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La tonte différenciée: joindre l’esthétique au paresseux

En revenant de chez un ami il y a quelques semaines, je suis passé par le parc du Pélican, dans le quartier Rosemont–La Petite-Patrie de Montréal. Quel spectacle! Une des graminées dans le gazon était en fleur (qu’on appelle épillets, dans la famille des Poaceae) procurant à ces étendues une teinte dorée. J’étais ébahi de la beauté et de la simplicité de cette pelouse.

Il était apparent, cependant, qu’elle n’était pas abandonnée. Les pourtours des sentiers et des tables de pique-niques avaient été tondus récemment, procurant au parc une allure bien rangée bien qu’on en ait laissé pousser d’autres portions encore plus haut. Je me suis mis à me demander quelle était l’intention de la Ville de Montréal, leur stratégie?

Parc Félix-Leclerc. Source: Ville de Montréal. Crédit photo: Louis-Étienne Doré.

La tonte différenciée

La tonte différenciée consiste à appliquer différentes pratiques d’entretien selon l’usage qui est fait d’une pelouse. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, il ne s’agit pas seulement de cesser de tondre une pelouse ou de le faire moins régulièrement. On doit commencer par réfléchir à la façon dont est utilisé un espace gazonné avant d’intervenir.

Imaginez un terrain de golf: il y a le vert qui est tondu à ras, l’allée qui est tondue plus haut et l’herbe haute qui est… haute! La hauteur et l’emplacement dépendent de l’usage qui en est fait. Le vert se doit d’être coupé à ras pour permettre de «putter» avec précision, l’allée peut se permettre d’avoir une pelouse plus en hauteur puisqu’on y frappe plus fort et loin. Mais il vaut mieux se tenir loin de l’herbe haute!

J’ai contacté la Ville de Montréal pour en savoir plus sur leur stratégie de coupe. Hugo Bourgoin m’a répondu ceci: «les zones à forte circulation (ex. aires de pique-nique, zones de rassemblement, aires de jeu, abords des plateaux sportifs) nécessitent un entretien intensif impliquant des tontes régulières et une faible hauteur de coupe. Par contre, dans les espaces moins fréquentés (ex. grands espaces verts, parterres, terre-pleins, talus), certaines zones peuvent être entretenues selon des cycles de tonte plus longs pouvant aller d’une coupe bimensuelle à annuelle, voire d’un blocage successionnel réalisé tous les deux ou trois ans.» À certains endroits, une tonte plus régulière est faite de chaque côté des sentiers piétons pour éviter que les herbes hautes retombent sur les aires de circulation.

Avantages

Bien évidemment, la tonte différenciée réduit la quantité de travail requis pour entretenir la pelouse, de quoi faire plaisir aux jardiniers paresseux. Pour nos municipalités, ceci se traduit en une réduction des coûts de main-d’œuvre, d’entretien de machinerie et d’essence, mais aboutit aussi à une diminution des gaz à effet de serre ainsi que du bruit causé par ces travaux.

Ces espaces moins entretenus peuvent abriter une flore plus diverse et aussi créer des habitats pour la faune, commençant par le microscopique et allant jusqu’aux mammifères, oiseaux, reptiles et amphibiens. Bien sûr les insectes, en particulier les pollinisateurs, se régaleront de ces espaces plus fleuris.

Parc de la Promenade-Bellerive. Source: Ville de Montréal. Crédit photo: Louis-Étienne Doré.

«Les herbes hautes stockent le CO2 et préservent un certain niveau d’humidité dans le sol, par captation de l’humidité de l’air via les parties aériennes, puis redescente jusqu’aux racines; en outre, elles empêchent un assèchement intense du sol puisque les rayons du soleil ne l’atteignent plus directement.», fait valoir Hugo Bourgoin. Dans certains cas, une végétation plus élevée permet d’affaiblir des plantes nuisibles (l’herbe à poux, par exemple).

Sur une note personnelle, je trouve que la variété d’espèces que je découvre dans ces espaces diversifiés et pleins de fleurs plus jolies qu’une pelouse traditionnelle les rend vraiment plus intéressants.

Préparation et suivi

Bien qu’on puisse penser que ces endroits aient simplement été abandonnés, c’est loin d’être le cas. On doit parfois préparer le terrain avant d’implanter la tonte différenciée, et plusieurs sites bénéficient même d’un plan d’aménagement. Le plus simple est probablement de laisser pousser les végétaux et les semences présentes sur le site, mais on peut aussi ensemencer avec un mélange de semences. Celles-ci varieront selon l’effet escompté: protection des monarques ou des pollinisateurs, effet esthétique, réduction de l’érosion sur les pentes, etc. L’efficacité de ces mélanges est préalablement testée avant leur utilisation et peuvent contenir des annuelles et des vivaces, dont plusieurs espèces indigènes. On est loin de la pelouse abandonnée de notre voisin!

