Les mutations au jardin
Gerbera à fleur bicolore, le résultat d’une mutation. Photo: slowlyretarding, reddit.com
Le mot «mutation» fait ressortir des images de créatures maléfiques et gluantes sorties d’un étang d’eau contaminée dans un film de science-fiction ou d’horreur, mais en fait, la plupart des mutations sont des changements mineurs dans la structure génétique d’un être vivant et n’ont aucune conséquence visible sur son apparence ou sa santé. Tristement, certaines mutations sont nuisibles (la plupart des cancers sont des mutations). D’autres peuvent être bénéfiques: on peut voir l’évolution comme une suite de mutations heureuses ayant donné naissance à tous les êtres vivants de la planète.
Mutations au jardin
Le jardinier observateur risque de découvrir occasionnellement des mutations visibles dans les plantes qu’il cultive: une fleur double sur une plante jusqu’ici à fleurs simples, un feuillage panaché, etc.
Parmi les mutations observées sur les plantes, il y a:
• Fleurs doubles ou semi-doubles: une augmentation du nombre de pétales. Parfois, les anthères aussi se mutent en pétaloïdes, donnant une fleur extrêmement double.
• Fleurs d’une autre couleur: subitement, une tige produit des fleurs d’une couleur différente des autres, ou une partie de la fleur est de couleur différente. Parfois, c’est une réversion à une forme ancestrale, mais souvent c’est une nouvelle couleur.
• Fleur pélorique: une mutation vers une symétrie radiale chez une fleur qui présente normalement une symétrie bilatérale, c’est-à-dire qu’elle possède deux côtés symétriques — gauche et droit — tandis que son côté supérieur est différent de son côté inférieur. C’est essentiellement une réversion, un retour vers la forme ancestrale de la fleur. Le terme pélorique vient du grec pelôros pour monstre.
• Fruits sans pépins: la plante produit des fruits, mais ils ne contiennent pas de graines viables. Les graines commencent à se former, puis avortent. Fort prisée en agriculture (bananes, raisins sans pépins, oranges Navel, etc.), c’est quand même une mutation rare, souvent reliée à la polyploïdie.
• Panachure: feuillage bicolore, une partie étant normale et chlorophyllienne (verte), l’autre sans chlorophylle ou albinos, ce qui laisse apparaître les couleurs secondaires du feuillage, habituellement blanc, crème ou jaune, mais parfois rose ou d’autres couleurs. Parfois, des fleurs montrent aussi un effet bicolore similaire. Ces plantes sont généralement des «chimères»: elles possèdent deux types de cellules dans la même plante, poussant côte à côte.
• Albinisme: absence totale de chlorophylle. Noté surtout chez de jeunes semis et normalement rapidement fatal. Le semis vit sur les réserves contenues dans la graine, mais aussitôt qu’elles sont consommées, il meurt faute de pouvoir faire de la photosynthèse.
Par contre, parfois on récupère les plantes albinos en les greffant sur une plante chlorophyllienne. Le célèbre cactus boule rouge (Gymnocalycium mihanovicii friedrichii ‘Rubra’, aussi appelé Hibotan), greffé sur un cactus vert, en est un exemple.
• Feuillage coloré: vert est la couleur de base des végétaux, mais parfois des semis naissent avec un feuillage anormalement foncé, pourpré ou rougeâtre (on dit «bronze» en horticulture) ou vert lime à jaune chartreuse (on dit alors «doré»). Ou une branche se met à produire des feuilles de couleur anormale.
• Fasciation: la tige ou la fleur est anormalement aplatie, poussant en «crête de coq» (on dit aussi cristée ou crêtée), donc en largeur plutôt que de façon normale. Parfois, la fasciation est une mutation génétique et est même transmissible par semences (la célosie crête de coq, par exemple), par greffage ou bouturage, mais elle peut aussi résulter d’une maladie transmise par un insecte et n’est alors pas une mutation.
