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Quand les vers de terre envahissent les forĂȘts nord-amĂ©ricaines

Les vers de terre sont un dĂ©sastre pour la forĂȘt nord-amĂ©ricaine! ll.: static1.squarespace.com & pixers.uk

Les jardiniers nord-amĂ©ricains sont si enthousiastes au sujet des vers de terre qu’il paraĂźt un peu mĂ©chant de dĂ©truire leurs illusions, mais il faut souligner que les vers de terre n’ont pas que de bonnes qualitĂ©s.

Oui, on les sait bĂ©nĂ©fiques aux jardins, car ils aĂšrent le sol en creusant des tunnels, dĂ©vorent la matiĂšre organique en la transformant en dĂ©jections riches en minĂ©raux, favorisent le dĂ©veloppement des racines et stimulent la germination des graines de plusieurs plantes hĂ©liophiles. Mais un jardin est un milieu Ă©minemment artificiel. Dans la nature, le rĂŽle des vers de terre peut ĂȘtre trĂšs diffĂ©rent.

Carte d'Amérique du Nord montrant les limites de la derniÚre glaciation.
Les derniĂšres glaciations ont Ă©liminĂ© toutes les espĂšces de vers du nord de l’AmĂ©rique du Nord. Ill.: Dr. Ron Blakey, Paleogeography and Geologic History of North America

La triste rĂ©alitĂ© est que les vers de terre typiques des jardins nord-amĂ©ricains, comme le lombric commun (Lombricus terrestris), l’espĂšce la plus connue, sont tous des espĂšces importĂ©es et qu’ils font beaucoup de dĂ©gĂąts aux milieux naturels de l’AmĂ©rique du Nord. En effet, avant l’arrivĂ©e des EuropĂ©ens, il n’y avait presque pas de vers de terre au-delĂ  du 45e parallĂšle nord en AmĂ©rique du Nord, les espĂšces qui y vivaient autrefois ayant Ă©tĂ© Ă©liminĂ©es par les glaciations. Et les espĂšces du sud du continent qui avaient migrĂ© timidement vers le nord Ă©taient moins «voraces» que les vers de terre europĂ©ens. Aujourd’hui, on calcule que des 182 espĂšces de lombrics prĂ©sents au Canada et aux États-Unis, 60% viennent de l’Europe ou mĂȘme de l’Asie. Toutes celles de l’est et le centre du Canada, notamment, sont des espĂšces envahissantes.

Deux photos, une montrant une forĂȘt couvrerte de vĂ©gĂ©tation (avant les vers de terre) et l'autre, presque vide (aprĂšs les vers de terre).
ForĂȘt avant l’invasion des vers de terre (Ă  gauche) et aprĂšs (Ă  droite). Scott Loss, nrdc.org

La forĂȘt nord-amĂ©ricaine a Ă©voluĂ© avec une couche spĂ©cialement Ă©paisse de litiĂšre forestiĂšre (couche de feuilles et d’autres dĂ©tritus vĂ©gĂ©taux en dĂ©composition) et les espĂšces qui y poussent s’y sont acclimatĂ©e. Quand les vers de terre europĂ©ens s’établissent dans une zone forestiĂšre, cependant, ils rĂ©duisent trĂšs rapidement l’épaisseur de la litiĂšre forestiĂšre. En redistribuant les nutriments, mĂ©langeant les couches de sol et aĂ©rant le sol avec leurs tunnels, ils changent complĂštement les caractĂ©ristiques du sol. Et en transportant une bonne partie des minĂ©raux profondĂ©ment dans le sol (jusqu’à 2 m), les plantes de petite taille et les jeunes arbres ont du mal Ă  les atteindre. 

Aussi, les changements provoquĂ©s ont un impact non seulement sur les plantes, mais sur la faune microbienne, fongique et mycorhizienne nĂ©cessaire au bon dĂ©veloppement de plusieurs vĂ©gĂ©taux. 

Aussi, le sol devient plus poreux et sec, sensible Ă  l’érosion et les racines des arbres se trouvent exposĂ©es et fragilisĂ©es.

Illustration comparant une forĂȘt avant et aprĂšs les vers de terre.
Certains des effets des vers de terre sur la forĂȘt nord-amĂ©ricaine. Ill.: Wisconsin DNR

On estime que, dans une forĂȘt nord-amĂ©ricaine intacte, donc sans vers de terre, il faut 5 ans ou plus pour qu’une feuille d’érable disparaisse complĂštement; dans une forĂȘt avec vers de terre, moins de 2 ans. On a remarquĂ© que, dans les secteurs affectĂ©s, plusieurs espĂšces ne semblent plus pouvoir se rĂ©gĂ©nĂ©rer comme auparavant: trilles, fougĂšres, if du Canada et mĂȘme le joyau de la forĂȘt quĂ©bĂ©coise, l’érable Ă  sucre (Acer saccharum). À la place, un Ă©rable introduit d’Europe et qui avait donc Ă©voluĂ© en prĂ©sence des lombrics, l’érable de NorvĂšge (A. platanoides), semble en train de se tailler la place du maĂźtre dans la «nouvelle forĂȘt nord-amĂ©ricaine» au dĂ©triment de notre arbre indigĂšne. 

