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L’arisème petit-prêcheur: drag-queen à ses heures

Photo: pipsissewa4

Il m’arrive parfois de recevoir des courriels de lecteurs intrigués par les étrangetés du monde végétal. Puisque j’adore vous parler des merveilles de la nature, et même si ce n’est pas directement relié au jardinage, j’avais envie de vous partager une découverte faite par une lectrice…

Une découverte qui m’a poussée à faire des recherches et dont les informations trouvées m’ont littéralement fascinée!

Une plante curieuse

La lectrice en question m’a fait parvenir ces photos d’un spécimen d’arisème petit-prêcheur si colossal qu’il pourrait servir de parapluie à un troll…

Cela a immédiatement piqué ma curiosité et m’a poussée à me lancer dans des recherches plus approfondies. J’ai beau être biologiste, je ne sais pas tout, et je ne suis certainement pas experte en parapluies pour trolls. L’arisème petit-prêcheur, petite plante de sous-bois, est une aracée. Vous connaissez le lys de paix? Eh bien, c’est la même famille. Voyez-vous la ressemblance?

lys de la paix
Source: www.chhajedgarden.com

En fait, quand on a la chance de voir un arisème petit-prêcheur (je dis la chance, car c’est une espèce assez discrète et il est très facile de passer à côté sans la repérer), on a de quoi rester perplexes. Est-ce que c’est une fleur? Une plante carnivore?

En fait, l’étrange organe qui forme l’espèce de calice est la spathe. C’est une feuille transformée, tout comme chez le lys de paix. Les fleurs de l’arisème sont minuscules et sont toutes sur le petit épi au centre (le spadice), qui est protégé par la spathe.

Maintenant que cette plante énigmatique nous est (un peu) moins étrange avec ses feuilles à trois lobes et sa spathe striée de rouge foncé et de blanc, passons à ce qui la rend vraiment intrigante: son mode de reproduction.

«OK, mais il est où le parapluie géant?»

Patience!

L’arisème et sa vie sexuelle hors normes

Je ne vous apprends rien si je vous dis que les fleurs sont souvent visitées par les pollinisateurs pour répandre la semence partout dans les autres fleurs. Mais, contrairement aux fleurs classiques qui attirent les abeilles et les papillons, l’arisème petit-prêcheur a développé une relation étonnante avec les brûlots, de minuscules insectes piqueurs.

Culicoides sp. Photo: sbushes

Aussi appelées les «$?&*? de mouches nouéres» (je salue les gens vivant dans la forêt boréale!), ces insectes se nourrissent de sang en piquant. Puisqu’elles causent au passage une brûlure immédiate, on les appelle aussi «brûlots». Pour avoir fait deux semaines de travail sur le terrain dans les Laurentides au mois de juin durant mes études, j’ai personnellement une haine profonde pour cette fichue mouche, mais bon ce n’est pas le sujet du jour…

Bref, ces brûlots visitent les fleurs de l’arisème petit-prêcheur, distribuant ainsi leur pollen. Ce qui est étrange, c’est que les brûlots, on se souvient, se nourrissent du sang des étudiants en biologie… Ce ne sont pas à proprement parler des «pollinisateurs». Alors pourquoi cette fleur les attire et qu’y trouvent-ils d’intéressant?

Mystère! Même les scientifiques n’ont pas trouvé la réponse.

Mâle, femelle, les deux, aucun? Allez savoir!

L’arisème petit-prêcheur, avec ses rhizomes souterrains, a la capacité de repousser chaque année. Certaines hypothèses laissent même penser que cette plante peut vivre pendant des centaines d’années, en se régénérant à partir du même rhizome. C’est une plante facile, qui ne demande aucun entretien particulier, ce qui en fait une belle curiosité à avoir dans vos plates-bandes.

Surtout si elle a la grosseur d’un parapluie… une seule année! (Ça s’en vient, on se rapproche de l’explication.)

Cette plante est dioïque, ce qui signifie qu’un individu a des fleurs soit mâles, soit femelles, mais pas les deux. Ce n’est pas si étrange; plusieurs plantes ont un sexe bien affirmé ainsi. Mais, pour ce qui est de cet arisème, les choses ne sont pas si simples…

Chaque individu a le loisir de «décider» chaque année s’il veut faire des organes reproducteurs mâles ou femelles. C’est ce qu’on appelle un hermaphrodite séquentiel. Vous vous demandiez où était mon lien avec les drag queens, hein?

