Vivre dans l’ombre des autres
En me promenant dans le jardin de mon père récemment, j’ai fait quelques découvertes. Maintenant que la plupart des feuilles des arbres et arbustes sont tombées et qu’une bonne partie des vivaces ont séché, on voit bien ce qui se cache dessous. À peine perceptibles le restant de l’année, des plantes couvre-sols vivent sous les autres végétaux.
J’ai trouvé du gaillet odorant (Galium odoratum), de la petite pervenche (Vinca minor), du lamier (Lamium maculatum) et ce que je crois être de la lierre terrestre (Glechoma hederacea), il s’est échappé de la culture et est devenu une mauvaise herbe dans plusieurs régions (merci aux lecteurs qui m’ont aidé à l’identifier). Ces couvre-sols de petite taille poussent à l’ombre, leur permettant de se répandre et d’occuper les espaces vides laissés par les autres vivaces, arbustes et arbres. Je ne peux plus demander à mon père s’il l’a fait intentionnellement, mais le fait est que ces plantes agissent comme un paillis vivant.
Le paillis, qu’ossa donne?
Avant de nous lancer dans le sujet des paillis vivants, regardons à quoi sert un paillis de jardinage organique, tel qu’un bois raméal fragmenté ou des feuilles déchiquetées. Je ne parle pas ici de paillis décoratifs, comme la pierre décorative ou le paillis de cèdre, qui sont plutôt des éléments d’aménagement paysager puisqu’ils ne se décomposent pas et ne nourrissent pas le sol.
Avantages des paillis:
- Ils empêchent la germination des mauvaises herbes.
- Ils réduisent l’évaporation et, de ce fait, gardent le sol plus également humide et préviennent la sécheresse.
- Ils modèrent la température du sol et évitent les chocs thermiques.
- Ils préviennent l’érosion.
- Ils maintiennent le sol plus meuble.
- Ils enrichissent le sol en se décomposant.
- Ils éliminent le besoin de sarcler et de biner, diminuant donc la charge de travail du jardinier.
- Ils augmentent la présence dans le sol de microorganismes bénéfiques et aussi d’autres animaux utiles comme les lombrics et les carabes.
Un paillis vivant
Un couvre-sol agit de plusieurs façons, exactement comme un paillis régulier. Puisqu’il occupe de l’espace dans le jardin, il empêche les mauvaises herbes de pousser. Celles-ci auront plus de difficulté à germer, mais aussi à se répandre par d’autres moyens à cause de la compétition racinaire et de la lumière.
Un couvre-sol garde aussi le sol plus humide en empêchant le soleil de l’atteindre, ce qui modère aussi la température en été. De plus, l’hiver, les feuilles mortes des couvre-sols agissent comme isolant contre le froid. La pluie non plus ne peut atteindre directement le sol à cause du feuillage, ce qui réduit l’érosion. De surcroît, en se décomposant, ces vivaces de petite taille enrichissent le sol, ce qui nourrit la faune du jardin telle que les bactéries et les champignons, les insectes et les vers. Mais l’avantage principal d’un paillis vivant par rapport au paillis régulier, c’est qu’une fois implanté, on n’a plus à le remplacer après sa décomposition. Je ne peux pas penser à un paillis mieux adapté au jardinier paresseux!
Compétition
Je ne peux cependant pas vous garantir que ces paillis vivants n’entreront pas en compétition avec d’autres vivaces ou arbustes. Ils iront puiser leurs nutriments au même endroit. Les études sur le sujet ont été menées dans un contexte agricole sur les cultures légumières. Elles démontrent que le rendement de ces cultures est affecté négativement par un paillis vivant. Il y a des variations selon le type de culture et le type de couvre-sol. D’autres études doivent être faites sur le sujet. Peut-être découvrirons-nous un jour que certains couvre-sols s’associent mieux avec certaines cultures?
Cela étant dit, on parle d’un milieu agricole où l’on calcule la productivité des champs en kilogramme par hectare. On est loin des plates-bandes de notre jardin. Toutefois, pour l’instant, faute de renseignements suffisants pour le recommander, je ne suggère pas de mettre des couvre-sols vivaces dans votre potager. Ce qui ne m’empêche pas d’encourager fortement l’expérimentation!
Dans un jardin ornemental, mon expérience me dit qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter de la compétition entre les couvre-sols et les autres végétaux. Est-ce optimal, peut-être pas, mais l’ajout d’un paillis végétal viendra contrebalancer les inconvénients de la compétition entre les végétaux. C’est un peu comme une forêt avec ses différents étages de végétation.
