Les abeilles des mers pollinisent les plantes aquatiques
Il n’y a pas si longtemps, la communauté scientifique croyait que la pollinisation se produisait presque entièrement sur terre. Les principaux pollinisateurs étaient les insectes volants – dont les abeilles, bien sûr – les oiseaux, les chauves-souris et le vent.
D’après leur pensée, très peu de pollinisation avait lieu sous l’eau. Le peu qui existait était causé par le mouvement de l’eau qui transportait les gamètes mâles vers les parties femelles des plantes et des algues*, tout simplement. À cause de cette croyance, les scientifiques ne prenaient nullement en considération la possibilité que des animaux puissent assister à la pollinisation des plantes aquatiques.
*Dans cet article, nous avons regroupé les algues avec les plantes aquatiques pour simplifier les explications. Mais en fait, les algues ne sont pas des plantes!
Par exemple, de nombreuses algues agissent un peu comme les coraux et larguent des gamètes mâles et femelles dans l’eau à des périodes précises. Ou le gamète mâle venait rejoindre le gamète femelle sur l’algue. Lorsque deux gamètes compatibles se rencontrent, une nouvelle algue peut se former, puis s’installer et fonder une nouvelle colonie.
Donc, c’était essentiellement ça, la pollinisation aquatique. Et même là, la croyance était que cela se produisait à très petite échelle. Après tout, n’est-ce pas que ces algues, et aussi les plantes supérieures aquatiques, avaient tendance à se reproduire principalement de manière végétative, par rhizomes rampants ou division naturelle? Mais on commence à découvrir que cela n’est pas nécessairement le cas.
Pollinisation au-dessus de l’eau
Certes, les entomologistes savaient que les insectes aidaient à polliniser les plantes aquatiques… mais pas sous l’eau. C’est le cas de plusieurs plantes supérieures autrement aquatiques (par exemple, de plusieurs espèces d’utriculaire [Utricularia spp.]). Elles vivent toute leur vie sous l’eau, sauf lorsqu’elles fleurissent. Elles produisent alors une tige qui se dresse au-dessus de l’eau pour que les insectes puissent polliniser leurs fleurs. Généralement, les fleurs pollinisées se retirent sous l’eau pour mûrir. Plus tard, les graines se libèrent de la plante mère et sont transportées par les courants et les vagues vers de nouveaux environnements. Là, elles s’installent pour former de nouvelles plantes aquatiques.
La pollinisation sous-marine est plus courante que prévue
Cependant, les conceptions évoluent désormais et l’on commence à comprendre que la pollinisation sous l’eau est plus courante et plus variée qu’on le pensait.
Depuis quelques décennies, les scientifiques ont remarqué la présence de minuscules créatures marines (des crustacés appelés isopodes [similaires aux cloportes], notamment, et aussi des vers), souvent nombreuses, qui se regroupent sur des plantes aquatiques qu’on pensait depuis longtemps pollinisées par l’eau. Et certains d’entre eux ont commencé à se demander ce que ces petites bêtes faisaient là.
Il semble maintenant clair que certains de ces animaux sont en fait des pollinisateurs aquatiques. Des «abeilles des mers»! Ainsi sont-ils appelés par les scientifiques en plaisantant, bien qu’aucun ne se soit avéré être un véritable insecte jusqu’à présent. Et certainement, aucun ne ressemble à une abeille!
Mais il se trouve qu’il existe des isopodes, des vers et d’autres organismes qui visitent les organes sexuels des plantes aquatiques spécifiquement lorsque les gamètes mâles sont fertiles, généralement en début de soirée. Ils se nourrissent des gamètes, c’est vrai. Mais seulement en partie. Car d’autres gamètes se collent sur le corps de l’invertébré. Ensuite, les créatures passent aux parties femelles lorsqu’elles deviennent réceptives pendant la nuit… et lorsqu’elles visitent les parties femelles, les gamètes mâles qu’elles transportent sont libérés. De cette façon, la pollinisation peut se produire.
Ce type d’échange est déjà bien connu dans les écosystèmes terrestres et prend tout son sens dans les écosystèmes aquatiques également. Ce qui est curieux, cependant, c’est de voir des crustacés réaliser ce rôle plutôt que des abeilles et des papillons!
Lequel est venu en premier?
Il semblait évident, jusqu’à récemment, que la pollinisation par les animaux avait évolué en milieu terrestre au début, là où les insectes en vol libre peuvent facilement visiter les fleurs de leur choix et où la grande majorité des pollinisateurs ont été découverts.
En effet, la plupart des plantes aquatiques supérieures, comme l’herbe à tortue (Thalassia spp.), qui tapit le fond marin à la manière d’un gazon dans plusieurs régions, ont d’abord évolué sur terre avant de retourner en mer. Ce faisant, elles ont apporté avec elles des fleurs habituellement pollinisées par les insectes.