Comment est-ce possible?

Le rhizome a le bagage génétique nécessaire pour produire soit un mâle, soit une femelle. Si les réserves qu’il a faites l’année précédente sont assez importantes pour permettre la fabrication de fruits, le rhizome donnera des fleurs femelles. Si, en revanche, il a moins d’énergie, il se contentera de fleurs mâles et pourra ainsi continuer d’accumuler des réserves dans ses racines pour, une année prochaine, donner des fleurs femelles.

Fruits de l'arisème petit-prêcheur
Fruits de l’arisème petit-prêcheur. Photo: izzy_plnthuggr

Non, mais n’est-ce pas absolument FASCINANT, la nature? Des plantes qui peuvent changer de sexe à volonté, en plus de se faire des petits vampires!

«OK, mais il est où le fichu parapluie de troll?»

Bon, bon, OK, voilà: plus l’individu est vieux, plus il produira un grand spécimen les années où il fera des fleurs femelles. C’est pourquoi un même arisème petit-prêcheur peut faire 20 centimètres année après année, puis soudainement faire plus d’un mètre de haut un été… avant de revenir à 20 centimètres l’année d’après.

Ce n’est ni l’engrais ni la météo ou une formule magique qui a créé une plante digne des forêts enchantées, c’est bel et bien elle, toute seule, qui a atteint un âge vénérable et une quantité d’énergie considérable dans son rhizome.

Étiquettes + arisème petit-prêcheur, Arisaema triphyllum


commentaire sur "L’arisème petit-prêcheur: drag-queen à ses heures"

  1. Renée-Johanne Campeau dit :

    Effectivement, très fascinant la nature ! Belle découverte ce matin.

  2. Vicky Brisebois dit :

    Vous venez de répondre à un mystère qui me trotte dans la tête depuis quelques semaines! Je passais la débroussailleuse en bordure de mon boisé et j’ai soudain aperçu ces grandes feuilles et une fleurs en forme de calice. Je n’ai pas pu me résoudre à la couper, j’ai donc fait le tour! ? Hier, j’ai remarqué les mêmes feuilles mais BEAUCOUP plus haute (environ 1,20m! ) mais pas de fleur….. voilà, j’ai au moins 2 drags queen dans mon boisé! ?

  3. Caroline Jarry dit :

    Oui, vraiment fascinante cette plante! Votre enthousiasme est contagieux! Et en plus, elle est belle et curieuse. En anglais, on l’appelle Jack in the pulpit, Jacques dans sa chaire (d’où il prêche)! Fascinant aussi le nom de cette fleur!
    Mais j’aimerais bien savoir si elle se cultive en pot, et si oui, où on peut la trouver?

  4. Maria Nieuwenhof dit :

    Nous en avons une panoplie dans notre petit boisé a côté de la maison mais je ne savais pas toute cette intrigante histoire…je vais être plus à l’écoute et observer de plus prêt au printemps prochain! Merci pour cette belle information.

  5. Hélène Bédard dit :

    Merci beaucoup pour cette explication de la fameuse plante.

  6. Julie dit :

    Étant moi même biologiste, j’ADORE apprendre qqc de nouveau et c’est le cas aujourd’hui!!! La nature est tellement merveilleuse ??. Merci pour les infos!

  7. Denise Trudel dit :

    J’ai également fait mes études en biologie à l’UdeM et c’est lors d’une sortie au parc d’Oka que j’ai rencontré cette plante pour la première fois! J’en parle encore avec passion 45 ans plus tard. J’ignorais son caractère Drag Queen! La nature est tellement fascinante! Cela nous fait même apprécier les mouches noires?
    Merci pour cette belle information.

    • LOUISE BOISVERT dit :

      Merci !
      Vous m’avez fait rire avec votre description des mouches noires !
      Belle rédaction facile à lire et comprendre.
      A bientot,
      Louise B.

  8. Nathalie dit :

    Excellente capsule!
    J’ai toujours beaucoup de plaisir à vous lire. Vous avez un style rafraîchissant teinté d’humour. J’apprends plein de choses. Merci!!!

  9. Sylvie dit :

    Merci!!! Super intéressant avec la touche d’humour habituelle! J’adore te lire

  10. Chantal dit :

    Je m’ennuie de Larry et de son style unique, mais merci d’avoir pris la relève, votre style est unique aussi, j’adore vous lire !