Photo: Magic K

Par la suite, ces espaces sont observés pour vérifier la germination et un entretien est fait dans les premières années, entre autres pour vérifier la présence de végétaux indésirables. Il est possible d’utiliser des «plantes abris» pour empêcher l’implantation de «mauvaises herbes» ou plantes envahissantes nuisibles. Ce sont des graminées annuelles (l’ivraie ou l’avoine, par exemple) à croissance rapide qui couvriront l’espace en attendant que les autres espèces ensemencées puissent s’installer.

Le calendrier de tonte ou de fauche prend aussi en considération la présence de la faune qui s’y installe. «En effet, il faut faire attention à certains oiseaux qui peuvent établir leur nid au sol, si on laisse pousser les herbes assez hautes. Il faut alors faucher au bon moment pour assurer la protection des oiseaux durant la période de nidification.» On attend donc que les oiseaux aient quitté les lieux et que les couleuvres soient entrées dans leurs lieux d’hivernation avant le faucher, ce qui est fait à partir de la mi-octobre à Montréal.

La tonte raisonnée chez soi

Tous ces concepts peuvent se transposer sur un terrain résidentiel. Selon M. Bourgoin, «Les citoyens et citoyennes peuvent certainement adopter certaines pratiques reliées à la gestion différenciée en réduisant, par exemple, la fréquence de la tonte de leur pelouse. Cela peut notamment permettre à plus d’espèces végétales communes dans les pelouses d’entrer en floraison (par exemple: trèfles, violettes, potentilles, érigérons, pissenlits, lotiers, etc.) et d’ainsi offrir des ressources pour les pollinisateurs. Afin de diversifier les espèces dans sa pelouse, il est possible d’utiliser divers mélanges de semences de couvre-sol. Si on souhaite aller plus loin, il est possible de convertir des portions de pelouse en aménagements favorables à la biodiversité.» On peut d’ailleurs visiter le site d’Espace pour la vie pour en savoir plus.

tonte du gazon

Vous pourriez, par exemple, tondre régulièrement un sentier pour accéder à votre cabanon ou votre bac de compost et laisser le reste pousser plus haut, ou couper votre gazon plus court près de votre entrée d’auto et de la rue, mais laisser le talus impossible à entretenir en friche, mais en vous assurant de le faucher à l’automne, bien sûr, pour empêcher que des arbres ou arbustes y poussent. Faites attention aussi que des plantes nuisibles n’envahissent pas votre pré et se répandent ainsi chez vos voisins.

D’ailleurs, ma belle-mère, à force de lire le blogue du Jardinier paresseux, s’est mise instinctivement à la tonte différenciée. Elle évite de tondre les fleurs qui s’épanouissent spontanément ou les endroits avec du trèfle. En résulte une pelouse avec une variété de hauteurs, de textures et de couleurs et plus de temps pour se mettre le nez dans un bouquin.


  1. Bon choix de sujet !!! Particulièrement pour les terre-pleins et bien sûr autres surfaces gazonnées Bravo vos sujets d’articles s’intègrent bien dans les courants tendances actuelles

  2. Effectivement c est la voie que je privilégie, je fais la tonte de gazon, commercial et privé, j ai remarqué qu’il y a de plus en plus de gens qui adoptent cette façon de faire, contrairement au gazon, il faut un terrain pauvre en nutriment pour que la pousse se fasse lentement, au début ça a plus l air d un méli mélo, au fur et à mesure que le temps passe, un équilibre d espace et visuel se fait tout seul avec un minimum d entretien, ce sont les plantes qui choisissent leur emplacement et non l humain

  3. Très intéressant votre sujet de la tonte ce matin. Qu’en est-il de l’herbe à poux et de l’herbe à puce? J’ai vraiment hâte que vous parliez des avantages d’avoir un toit vert et de son entretien minimum…. Merci et bonne journée à tous les jardiniers !

    • Comme tout espace cultivé, on doit surveiller les plantes nuisibles (tel que l’herbe à poux et l’herbe à puce) et les éliminer. On peut le faire manuellement ou en faisant une tonte plus courte pendant un certain temps.

  4. Merci Mathieu pour ces informations éducatives. Nous pratiquons déjà une forme de tonte déferenciée mais elle peut facilement être améliorée.

  5. Je trouve ça hyper intéressant et j’y pense pour mon petit terrain de 30 000 pied carré dans le Bas-St-Laurent, mais comment faire pour faucher à l’automne ? Je n’ai qu’une simple tondeuse. Quand c’est rendu très haut, même un tracteur à gazon n’y arrive pas. Merci à vous!

    • Cela dépend de la surface et de votre budget! Un simple coupe-herbe (“weed wacker”) peut suffire. Il y a aussi plusieurs types de moto-faucheuses, ou faucheuse-débrousailleuse, debout ou assis, qui peuvent être utilisées. Si vous avez déjà un tracteur ou mini-tracteur il y a des attachements pour ce type de travail. Il y a même des personnes qui utilisent une faux traditionelle!