Une fois sous l’eau, bien sûr, les fleurs ont dû s’adapter. Elles avaient besoin de nouvelles stratégies de pollinisation, notamment en offrant des récompenses sucrées et d’autres services à une clientèle autre que les insectes, absents des eaux marines. Et cela comprenait l’utilisation de petites créatures aquatiques de toutes sortes. C’est ce qu’a annoncé l’équipe de Vivianne Solis-Weiss, biologiste marine à l’Universidad Nacional Autónoma de Mexico, dans un rapport de la revue Inter-Research Science Publisher en 2012.
Abeille des mers
Et une étude récemment publiée* montre un lien entre un petit isopode marin appelé l’idotée de la Bathique (Idotea balthica) et une algue rouge, la gracilaire gracile (Gracilaria gracilis). Les algues rouges n’ont pas de spermatozoïdes mobiles et il semblait plutôt surprenant qu’elles aient pu compter uniquement sur les courants d’eau pour transporter leurs gamètes mâles vers les organes femelles. Mais quand les idotées rampent sur les organes mâles, des amas de gamètes se collent facilement à leur carapace. Alors…!
*Étude menée par une équipe de recherche internationale dirigée par Myriam Valero basée à la Station Biologique de Roscoff (CNRS, Sorbonne Université, Pontificia Catolica Universidad de Chile et Universidad Austral de Chile), France.
Dans cette étude, lorsque des gracilaires graciles femelles vierges ont été placées dans des aquariums avec des idotées, leur taux de pollinisation a été multiplié par 20, prouvant que la pollinisation animale est clairement possible et probablement la norme.
Lequel est vraiment venu en premier?
C’était particulièrement excitant dans la mesure où les algues rouges ont évolué il y a environ 1 milliard d’années, alors que la première pollinisation connue avec l’aide d’animaux n’est apparemment apparue qu’il y a 140 millions d’années. Cela pourrait signifier que c’est la fertilisation par les animaux sous-marins qui est arrivée en premier, bien avant que les plantes deviennent terrestres!
Cela a conduit à un tout nouveau terme: la pollinisation zoobenthophile, c’est-à-dire le transfert de pollen par les animaux invertébrés dans la zone benthique, soit la communauté de faune et de flore des fonds marins.
Si jamais vos aventures de jardinage vous mènent à la culture de plantes aquatiques, vous aurez peut-être à adapter vos conditions pour rendre les abeilles des mers aussi heureuses dans leur environnement aquatique que nous essayons maintenant de faire aujourd’hui pour des abeilles indigènes et d’autres pollinisateurs dans nos jardins!
Informations complémentaires
Voici quelques articles que vous pouvez consulter pour en savoir plus sur ce sujet passionnant:
Un petit crustacé bouleverse l’histoire de la pollinisation
Ces «abeilles des mers» pollinisent des végétaux marins
L’idotée, une abeille des mers
[…] Il n’y a pas si longtemps, la communauté scientifique croyait que la pollinisation se produisait presque entièrement sur terre. LesContinue Reading […]
Passionnant! Merci pour cet article. Je ne connaissais pas du tout ce phénomène!
J’ai une question – et un étonnement : les algues ne sont pas des plantes, écrivez-vous. Pouvez-vous élaborer? Sont-elles des végétaux?
Passionnant! Merci pour ce blogue.
Bonne journée,
Nancy
@ Marie Pedneault Pas facile à expliquer, même chose avec les champignons plus considérés comme des plantes. Avec l’apparition de la phylogénétique, les classements sont particulièrement chamboulés, et pour un non spécialiste, pas facile de s’y retrouver. Je suis un très très modeste botaniste “linnéen” et j’avoue que souvent j’y perds le peu du latin qui me reste !
Par contre, cet article est particulièrement intéressant et nous fait découvrir un monde insoupçonné !
C’est tellement bien fait, la nature. Si on pouvait seulement mieux la préserver. Merci pour ce beau moment d’émerveillement.
Très intéressant ! et oui moi aussi je suis étonné de lire “les algues ne sont pas des plantes” ??? je pensais que les fougères étaient les cousines terrestres des algues…? me trompe-je ?
l’herbe a tortue qui tapisse le fond de la mer …et non *qui tapit*.
@Julien Cr Les algues ne sont pas des plantes, les fougères sont des plantes ! Je n’y comprends pas grand chose, regardez sur Wikipédia, c’est très complexe.
même le montage clipart est dans la tradition jardinier paresseux
Les d’algues se répartissent dans 2 classes différentes. Les algues unicellulaires, tels les cyanobactéries qui font des” blooms” en surface dans les cours d’eau, sont de la classe des protistes. Alors que les algues pluricellulaires sont classés dans le monde végétal. Voir l’article très intéressant de Wikipédia. https://fr.wikipedia.org/wiki/Algue