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Un champignon aura peut-être raison de la dévastatrice fourmi folle!

La découverte d’un champignon microscopique pourrait sonner le glas de l’envahissement de la redoutée fourmi folle.

Par Larry Hodgson

Les jardiniers des états limitrophes de la Mer des Caraïbes aux États-Unis ont dû se battre contre plusieurs nouveaux animaux ravageurs envahissants non indigènes depuis les 50 dernières années. Après la fourmi du feu, l’abeille africanisée et le python birman, c’est maintenant la fourmi folle fauve (Nylanderia fulva) qui prend la région d’assaut.

Cet insecte cause des dégâts de plusieurs milliards de dollars annuellement chez les agriculteurs et les jardiniers… mais peut-être plus pour très longtemps, car un champignon nouvellement découvert pourrait peut-être l’arrêter et même l’éliminer.

Qu’est-ce que la fourmi folle fauve?

Il s’agit d’une toute petite fourmi, mais elle cause néanmoins de gros dégâts. 

Le simple fait de se prélasser dans son jardin perd beaucoup de son attrait lorsque des essaims de fourmis folles rampent sur vos jambes et montent sur tout votre corps. Et elles mordent aussi (mais ne piquent pas). Leur morsure n’est pas particulièrement douloureuse pour l’humain, mais injecte néanmoins de l’acide formique dans la petite blessure. C’est assez pour provoquer une irritation de la peau et de sérieuses démangeaisons.

Les dégâts de la fourmi folle fauve sur l’environnement sont énormes! Elle a été décrite comme une «boule de démolition environnementale», chassant les insectes indigènes et les petits animaux et causant des maux de tête majeurs aux propriétaires de maisons et de jardins. Elle endommage les plantes et les cultures en se nourrissant directement d’elles à la recherche de leurs sucres, mais indirectement aussi en tuant les prédateurs qui mangent les insectes nuisibles qui les visitent et en propageant et faisant l’élevage de pucerons sur nos plantes, pucerons qui sucent la sève des plantes et les affaiblissent.

Les fourmis folles perturbent tout l’écosystème

Fourmis folles attaquant en bande une araignée bénéfique.
Fourmis folles attaquant en groupe une araignée bénéfique. Bénéfique, car on sait que, en tant que prédatrices d’insectes nuisibles, les araignées sont de bonnes amies du jardinier. Photo: Mark Sander

Elle tue également les oisillons et les petits mammifères et anéantit les colonies d’abeilles indigènes et domestiques. Dans certaines régions, les fourmis folles sont si nombreuses que les chiens ne veulent même pas aller dehors, car elles les recouvrent complètement. Les maisons aussi ont été envahies par des fourmis qui s’installent dans les disjoncteurs, les climatiseurs, les pompes à eaux usées et d’autres appareils électriques, causant des courts-circuits et d’autres dommages.

La fourmi folle fauve a également tendance à éliminer toutes les autres espèces de fourmis présentes sur son territoire, y compris une autre fourmi envahissante indésirable, la fourmi du feu (Solenopsis spp.). Avant de crier victoire — et il est vrai que cette fourmi ne mérite aucune sympathie —, et n’en déplaisent à certains jardiniers qui voient dans toute fourmi une ennemie à abattre, rappelez-vous que la plupart des autres fourmis de nos jardins sont bénéfiques ou partiellement bénéfiques. Et elles ont un rôle vital à jouer dans l’écologie locale. Sans fourmis pour faire le ménage, notamment, nos écosystèmes disparaîtraient sous des montagnes de déchets.  

Courte vidéo montrant des fourmis folles à l’œuvre. Source: Thomas Swafford, Université du Texas à Austin

Cette fourmi jaunâtre à rougeâtre («fauve») est appelée fourmi folle en raison de son comportement erratique et de ses mouvements rapides. Elle court de façon saccadée dans tous les sens et ne suit pas des sentiers établis comme le font les autres fourmis.

Origine

La fourmi folle fauve serait arrivée aux États-Unis à partir de son aire naturelle, le nord de l’Amérique du Sud, dans le lest d’un navire. Un premier spécimen est apparu à Brownsville, au Texas, aussi loin qu’en 1938! Par contre, comme de nombreuses espèces qui deviennent envahissantes dans un nouvel environnement, elle y a vécu une longue période d’acclimatation avant de commencer à devenir une menace. C’est seulement depuis 2002 que les écologistes ont reconnu la fourmi folle comme étant envahissante. 

Carte de distribution des fourmis folles fauves dans le Sud-est des États Unis
Distribution de la fourmi folle fauve aux États-Unis en 2012. Ill.: Gotzek D, Brady SG, Kallal RJ, LaPolla JS, journals.plos.org

Aujourd’hui, seulement 20 ans depuis qu’on a vu les premières colonies provoquer des dégâts au Texas, toutefois, la fourmi folle fauve envahit de vastes superficies et cause des dommages énormes aux fermes, aux jardins et aux maisons dans tous les États du Golfe, du Texas à la Floride.