Stratification verticale
Dans le domaine de l’écologie, la stratification verticale fait référence à l’arrangement de la végétation en couches. On parle ici d’arbres émergents, les plus grands qui dépassent la canopée. En dessous, on trouve le sous-étage composé majoritairement d’arbustes et de plantes herbacées. Le tapis forestier se trouve au niveau du sol avec ses mousses, lichens et autres. Patrick Ryan en discute dans son article l’automne est là où vous le trouvez.
Réaménagement
L’été dernier, j’ai coupé quelques arbustes dans le jardin de mon père. Sous les branches d’une énorme épinette poussaient un arbre à perruque (Cotinus coggygria) et un saule arbustif. Ces deux arbres étaient collés l’un sur l’autre, les branches entremêlées, dans un espace beaucoup trop petit pour leur taille. Ils cachaient les autres plantes des alentours et produisaient, dans cette partie du jardin, un effet de claustrophobie. De plus, l’arbre à perruque n’étant pas tout à fait rustique à Québec, les branches supérieures peuvent geler lors d’hivers particulièrement rudes, ce qui laisse des branches mortes dénudées de feuilles. Je travaille depuis quelques années comme concepteur de jardin, et ce fouillis choquait gravement mon sens de l’esthétique!
Mais comment osai-je critiquer le jardin du jardinier paresseux? Eh bien, mon père m’a avoué qu’au fil des années, il avait fait de nombreuses erreurs au nom de l’expérimentation. Alors, quand une expérience échouait, il arrachait la plante en question et essayait autre chose. Et c’est ce qu’on a fait ensemble!
J’ai décidé de réaménager ce coin du jardin, en commençant par abattre ces arbustes. J’avais prévu acheter de nouvelles plantes pour mettre à cet endroit mais, à ma surprise, sous ce désordre se trouvaient plusieurs couvre-sols dont du gaillet odorant et du lamier. Il y avait même de l’herbe aux écus (Lysimachia nummularia), qui normalement préfère le soleil, mais avait réussi à y survivre. Plutôt que refaire cette section du jardin, j’ai décidé d’ajouter quelques pas japonais et de transplanter certains couvre-sols pour mieux équilibrer le tout. N’est-ce pas un bel exemple de stratification verticale?
Choix de couvre-sol
Ça vous dirait d’implanter un paillis vivant dans votre jardin existant ou dans de nouvelles plates-bandes? Les deux facteurs les plus importants dans le choix des végétaux sont la hauteur et les besoins en luminosité. On privilégiera des couvre-sols plus courts et adaptés à l’ombre. La hauteur dépend de ce qui pousse autour mais, en général, on préférera des plantes basses. On n’oublie pas non plus de choisir des végétaux adaptés à notre climat! Voici une liste non exhaustive de couvre-sols à utiliser comme paillis vivant.
- Asaret d’Europe (Asarum europaeum) zone 5
- Asaret du Canada ou gingembre sauvage (Asarum canadense) zone 3
- Bugle rampante (Ajuga reptans) zone 3
- Carex de Pennsylvanie (Carex pennsylvanica) zone 3
- Cymbalaire des murs ou ruine de Rome (Cymbalaria muralis) zone 6
- Épimède (Epimedium spp.) zone 3
- Gaillet odorant ou aspérule odorante (Galium odoratum) zone 3
- Lamier (Lamium maculatum) zone 2
- Luzule des bois (Luzula sylvatica) zone 4
- Pachysandre du Japon (Pachysandra terminalis) zone 4
- Pain de perdrix (Mitchella repens) zone 2
- Petite pervenche (Vinca minor) zone 4
- Phlox des bois (Phlox divaricata) zone 3
- Polypode du chêne (Gymnocarpium dryopteris) zone 3
- Pulmonaire (Pulmonaria spp.) zone 3
- Quatre-temps (Cornus canadensis) zone 2
- Thé des bois ou gaulthérie couchée (Gaultheria procumbens) zone 2
- Tiarelle (Tiarella spp.) zone 3
Si vous avez d’autres suggestions, n’hésitez pas à les partager dans la section commentaires!
Et si vous trouvez chez vous de petites mauvaises herbes rampantes, comme la lierre terrestre que j’ai découvert chez mon père, n’oubliez pas ce que disait le jardinier paresseux: « Les pires mauvaises herbes font les meilleurs couvre-sols. »
Vous êtes très intéressant, comme on dit , la pomme ne tombe pas loin du pommier , bravo M Hodgson junior
Vraiment intéressant. On a hâte vous relire.
Correction : c’est du glécome lierre (Glechoma hederacea), et non de l’hydrocotyle.
J’ai testé la Lysimaque et la Vinca minor mais elle n’ont pas survécu 🙁 La Tiarelle et l’Heuchère sont très belles et le Houttuinya se plait et est comestible (aromate pour plat asiatique).