  11. Oh merci pour cet article sympa sur l’ami Arisème ! J’étais tellement excitée lorque j’en ai vu plusieurs , une fameuse journée de marche ! C’était accéder à un trésor dont je rêvais depuis toute petite un Fleurbec à la main dans les bois de mon chez-moi à l’île !
    Magie !
    J’adore vous lire!

  12. Danielle Charette dit :

    Toutes ces informations intéresseront particulièrement les membres de la Société d’Horticulture et d’Ecologie de Sherbrooke (SHES). En effet, cette plante intrigante est l’emblème de notre SHES et apparait en logo/photo dans nos communications. Merci!

  13. Pierre Morrissette dit :

    Merci pour les explications et votre belle touche d’humour !
    Je viens de comprendre pourquoi il est si grand certaines années…

  14. Nicole dit :

    Merci pour cette curiosité.
    A l’ãge de 7ans ( j’en ai 73 aujourd’hui) j’ai réussi à transplanter un prêcheur dans le jardin de maman.
    Il est revenu pour le moins 50ans…..résilience ou très adapté

  15. Monic Dubé dit :

    Moi ça fait très longtemps que j’ai observé cette merveilleuse plante dans les sous-bois chez moi. C’est une plante exceptionnelle, mais surtout superbe!

  16. Lise Gravel dit :

    Je vous trouve épatante!

    Je crois que le brûlot et la mouche noire sont deux insectes différents

    • Denise Marcotte dit :

      En Abitibi, quand j’étais jeune, les mouches noires arrivaient en juin. Elles me piquaient surtout dans le cou et la racine des cheveux et les chevilles. Ensuite les maringouins femelles nous piquaient en abondance mais on les voyait et les entendait venir. Quand ça se calmait un peu en août arrivaient les brûlots, plus petits et capables de passer à travers les moustiquaires. On devait garder les fenêtres fermées le soir. Les brûlots ne piquent pas, ils mordent et partent avec le morceau. Ça enfle et ça saigne. À travers tout ça, nous nourrissions aussi les tabanidae, mouches à chevreuil, mouche à cheval. À là mi-août arrivaient les bleuets, pour nous réconforter.

  17. Audrey Martel dit :

    En fait, j’ai l’impression que le surnom donné a cette mouche varie beaucoup d’une région à l’autre… mouche noire, brûlots, mouche à chevreuil… tant que c’est une mouche et que ça pique ou mord, tous les noms se mélangent même si on parle de différentes espèces !

  18. Line dit :

    On devrait la reproduire et la vendre en pépinière.

    • Nathalie dit :

      Ça se vend en pépinière! Il faut en trouver une spécialisée dans les plantes indigènes. J’en ai acheté quelques plants à la pépinière rustique il y a quelques années. Ils se portent très bien et fleurissent à chaque année.

  19. Juliette au balcon dit :

    Audrey,
    Vous mériteriez un prix de vulgarisation pour cet article informateur, inspiré et drôle ! On aime vous lire.
    Dans la même famille des aracées, le “chou puant” (Symplocarpus foetidus), quoique moins séduisant que l’arisème petit-prêcheur, est une fleur à sang chaud tout à fait singulière. Ce serait amusant de vous lire sur ce sujet. Merci.

    • Bernard dit :

      Je vs lit souvent et je vs trouve très humoriste !! ce matin cependant je dois dire que vs vs êtes surpassée et avez attiré mon attention sur cette magnifique plante. Comme une autre lectrice j’ aimerais bien savoir si cette plante est disponible sur le marché. Continuez a ns émerveiller
      Bernard

  20. Anonyme dit :

    1

  21. Louise dit :

    yahou, super intéressant. j’ai des petits prêcheurs dans mon jardin. je vais aller les inspecter très attentivement pour voir… la différence!

  22. Yves Gagnon dit :

    Super intéressant, je me souviens d’avoir déjà vue cette plante lorsque j’allais à la pêche à la truite avec mon père à la p’tit Fiedmont en abitibi où je demeure. Je vais être plus attentif lorsque je vais faire des randonnées en forêt.

  23. Anonyme dit :

    Super intéressant comme toujours mais, aujourd’hui, vous vous êtes surpassé! Merci ?

  24. Lyne dit :

    Vraiment très fascinante cette plante!
    Tellement intéressant de vous lire, j’aime bien votre style d’écriture

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