• Balai de sorcière: une masse dense de pousses commence à se développer à partir d’un seul point, ce qui entraîne une structure qui ressemble à un balai ou à un nid d’oiseau. On voit notamment assez souvent un balai de sorcière sur les conifères. Il ne s’agit pas toujours d’une mutation, par contre. Parfois, il peut être un symptôme d’une maladie causée par différents organismes: acariens, bactéries, champignons, guis nains, insectes, phytoplasmes, virus et bien d’autres. Quand il s’agit véritablement d’une mutation, en revanche, souvent on peut en prélever des boutures et ainsi reproduire le balai comme plante naine. La majorité des nombreux conifères nains, par exemple, viennent à l’origine de balais de sorcière.
• Polyploïdie: surtout visible à ceux qui connaissent bien la plante, car la différence est souvent subtile — tiges plus solides, feuilles ou pétales plus épais, durée de vie prolongée, etc. La plante peut passer de diploïde, avec 2 paires de chromosomes, soit l’état normal chez la plupart des végétaux, à triploïde (3 paires), tétraploïde (4 paires), etc. De telles mutations, qui donnent souvent des plantes extra robustes, sont très utilisées en hybridation.
Mutation transmissible ou cul-de-sac?
La plupart des mutations ont lieu dans les cellules somatiques (cellules non reproductrices). Elles ne sont reproductibles que si on peut multiplier la plante de façon asexuée: par bouturage ou greffage, par exemple. Ainsi, si votre œillet d’Inde (Tagetes), une plante annuelle qu’on peut reproduire uniquement par semences, produit subitement une branche à feuillage panaché, il est fort probable que la mutation s’éteindra avec la mort de la plante à la fin de la saison, car on ne peut pas la multiplier de façon asexuée. Si un feuillage panaché paraît sur un arbuste ou une vivace, par contre, une catégorie de plantes où la multiplication asexuée est possible, il pourrait être possible de multiplier la plante mutée par bouturage ou par greffage.
Une mutation dans les cellules germinales (reproductrices), par contre, peut être transmise par croisement. C’est ainsi qu’on a développé tant d’hybrides à fleurs doubles chez les pivoines et les rosiers, par exemple. L’hybrideur découvre une mutation qu’il trouve jolie ou utile et utilise la plante qui la porte pour faire des croisements avec d’autres plantes apparentées et ainsi réussit à améliorer le trait ou à le mettre davantage en valeur.
Le gène «fleur double», par exemple, peut se transmettre par pollinisation croisée chez plusieurs végétaux, comme le rosier (Rosa) et l’ancolie (Aquilegia). Si vous transférez du pollen d’une fleur double (il faut qu’elle ait des étamines fonctionnelles: plusieurs fleurs doubles n’en ont pas) sur une plante à fleur simple, une partie des semis donneront des fleurs doubles ou semi-doubles, sinon dans la première génération, dans la deuxième.
Mais certains gênes de fleurs doubles ne se transmettent pas par pollinisation. Chez la tulipe (Tulipa), par exemple, les fleurs doubles sont toujours stériles, n’ayant ni anthère ni stigmate fonctionnel. L’hybridation ne peut servir pour obtenir d’autres tulipes doubles; il faut attendre l’apparition spontanée d’une plante à fleurs doubles à partir de semis, ou par mutation dans une plantation de tulipes à fleurs simples.
Réversions
Aussi, plusieurs mutations chez les végétaux, même véritables, ne sont pas stables. Elles ont tendance à retourner à leur forme ancestrale. D’ailleurs, on suggère aux hybrideurs de multiplier toute nouvelle plante qu’il désire lancer sur le marché pendant 3 générations (la maman doit donner naissance à un bébé identique qui doit à son tour donner une autre plante identique) pour s’assurer qu’elle est réellement fidèle au type avant de procéder.
Malgré cela, beaucoup de plantes sur le marché produisent à l’occasion des réversions (des retours à la forme ancestrale), du moins à l’occasion. L’érable arlequin (Acer platanoides ‘Drummondii’), par exemple, aux feuilles panachées, c’est-à-dire vertes ourlées de blanc crème, produit presque toujours, éventuellement, une branche à feuillage normal, entièrement vert.
Il faut supprimer ces réversions, sinon elles tendent à dominer la plante, étant souvent plus vigoureuses que les parties mutées, parfois au point où le trait désiré (ici le feuillage panaché) s’efface peu à peu.
D’ailleurs, les plantes à feuillage coloré (bronze, doré, panaché) et les conifères nains sont particulièrement sujets aux réversions.