    • pour un terrain de cette taille, la faux traditionnelle (bien aiguisée!) fait très bien le travail… Ici c’est ce qu’on utilise la plupart du temps

  6. Mais comment faire pour faucher à l’automne quand nous possédons une simple petite tondeuse ? Même un tracteur à gazon ne peut y arriver quand les herbes sont super hautes. Cela m’intéresse, mais je ne sais pas comment faire. Merci!

  7. Nous appliquons cette technique . Les talus difficiles à tondre poussent maintenant différentes plantes. Tellement plus beau qu’une pelouse tondue . J’ai planté quelques vivaces ici et là et ça se multiplie par elles même , et les oiseaux et abeilles et papillons sont contents .

  8. Quelle bonne idée! Je vais tenter l’expérience sur mon terrain l’été prochain

  9. Moi, qui dépasse maintenant l’octantaine et qui ai cultivé jardins et serres, j’apprécie tes commentaires, cher Jardinier paresseux. J’ai toujours été surpris par l’hyperactivité de certains jardiniers qui, selon moi, passent à côté de l’aspect contemplatif qu’offre la Nature, qu’on le veuille ou non… c’est disponible et abondant ! Merci, je guette ton prochain…

    • Cher monsieur, je partage votre avis à propos de la contemplation… Quel bien-être je ressens à l’observation de toute la vie qui foisonne dans mon jardin… À chaque fois que je m’y assois, comme en ce moment, ma respiration ralentit et devient plus profonde…

  10. Très contente de savoir que cette pratique est adoptée à Montréal. Je vais m’informer dans ma ville, Laval. Chez moi on naturalise le plus possible et je ne cesse de faire des découvertes de nouvelles plantes, souvent comestibles ou considérées médicinales… Sans parler des bienfaits pour les monarques (asclépiades) et les pollinisateurs qui sont très nombreux. Nous avons toutefois un problème avec le nerprun qui a envahi notre boisé…

  11. C’est très intéressant et même en région tout ça est possible, merci pour ces belles informations sur mon ancienne municipalité!

  12. Cela fait 3 ans que nous pratiquons cette technique et la biodiversité est plus abondante que jamais. Nous ne tondons pas à l’automne car nous n’en voyons pas l’utilité. Si un arbre ou arbuste venait qu’à pousser, nous pourrions choisir de le couper ou non. Merci de parler de cette pratique d’entretien qui gagne à être connue!

  13. Je viens sonner un gros bourdon. Voici une réalité que peut-être vous ignorer.
    De mon expérience de cinq ans à arracher l’herbe à poux dans l’arrondissement Villeray-Saint-Michel-Parc-Extension dans les carrés d’arbre, les parcs, etc. , donc pour ainsi dire partout, l’herbe à poux prend sa place allègrement même en présence d’autres plantes tel que le trèfle rouge et autres. Dans les espaces nouvellement aménagés tel que vous le décrivez : le parc Jarry est un exemple parfait car depuis 2022 dans ces espaces privilégiés, l’herbe à poux se retrouve par centaines voire milliers de plants. Pour assurer son contrôle il faut l’arracher avant même le 15 juillet (floraison exige) pour éviter la dispersion de son pollen dans l’air. On doit répéter cette opération tant qu’on en observe l’apparition de plants en faisant un arrachage sélectif pour permettre aux autres plantes d’occuper l’espace. Et c’est ce qui ce produit : on peut aider en plantant d’autres espèces mais en ayant l’œil sur l’herbe à poux. Imaginez la propagation de ses graines à l’automne c’est carrément impensable de lui laisser sa place. Elle est gourmande et envahissante croyez-moi.

  14. Je viens sonner un gros bourdon. Voici une réalité que peut-être vous ignorer.
    De mon expérience de cinq ans à arracher l’herbe à poux dans l’arrondissement Villeray-Saint-Michel-Parc-Extension dans les carrés d’arbre, les parcs, etc. , donc pour ainsi dire partout, l’herbe à poux prend sa place allègrement même en présence d’autres plantes tel que le trèfle rouge. Dans les espaces nouvellement aménagés tel que vous le décrivez : le parc Jarry est un exemple parfait car depuis 2022 dans ces espaces privilégiés, l’herbe à poux se retrouve par centaines voire milliers de plants. Pour assurer son contrôle il faut l’arracher avant même le 15 juillet (floraison exige) pour éviter la dispersion de son pollen dans l’air. On doit répéter cette opération tant qu’on en observe l’apparition en faisant un arrachage sélectif pour permettre aux autres plantes d’occuper l’espace. Et c’est ce qui se produit : on peut aider en plantant d’autres espèces mais en ayant l’œil sur l’herbe à poux. Imaginez la propagation de ses graines à l’automne c’est carrément impensable de lui laisser sa place. Elle est gourmande et envahissante, croyez-moi.

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