par Edith Smeesters, biologiste, auteure et conférencière
Il y a quelques décennies déjà, je reçois en cadeau le livre de Ida et Jean Pain : «Un autre jardin ou les Méthodes Jean Pain». Ce livre raconte l’histoire de leur jardin au «Domaine des Templiers» dans le Var, au sud de la France. Jean Pain explique comment il a transformé un terrain rocailleux en jardin luxuriant grâce au compost de broussailles : un matériel surabondant dans sa région qui causait souvent des incendies de forêt. Après avoir broyé les broussailles, il les faisait tremper dans l’eau avant de les composter. Les résultats dans son potager étaient spectaculaires, et cela dans une région où il ne pleut presque pas et où la température dépasse souvent 40 °C en été.
Comme je voulais justement commencer mon premier potager sur une terre de remblais, je me suis aussitôt fait livrer quelques chargements de branches déchiquetées qui allaient prendre le chemin du dépotoir! Ce fut un succès : mon potager est devenu luxuriant en moins de deux ans.
La science du BRF
À la même époque, je découvre les recherches du professeur Gilles Lemieux, de la faculté de foresterie de l’Université Laval. C’est lui qui a inventé le terme de « bois raméal fragmenté » ou BRF et documenté son rôle sur « l’aggradation » des sols, en opposition à la dégradation. Soucieux de recycler les énormes tas de branches laissées pour compte par l’industrie forestière, Gilles Lemieux mène des recherches sur le rôle de l’arbre et de ce bois raméal dans la pédogénèse, c’est-à-dire la formation des sols fertiles. Il se rend compte que les terres les plus fertiles sur la planète sont issues des forêts. Les sols forestiers sont autonomes, car leur fertilité est constamment régénérée par les branches et les feuilles qui tombent au sol et qui y sont incorporées grâce à la flore et à la faune du sol.
La partie vivante de l’arbre est située juste sous l’écorce : le cambium, cette mince couche de tissu végétal très actif qui produit du bois vers l’intérieur et de l’écorce vers l’extérieur. Donc, plus les branches sont minces, plus elles comportent du cambium et d’éléments nutritifs comme des sucres, amidon, cellulose, hémicellulose, protéines, acides aminés, enzymes et sels minéraux. Il est évident que les branches fraichement coupées sont préférables aux branches mortes. Le déchiquetage favorise leur contact avec le sol et le BRF obtenu produit un humus durable de très haute qualité grâce à la présence de lignine qui sera transformée par des champignons et ensuite par toute la chaine alimentaire du sol : nématodes, insectes, vers de terre, arachnides, etc. Le BRF stimule la vie du sol et entretient sa fertilité.
Le bois raméal des conifères, dont la lignine est différente des arbres feuillus, est à déconseiller, car il a des effets inhibiteurs sur la croissance des plantes. Un maximum de 20% de conifères est acceptable.
L’utilisation des BRF produit des améliorations remarquables dans la structure de tous les types de sols. On observe une meilleure résistance à la sécheresse, une augmentation de la biodiversité, une réduction des ravageurs, une augmentation des rendements, une amélioration de la qualité des produits, une apparition naturelle de mycorhizes et une augmentation du pH en sols acides. L’effet du BRF peut se faire sentir sur 3 à 5 ans.
Au Québec, l’usage des BRF se développe beaucoup en horticulture et de nombreuses villes s’en servent comme paillis dans les aménagements paysagers. Le BRF est utilisé aussi comme matière structurante dans les opérations de compostage à grande échelle.
Le BRF composté, incorporé au sol ou en paillis ?
Mes amis européens compostaient le BRF alors que les expériences à l’Université Laval favorisaient l’incorporation au sol avec des résultats tout aussi étonnants, mais moins de travail. Personnellement, je m’en sers essentiellement comme paillis. Alors quelle est la meilleure méthode ?
D’après Gilles Lemieux, il y a moins de pertes de carbone et d’azote lorsqu’on incorpore le BRF au sol. Il attire alors certains types de champignons qui stimulent toute la chaine alimentaire dans le sol. Leur mycélium s’associe aux racines des plantes et forme des mycorhizes qui peuvent augmenter jusqu’à 80 fois le volume de sol exploré par les racines, ce qui permet d’absorber d’autant plus de minéraux et d’eau.
Le compostage serait donc une étape inutile et laborieuse? En fait, après une incorporation de BRF au sol, il faut quand même laisser le sol « digérer » les matières pendant quelques mois ou lui fournir un apport d’azote. Le professeur Lemieux suggère de faire l’incorporation de BRF frais en automne. Les champignons travaillent dans des conditions très froides et le sol peut être prêt à planter au printemps.
Le compostage permet pour sa part de cultiver immédiatement après l’application, mais stimule moins l’activité microbienne du sol.
Par ailleurs, lorsqu’on applique le BRF comme paillis, il se décompose petit à petit en surface et ne crée pas de « faim d’azote » chez les plantes. De là, sans doute mon expérience très positive depuis 40 ans avec le BRF.
Où trouver du BRF?
Ce matériau est encore souvent gratuit ou presque, surtout en milieu périurbain auprès des arboriculteurs. Le problème c’est que le déchiquetage est souvent assez grossier et qu’il faut accepter la livraison d’un camion complet, ce qui n’est pas toujours évident en ville ! Dans tous les cas, il faut choisir un entrepreneur qui entretient bien sa déchiqueteuse et qui produit de beaux petits copeaux homogènes. Vous trouverez sur internet les compagnies qui travaillent dans votre région ou informez-vous auprès de votre municipalité pour savoir si elle récolte les branches et ce qu’elle en fait. Certaines villes conservent une provision de BRF pour leur propre usage et elles ont généralement un surplus à partager avec les citoyens. Comme c’est un matériau qui permet d’économiser l’eau, les municipalités auraient tout intérêt à en distribuer pour encourager leur utilisation. Plusieurs personnes ont essayé de commercialiser le BRF, mais c’est du matériel vivant qu’il est difficile de conditionner en sacs.
Références :
- Un Autre Jardin ou les Méthodes Jean Pain, Ida et Jean Pain, à compte d’auteur, 1972, disponible en format numérique auprès du comité Jean-Pain : https://comitejeanpain.be/
- http://edithsmeesters.org/?page_id=501
- Le BRF, vous connaissez?, Jacky Dupety, Éditions du Terran, 2007
- De l’arbre au sol, les bois raméaux fragmentés, Éléa Asselineau et Gilles Domenech, Editions du Rouergue, 2007
- Guide du jardinage écologique, Edith Smeesters, Editions Broquet, 2013
Photos accompagnant ce billet: Edith Smeesters