Champignon mortel… pour les fourmis folles fauves

Fourmi folle fauve
Fourmi folle fauve qui sourit pour le photographe. Photo: Alex Wild, Université du Texas à Austin

Les scientifiques de l’Université du Texas à Austin ont cependant de bonnes nouvelles. Ils ont démontré comment utiliser un champignon naturel pour faire chuter les populations locales de fourmis folles. Ils décrivent leur travail dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences du 29 mars 2022.

“Je pense que ce champignon offre beaucoup de potentiel, notamment pour la protection des habitats sensibles contenant des espèces en voie de disparition ou des zones à haute valeur de conservation”, a déclaré Edward LeBrun, chercheur au Texas Invasive Species Research Program au Brackenridge Field Laboratory. Il est l’auteur principal de l’étude.

La découverte qui a changé la donne

L’idée d’utiliser cet agent pathogène fongique est venue de l’observation de populations sauvages de fourmis folles infectées qui se sont effondrées sans intervention humaine.

Il y a environ huit ans, les chercheurs Edward LeBrun et Rob Plowes, également du Texas Invasive Species Research Program, étudiaient des fourmis folles collectées en Floride. Ils ont remarqué que certaines avaient l’abdomen gonflé de graisse. Quand ils ont regardé à l’intérieur de leurs corps, ils ont trouvé des spores d’un champignon microsporidien. Les microsporidies sont un groupe de pathogènes fongiques qui détournent les cellules graisseuses d’un insecte et les transforment en fabriques de spores.

Spores de microsporidies.
Spores de microsporidies récoltées d’une fourmi folle fauve. Photo: Edward LeBrun, Université du Texas à Austin.

On ne sait pas encore d’où vient l’agent pathogène, encore sans nom, ni comment il est arrivé aux États-Unis. On soupçonne toutefois qu’il vient de l’aire de répartition naturelle des fourmis folles fauves en Amérique du Sud. Cependant, il est clairement présent aux États-Unis maintenant et se propage rapidement.

LeBrun et ses collègues ont trouvé l’agent pathogène dans des fourmis folles sur des sites à travers le Texas et la Floride. Et le champignon a réduit sévèrement toutes les populations qui en ont été infectées. D’ailleurs, 62% des colonies ont complètement disparu.

LeBrun théorise que les colonies de fourmis folles s’effondrent parce que l’agent pathogène raccourcit la durée de vie des fourmis ouvrières, ce qui rend difficile la survie d’une population pendant l’hiver.

Quelle que soit la raison, le problème semble spécifique aux fourmis folles. Le nouvel agent pathogène n’a aucun rapport avec les autres microsporidies qui infectent les différentes fourmis et en est d’ailleurs tellement différent qu’on le place dans son propre genre! Il ne semble pas nuire aux fourmis indigènes ni aux autres arthropodes du secteur, ce qui en fait un agent de lutte biologique apparemment idéal.

Fourmis de Troie

Voici un exemple de ce qu’il se passe quand la nouvelle microsporidie est libérée dans une colonie de fourmis folles fauves.

Le parc d’État Estero Llano Grande à Weslaco, au Texas, perdait ses insectes, scorpions, serpents, lézards et oiseaux au profit de fourmis folles fauves. Des bébés lapins étaient aveuglés dans leur nid par des essaims de fourmis crachant de l’acide. En désespoir de cause, ils ont fait appel à LeBrun et son équipe en 2016.

Homme récoltant des fourmis folles fauves.
Edward LeBrun, le chercheur principal derrière la découverte, qui récolte les fourmis folles fauves dans un parc d’État texan. Photo: Thomas Swafford, Université du Texas à Austin.

“Ils avaient une infestation terrible de fourmis folles. Quelque chose d’apocalyptique! Des rivières de fourmis montant et descendant sur chaque arbre”, a déclaré LeBrun. “Je n’étais pas vraiment prêt à initier une telle tentative aussi tôt dans le processus expérimental, mais c’est comme: Voyons, c’est vraiment grave! On pourrait au moins essayer!”

À l’aide de fourmis déjà infectées par l’agent pathogène microsporidien qu’ils avaient collecteés sur des sites ailleurs, les chercheurs ont placé des fourmis infectées près des fourmilières des fourmis folles fauves dans le parc d’État. En fait, ils ont placé des saucisses à hot-dogs autour des sorties des fourmilières pour attirer les fourmis locales et faire fusionner les deux populations.

L’expérience a fonctionné de façon spectaculaire. La première année, la maladie s’est propagée à toute la population de fourmis folles du parc Estero. En deux ans, leur nombre avait sérieusement chuté. Désormais, il n’y a aucune fourmi folle dans le parc et les espèces indigènes ont commencé à reprendre leur place. Les chercheurs ont depuis éradiqué une deuxième population de fourmis folles sur un autre site dans la région de Convict Hill à Austin.