En vous lisant, je me dit à moi-même: il est très intéressant de vous lire et si je puis oser dire vous avez une belle très belle écriture simple et intéressante. Vous allez mettre dans ce blog un renouveau pour nous les lecteurs qui aimions tant votre Papa.
La Liriope muscari se plait aussi 🙂
Vous avez bien raison, merci!
Merci Mathieu! Vraiment intéressant!
Connaître les étages de la végétation nous fait voir la nature autrement et les paysages d’automne sont encore plus beaux. Même chose pour les couvre-sols.
Julien C. Dit qu’il n’a pas réussi à implanter la Vinca minor. Pour ma part, je la trouve un peu trop envahissante, mais d’autre part, son feuillage luisant est très joli, de même que sa floraison printanière.
Beaucoup d’information très intéressante , merci
Il y en a 2 qu’il faut éviter: l’herbe aux goutteux et le muguet, même s’ils sont très beaux, ils sont beaucoup trop envahissants et impossible de s’en défaire! Par contre, le vinca minor est excellent pour prévenir l’érosion dans une pente.
Merci pour ce texte très intéressant.
Bonjour,
Beaucoup de nouveaux jardiniers récupèrent ou achètent le genre de couvre sol suggérer dans votre article. Par contre, plusieurs étant très envahissants, ils se retrouvent avec une grande difficulté pour les enlever lorsqu’ils réalisent que les couvre sols sont maintenant dans le gazon et partout dans la plate-bande. Je jardine depuis déjà trente ans et vraiment les plantes envahissantes sont au haut de ma liste comme problème au jardin. Donc oui pour certaines mais définitivement celles qui se retirent facilement et qui n’ont pas des racines profondes et presque impossible à retirer. Merci !
Très intéressant cet article! Merci beaucoup Mathieu!
Oh c’est vrai, votre père a un immense jardin expérimental ! Je n’y connais que tellement peu de choses pour le moment. Sauf que je viens d’apprendre les jardins japonais et l’ikebana et… Oh mais voyez-vous ils ont tellement de rites, de superstitions, que cela m’a freiné parce que je n’ai pas assez étudié la Nature pour le moment pour m’assurer qu’ils découlent de quelque chose… Les règles usuelles ne sont pas la Nature et détruisent beaucoup d’expérimentations, et certes cela doit être tellement difficile de s’y retrouver lorsqu’on tente de comprendre les expériences d’un autre… Vous êtes gentil de tenter de prendre la relève, mais ne vivez surtout pas dans l’ombre. Oh justement, j’étudie aussi les plantes d’ombre actuellement, vous savez sous les arbres. Comme c’est étrange ! Merci pour votre article !
Très intéressant, j’ai plusieurs plantes couvre-sols à la maison et maintenant je vais peut-être pouvoir mettre un nom dessus. Merci Mathieu !
À Montréal j’ai très bien réussi des tapis de plusieurs variétés de thym entre des pas japonais, mais il leur faut du soleil. Dans certains endroits plus ombragés et humides, l’arenaria verna forme de jolis tapis mousseux, agréables à la vue et au toucher, quoique trop denses pour être considérés du paillis.
Très intéressant. Merci Mathieu. J’ai découvert le lamier dans une de mes petites plates-bandes l’été dernier à sa floraison jaune. En même temps j’ai compris qu’il avait étouffé cinq vivaces, ce qui ne m’a pas fait très plaisir. J’a donc entrepris de le déplacer sous un fèvier qui lui ne laisse pas pousser un beau gazon de 15 cm. Il semble reprendre en force et j’ai hâte de le voir évoluer en liberté sans qu’il nuise à mes fleurs.
Vous êtes très intéressant, continuer à nous instruire comme votre père le faisait si bien.
Merci à vous!
J’ai essayé d’acheter du phlox divaricata en pépinière au printemps dernier et aucune n’en avait en inventaire.
De même pour mon daphné ‘Jim’s pride’ que je n’ai pu trouver nulle part. J’ai du me contenter d’un autre cultivare sans odeur à ma grande déception.
Comment se procurer des essences de plantes moins populaires? Les faites-vous toujours venir par la poste?
Je suis d’accord…cet été j’ai enlevé du pachysandra qui avait envahit mon jardin…j’ai dû creuser 8″ en profondeur pour élimimer toute racine en espérant que j’en ai pas manquéune seule.
Cher Mathieu, j’aime beaucoup vous lire.
A noter que le cotinus coggygria est très rustique en zone 4b…le mien doit avoir au delà de 20″ de haut par 12″ de large et fleurit chaque année depuis plus de 25 ans. Les tourterelles y font même leur nid.
Merci beaucoup Mathieu pour cet article!
Oui tout à fait d’accord la pachysandra est très envahissante après quelques années et extrêmement difficile à retirer lorsqu’elles se retrouvent parmi d’autres vivaces.