L’effet sur les animaux de la forĂȘt est aussi souvent dĂ©sastreux. On a constatĂ©, par exemple, une baisse de l’abondance de certains insectes et mammifĂšres vivant dans le sous-bois ainsi que les oiseaux qui nichent sur le sol. La population de plusieurs espĂšces de salamandres est en chute libre Ă  la suite de l’invasion de vers de terre exotiques, car leur nourriture (insectes et autres petits invertĂ©brĂ©s) vit surtout dans une litiĂšre Ă©paisse.

En outre, les vers de terre europĂ©ens mangent les racines des arbres — jusqu’à un quart des radicelles de chaque arbre par an! — et contribuent aussi Ă  briser la relation mycorhizienne qui doit normalement se crĂ©er, soit avec des champignons bĂ©nĂ©fiques, autant de stress supplĂ©mentaires pour les arbres de la forĂȘt.

Que faire?

Pot de vers de pĂȘche.
Ne libĂ©rez pas de vers de terre dans la forĂȘt! Photo: tnfishing.overblog.com

Heureusement pour notre environnement, on remarque que les vers de terre ne semblent pas pĂ©nĂ©trer trĂšs loin dans la forĂȘt Ă  moins qu’on les distribue manuellement, car ils prĂ©fĂšrent les prairies artificielles que sont nos champs de culture et nos arriĂšre-cours. Ainsi, souvent le pourtour de la forĂȘt est affectĂ©, mais pas son centre. Par contre, si vous ĂȘtes un jardinier respectueux de l’environnement, mieux vaut ne pas introduire exprĂšs des vers de terre dans un milieu boisĂ©. Et pĂȘcheurs, pour l’amour, ne libĂ©rez pas vos surplus de vers de terre dans une forĂȘt naturelle!

Une fois que les vers de terre ont infestĂ© un secteur, il n’y a aucun moyen de les Ă©liminer. Si vous avez un peu de forĂȘt naturelle dans votre cour, vous pouvez toutefois aider Ă  Ă©paissir la litiĂšre forestiĂšre en prenant l’habitude de ramasser les feuilles tombĂ©es ailleurs (sur l’entrĂ©e, le gazon, etc.) et de les dĂ©poser dans le secteur boisĂ©. C’est un geste d’apparence anodin, mais qui peut faire toute une diffĂ©rence Ă  une forĂȘt sĂ©vĂšrement mal menĂ©e.

Le nouveau ver envahisseur: le ver sauteur

Si cet article fait rĂ©flĂ©chir, sachez qu’un nouveau type de ver envahissant, encore plus dommageable, menace maintenant nos forĂȘts: le ver sauteur asiatique. Voici un article Ă  son sujet: Les vers sauteurs: la prochaine catastrophe Ă©cologique?

Texte adaptĂ© d’un article originalement publiĂ© dans ce blogue le 24 fĂ©vrier 2016

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commentaire sur "Quand les vers de terre envahissent les forĂȘts nord-amĂ©ricaines"

  1. grainesdeverdure dit :

    Il y a un petit dĂ©tail sur le schĂ©ma qui m’a surprise mais aprĂšs coup je pense comprendre : sur la droite qui reprĂ©sente la forĂȘt infestĂ©e, il est indiquĂ© “sol compactĂ©”, j’imagine que c’est Ă  cause de la couche normalement Ă©paisse et spongieuse de feuilles qui se voit devenue fine?
    C’est vrai que dans nos jardin on nous prĂ©sente le vers de terre comme Ă©tant le reprĂ©sentant de l’aĂ©ration du sol donc ça paraĂźt a premiĂšre vue surprenant car Ă©tant Ă  l’opposĂ© de ce qui se passe dans les forĂȘts…
    D’ailleurs, pĂȘchant occasionnellement, et ayant des bois entourant les Ă©tangs, c’est bon Ă  savoir, ou ne serait-ce que pour ne pas accĂ©lĂ©rer l’Ă©rosion des berges!

  2. francoisemenard dit :

    Merci beaucoup pour cet article. 

    EnvoyĂ© Ă  partir de Yahoo Courriel sur Android Le lun., janv. 4 2021 Ă  5:30, Jardinier paresseux a Ă©crit : #yiv4885813857 a:hover {color:red;}#yiv4885813857 a {text-decoration:underline;color:#0088cc;}#yiv4885813857 a.yiv4885813857primaryactionlink:link, #yiv4885813857 a.yiv4885813857primaryactionlink:visited {background-color:#2585B2;color:#fff;}#yiv4885813857 a.yiv4885813857primaryactionlink:hover, #yiv4885813857 a.yiv4885813857primaryactionlink:active {background-color:#11729E !important;color:#fff !important;}#yiv4885813857 WordPress.com | Jardinier paresseux posted: “Les vers de terre sont un dĂ©sastre pour la forĂȘt nord-amĂ©ricaine! ll.: static1.squarespace.com & pixers.ukLes jardiniers nord-amĂ©ricains sont si enthousiastes au sujet des vers de terre qu’il paraĂźt un peu mĂ©chant de dĂ©truire leurs illusions, mai” | |