À l’avenir, la vie des fourmis folles ne sera pas si facile 

“Cela ne signifie pas que les fourmis folles vont disparaître complètement”, a prévenu LeBrun. “Il est impossible de prédire combien de temps il faudra pour que l’agent pathogène apparaisse dans toutes les populations de fourmis folles. Et l’envahissement pourrait recommencer à partir de colonies isolées qui n’ont pas été touchées par le champignon. Mais c’est quand même un grand soulagement, car cela signifie que les populations de fourmis folles semblent désormais avoir une durée de vie limitée.»

Des chercheurs élèvent des fourmis folles en les nourrissant de grillons à l’Université du Texas à Austin. Photo: Edward LeBrun, Université du Texas à Austin

Les chercheurs prévoient de tester leur nouvelle approche de biocontrôle ce printemps dans d’autres habitats sensibles du Texas qui sont infestés de fourmis folles.

Répercussions dans le monde entier

Ce champignon casse-fourmis sera certainement commercialisé assez prochainement dans tout le sud-est américain et sera rapidement à la disposition des autorités si la fourmi folle fauve devait apparaître ailleurs aux États-Unis ou dans d’autres pays. Bientôt, les exterminateurs pourraient se présenter à votre roulotte en Floride avec en main des saucisses à hot-dogs, mais cette fois, pas pour le barbecue familial!

Cela dit, à moins d’un changement climatique vraiment radical, les fourmis folles ne seront probablement jamais un problème pour la plupart des jardiniers amateurs de climat tempéré.

En dehors des régions aux climats similaires aux États du Golfe, donc avec des hivers doux et une humidité élevée, les fourmis folles fauves ne survivent tout simplement pas. On sait qu’elles se sont propagées dans les Caraïbes et en Australie, par exemple, mais il est peu probable qu’elles se rendent à Montréal ou à Paris.

Cependant, si de tels agents de lutte biologique naturels spécifiques peuvent être trouvés pour d’autres espèces envahissantes, cela pourrait éliminer une bonne partie des pesticides chimiques utilisés dans l’agriculture et le jardinage domestique.

L’information incluse dans cet article a été largement adaptée d’un communiqué de presse d’UT News. Traduction et adaptation de l’américain par Larry Hodgson.


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Étiquettes + Insectes nuisibles


  1. Très intéressant

  2. Encore une preuve que la recherche scientifique doit être soutenue (et pas seulement au Texas!)! Merci de nous faire connaître le travail de ces chercheurs.

  3. incroyable !

  4. Denise B. Québec, Qc

    Est-on certain qu’elles ne grimpent pas dans une roulotte qui revient de la Floride? Bientôt les snowbirds seront de retour. Ou qu’elles ne survivront pas ici?

  5. En dehors des régions aux climats similaires aux États du Golfe, donc avec des hivers doux et une humidité élevée, les fourmis folles fauves ne survivent tout simplement pas. On sait qu’elles se sont propagées dans les Caraïbes et en Australie, par exemple, mais il est peu probable qu’elles se rendent à Montréal ou à Paris.(à la fin du document !)

  6. Très intéressant! Surtout merci à tous ces dévoués chercheurs.

  7. C’est en effet très intéressant, mais surprenant que l’article mentionne que cette fourmi n’est pas encore présente au Canada.
    L’année dernière, à chaque fois que je travaillais à l’extérieur dans la cour, je me faisais mordre par des fourmis, si minuscules, que je devais me pencher très près du sol pour les voir.
    Elles étaient effectivement nombreuses et couraient dans tous les sens, il y en avait partout.
    C’est vrai qu’il n’y avait pas de douleur lors de la morsure, mais la démangeaison qui suivait était insupportable.
    Je me couvrais de la tête au pied avant d’aller travailler dehors, mais peu importe, elles réussissaient toujours à me mordre.
    De plus, mon fils a quelques ruches chez nous puisque je demeure à la campagne.
    Depuis deux ans, il n’a pas réussi à garder une seule colonie d’une année à l’autre.
    Je demeure dans l’est ontarien, dans Clarence-Rockland.

  8. Si vous vous faites piquer par un insecte, prenez de la terre et mettez-en sur la piqure, ça devrait aider, et peut-être cesser de piquer.

  9. si vous en avez l’occasion cet été, attrapez-en quelques unes et faites les identifier par un spécialiste pour en avoir le coeur net… Toutefois, il serait surprenant qu’elles aient survécu à l’hiver.

  10. Merci, c’est une très bonne idée.

  11. Je suis à Gatineau.
    Tout comme Agnès, j’ai eu le malheur, en travaillant dans mon potager communautaire, de tomber sur un nid de milliers de minuscules fourmis qui courraient dans tous les sens puis qui sont montées sur ma jambe et ont entouré ma cheville comme un bracelet. J’ai eu du mal à m’en défaire et ma cheville est restée marquée pendant quelques jours tellement ça dérangeait. J’avoue en avoir fait des cauchemars par la suite.
    Agnès vit du côté ontarien, et moi, pas très loin mais du côté québecois.

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