Une partie du gazon est remplie de la lierre terrestre et qui s’étend. Est-ce qu’il y a un moyen de limiter son expansion? Merci d’avance pour vos propositions.
Le géranium odorant est chez moi un bon couvre-sol très dense.
À mon avis c’est souvent une question de placement car même à Montréal en zone 5, les continus peuvent geler. Parfois je trouve des végétaux en zone 4 qui sont devraient être en zone 5 ou 6, mais apprécient la protection de la neige. Il ne faut pas trop se laisser décourager par les étiquettes et tenter des expériences!
Vous allez nous faire aimer la mauvaise herbe. 😉 Vos textes sont agréables à lire.
Merci de votre implication.
Super interessant , merci
Je regarderais mes couvre-sol d’un œil différent dorénavant. Merci Mathieu d’être le digne descendant du jardinier paresseux.
Je réussis très bien avec l’aspérule odorante qui couvre lentement ma plate-bande entourant mon tremble âgé de plus de 50 ans. Toutes les plantes cohabitent fort bien avec ce couvre-sol magnifique. J’ai des coeurs-saignants, des centaurées, un rosier, des lys du Canada, du phlox, des échinops et des alliums qui poussent au travers. Les alliums sont particulièrement beaux avec les petites fleurs étoilées de l’aspérule odorante. Bref, je préfère de loin un paillis vivant comme celui-ci aux paillis habituels.
Merci pour le texte fort intéressant.
Fernande P. de Pierrefonds
J’abonde dans le sens des autres commentaires. Très heureuse que vous ayez repris le flambeau et nous fassiez profiter de votre savoir.
Comme couvre-sol j’utilise un géranium rhizomateux; son grand avantage est qu’il est facile à implanter: on arrache quelqes tiges, et si le sol reste humide une dizaine de jours le tour est joué; comme il pousse assez vigoureusement il faut de temps à sutre le tailler, peut etre deux fois par saison, pour qu’il n’élimine pas les couvre-sol de plus petite taille.
André Masse
J’ai planté une aspérule odorante il y a 10-12 ans, depuis elle s’étend à bien des endroits où il y a des vides sans jamais nuire aux autres plants. J”adore son apparence et le rôle qu’elle s’octroie.Elle est facile à arracher si on veut mettre un autre plant.
Ne calomnier pas trop le muguet, il a progressivement résolu un problème chez moi. Il y avait une pente qui recevait un peu de soleil le matin, le gazon y poussait mal et la tonte était ardue.On a planté un peu de muguet au haut de la pente et chaque année enlevé une portion de gazon. Il gagnait du terrain chaque année fidèlement. On déposait des roches récoltées lors du creusage de plates-bandes à mesure qu’il avançait. À la fin il a suffit de creuser au bas de la pente et d’enfouir une plaque qui arrêta son expansion.
( Et en prime on s’est débarrassé des roches qu’on avait accumulé ) Une jolie réussite, un coin qu’il est agréable de regarder et ceci à un coût quasi nul.
À l’attention de Mathieu. Le lierre terrestre (Glechoma hederacea) est une plante spontanée parfois utilisée comme ornementale, originaire d’Eurasie, importée aux Amériques par les colons, et comme cela se produit très souvent en cas d’importations, devenue semble-t-il envahissante.
merci Mathieu pour cet article, et merci aux lecteurs pour leurs autres suggestions et essais
Si vous implantez des couvre-sol, choisissez-les avec beaucoup de soin car lorsqu’ils se plaisent, ils deviennent facilement de vraies pestes. Préférez ceux qui s’arrachent facilement sans repartir du moindre petit bout de plante. Chez moi, la lysimaque nummulaire citée dans l’article prospère parfaitement à pleine ombre et tend à étouffer tout le reste. À éviter ! Autre exemple, la ficaire fait de jolis tapis d’étoiles jaunes au printemps, mais elle produit des paquets de petits vésicules (qui lui valent le charmant surnom de couilles d’évêque) à partir desquels de nouveau plants apparaissent, ce qui la rend absolument impossible à supprimer une fois implantée. Prudence !!!
Le secret, c’est de planter ces couvre-sols envahissants là où ils survivent à peine. Comme ça, ils n’envahissant pas nos vivaces adorées. J’ai lutté pendant au moins dix ans pour éliminer du muguet que j’avais naïvement planté en me disant “c’est si beau!!” La pervenche aussi me donne du fil à retordre. Et je trouve encore régulièrement de l’ajuga autour de mes hostas et hémérocalles, et même dans ma pelouse. Le mot d’ordre: surveillez-les! Merci, Mathieu, pour cet article fort intéressant. J’aime beaucoup votre style d’écriture et j’ai hâte de vous relire!