Peut-on provoquer des mutations?
La plupart des mutations sont spontanées: elles surviennent tout à fait par hasard, mais l’être humain a longtemps essayé de les provoquer. On sait notamment que les dommages causés par les rayons X peuvent provoquer des mutations, généralement nuisibles, mais parfois utiles. Ainsi, maintes plantes ont été bombardées de ces rayons. Certains produits chimiques ont des effets similaires. La colchicine (dérivée du colchique, Colchicum, une jolie plante à bulbe) est connue pour stimuler le dédoublement des chromosomes (la polyploïdie), entre autres. Reste que cela relève plutôt de l’expérimentation scientifique. Le jardinier amateur joue rarement avec de tels outils!
Voilà! Une explication assez simple des mutations chez nos plantes. Gardez l’œil ouvert: vous risquez de trouver une mutation très originale et peut-être de grande valeur parmi les plantes de votre jardin.
Texte adapté d’un article qui est paru dans ce blogue le 18 juin 2015.
Extrêmement instructif et pas paresseux du tout !
Toujours très intéressant. ……il n’y a pas pire (mieux !!?) qu’un ou une paresseuse qui oeuvre à ce qui lui plaît ?
Effectivement, nous nous comprenons!
?
Très intéressant, en effet, j’ai observé quelques mutations dans mon jardin (fleur bicolore ou d’une autre couleur). J’ai remarqué que mes achillées perdent au bout de quelques années leur coloration, la couleur devient graduellement toujours plus pâle. J’ai perdu un peu d’intérêt pour cette plantes qui pourtant peut avoir des couleurs flamboyantes les premières années.
Très intéressant. La fin de votre texte m’a permis de comprendre pourquoi un gros érable mature sur ma rue était à moitié avec des feuilles panachées et à moitié avec des feuilles vertes: c’est un érable arlequin. Je vous avoue que voir un tel phénomène est assez surréaliste…
Oui… très vrai! ?
Est-ce que les échinacées purpurea alba (blanches) peuvent muter en échinacées purpurea (roses)? J’ai retrouvé des purpurea à la place d’ex-alba et je me demandais si ça pouvait être un retour à l’espèce originale.
Oui, cela arrive assez souvent.
J’ai appris beaucoup! Merci pour ce bon article.
?
Après plusieurs tentatives, je ne plante plus jamais d’échinacées de quelques couleurs que ce soit. Elles retournent toujours à la couleur originale rose. J’ai l’impression que les fournisseurs n’attendent pas le 3 ans suggéré avant de les mettre sur le marché. Décevant parce que j’aime beaucoup ce type de vivaces à floraison prolongée. Ce n’est pas faute de leur fournir le bon endroit, le bon sol, le bon ensoleillement, etc. Je n’ai aucun problème avec mes nombreuses autres vivaces.
Effectivement, les fournisseurs sortent les nouveautés tellement rapidement de nos jours que non, elles n’ont pas été vérifiées pour leur fiabilité, même pas pour leur rusticité.
Je viens de comprendre pourquoi mon lierre anglais panaché (ou bigarré) a des feuilles entièrement vertes. Probablement un cas de réversion. Merci Jardinier paresseux de vulgariser si bien le merveilleux monde des végétaux.
Je me doutais bien que c’est ce qui est arrivé à mes hemerocalles. J’en ai acheté plusieurs et elles sont toutes redevenues oranges (variété commune Fulva?). Je suis vraiment déçue. Y a-t-il moyen de renverser la situation et de ravoir les specimens que j’avais choisis avec soin et amour? J’ai de grandes plate-bandes (plus de 20 pieds x 8) remplies de hemerocailles Fulva. Si je déterre celles qui ont muté, je les garde ou je les jette?
Les réversions restent sous la forme ancestrale; elles ne retournent jamais à la forme désirée.
Bonjour
J’ai des Lys, qui étaient de couleur blancs et marbré rouge, depuis 2 ans, cette année ils ont donné des fleurs jaunes, et l’un des plants, blanc. Est-ce qu’ils ont des chances de retrouver leur couleur passée? Merci
Probablement pas. C’était peut-être des cultivars peu stables.