiée par Marie-Victorin), la Flore laurentienne a été mise à jour et rééditée de nombreuses fois depuis.

Beaucoup de livres, dont les magnifiques guides de la collection Fleurbec, font état d’une partie de la flore. On y parle de fougères, de plantes des villes et des champs, de plantes des sous-bois printaniers ou de plantes aquatiques. La petite flore forestière, quand on réussit à la dénicher, est aussi un valeureux «guide terrain». Mais il n’en est aucun qui affiche une recension aussi exhaustive que la Flore laurentienne.

Parlez-vous scientifique?

En contrepartie, le vilain défaut d’une flore est qu’elle utilise le langage scientifique, ce qui peut devenir aussi ardu que d’apprendre le Klingon ou le langage elfique. Vrai que lorsqu’on n’a pas la moindre idée de ce qu’est une plante acaule dotée d’un capitule solitaire au bout d’un scape fistuleux, la lecture et la compréhension et même l’appréciation de la Flore laurentienne peut être remise en question. Par chance, notre flore québécoise dispose d’une partie (en petits caractères) qui est un fait rare dans une flore dite scientifique: c’est la partie «saviez-vous que…». Eh oui, juste sous la description sérieuse, le Frère Marie-Victorin s’est permis d’ajouter des notes plus personnelles, sur l’utilisation qu’on faisait historiquement de cette plante.

C’est ainsi que l’on apprend que l’on utilisait le Dirca palustris pour décourager les coquins voleurs d’eau d’érable, car cette plante donne le flu! C’est aussi dans cette section que Marie-Victorin fait la plus belle des apologies, un hommage à notre bel aster de Nouvelle-Angleterre.

Une image vaut mille mots

L’autre net avantage de la Flore laurentienne est qu’elle est abondamment illustrée. C’est le frère Alexandre qui a réalisé manuellement chaque planche, avec une précision qui dépasse l’entendement. C’est d’abord par ces illustrations que le non-initié au langage scientifique fera la connaissance avec les belles plantes qui l’entoure. Aussi, les plus récentes éditions contiennent, à la fin de l’ouvrage, de nombreuses photographies des plantes.

Malgré les mises à jour qui se trouvent dans les marges, certains grands experts diront que la Flore laurentienne est un livre un peu dépassé. Certains noms de famille botanique ont changé depuis. Les Composées sont devenues les Astéracées. Les Légumineuses sont devenues les Fabacées. Et même nos chers érables, qui avaient une belle famille à eux tout seuls (les Acéracées) ont été remisés dans la famille «fourre-tout» que sont les Sapindacées. Certaines plantes aussi ont changé de nom (certaines plusieurs fois dans les 80 dernières années). On n’a qu’à penser à certains pauvres asters, qui sont devenus des Symphyotrichon, des Ochlemena, des Eurybia ou des Doellingeria. Pour toutes ses fluctuations, blâmons ou félicitons les botanistes et spécialistes des plantes, qui ont certes fait de grandes avancées dans la modernisation de la classification des plantes (et des organismes vivants dans leur ensemble), notamment grâce à la phylogénétique.

Cela dit, elles sont loin d’être terminées, ces parties de tir au poignet de l’élite scientifique pour déterminer une fois pour toutes si telle plante portera le nom A ou le nom B. Qu’à cela ne tienne, la Flore laurentienne demeure une excellente ressource. Et pour les plus rigoureux et aussi les plus curieux, il y a toujours le merveilleux site Canadensys. C’est une véritable pépinière bouillonnante de données actuelles et scientifiquement validées. (Chapeau bas à l’équipe qui maintient ce site à jour).

Pour se procurer le livre, cliquer ici.

Consulter la Flore en version numérique.

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