  3. Olivier Deshaies dit :

    Merci M. Hodgson de partager ces connaissances et ces rĂ©flexions, qui commencent Ă  se frayer un chemin dans le domaine de la biologie/Ă©cologie (mon domaine de travail) mais qui tardent Ă  faire son chemin dans d’autres domaines (dont l’horticulture). Et on peut le comprendre, car comme vous dites, en conditions non forestiĂšres, les vers de terre peuvent “faire un bon travail”. À titre personnel, j’ai cru remarquĂ© dans les forĂȘts du sud du QuĂ©bec grandement envahies par le ver de terre (notamment les forĂȘts post-agricoles ou celles qui sont situĂ©es dans une matrice agricole), que certaines essences dont les semences contiennent de grandes rĂ©serves nutritives (chĂȘnes, caryers, noyers) ne semblent pas subir les effets nĂ©fastes que subissent, par exemple, l’Ă©rable Ă  sucre. Je n’ai pas lu d’article scientifique Ă  cet Ă©gard mais mon hypothĂšse est que les grosses semences des arbres Ă  noix leur permettent de tolĂ©rer l’absence de litiĂšre et l’absence des conditions “adoucissantes” (humiditĂ©, tempĂ©rature etc.) qu’on peut normalement y retrouver. Ainsi, la prĂ©sence des vers de terre pourrait, Ă  terme, contribuer Ă  la transformation de nos forĂȘts dominĂ©es par l’Ă©rable Ă  sucre par des forĂȘts oĂč les arbres Ă  noix occupent une plus grande place (tel qu’on observe de façon graduelle Ă  mesure qu’on s’Ă©loigne vers le sud des Ă©tats-Unis. Si les cerfs de Virginie ne broutent pas tout ce qui germe, bien sĂ»r ! 😛

    • Une observation forte intĂ©ressante. Je serais curieux de savoir si cela peut ĂȘtre confirmĂ©!?

      • Olivier Deshaies dit :

        Et bien, il semble que mon hypothÚse soit partiellement validée par des études scientifiques!
        https://www.utoronto.ca/news/invasive-earthworms-are-eating-away-forest-diversity-u-t-study
        https://tspace.library.utoronto.ca/bitstream/1807/69574/3/Cassin_Colin_201506_MSc_thesis.pdf

        Dans ces documents, on apprend notamment que lors d’Ă©tudes sur le terrain, les vers de terre exotiques ont Ă©tĂ© d’importants prĂ©dateurs des graines, particuliĂšrement les plus petites (ex : bouleaux), mais aussi de celles de taille moyenne (Ă©rable Ă  sucre, cerisier tardif). Par contre, ils ne touchaient pas (logiquement) aux grosses semences (chĂȘnes, caryers). Les vers agiraient de façon sĂ©lective. Par exemple, la graine de pin blanc Ă©tait trĂšs peu prĂ©datĂ©e et si elle Ă©tait parfois transportĂ©e sous terre, c’Ă©tait Ă  une faible profondeur, ce qui lui permettait parfois de germer, contrairement aux bouleaux et aux Ă©rables, qui ne germaient pas en profondeur. Par ailleurs, les mammifĂšres granivores ont Ă©tĂ© confirmĂ©s comme d’importants prĂ©dateurs de graines; leur focus est cependant sur les graines de taille plus importante et, contrairement aux vers de terre, il est reconnu qu’une partie des graines qu’ils cachent dans des rĂ©serves sous terre finissent par germer et propager les espĂšces vĂ©gĂ©tales concernĂ©es. Pour l’instant, il n’y a pas d’amĂ©lioration de germination/propagation par les vers de terre qui serait confirmĂ©e pour des espĂšces vĂ©gĂ©tales indigĂšnes…

      • Fort intĂ©ressant! Merci pour cette recherche! ?

  4. Fascinante analyse et il me paraĂźt trĂšs logique. Mais est-ce que l’absence de litiĂšre laisse les grosses noix plus Ă  vue et donc exposĂ©es aux prĂ©dateurs? Peut-ĂȘtre un facteur secondaire. Il serait intĂ©ressant de savoir si quelqu’un a Ă©tudiĂ© la situation.

    Merci! ?

    • Olivier Deshaies dit :

      L’effet collatĂ©ral que vous mentionnez est trĂšs intĂ©ressant et possible! La question de la litiĂšre forestiĂšre m’intĂ©resse beaucoup; si je trouve de l’information Ă  cet Ă©gard je vous en ferai part.

  5. lebletantoine dit :

    Ça occulte malheureusement les espĂšces indigĂšnes du QuĂ©bec et il aurait Ă©tĂ© intĂ©ressant d’au moins mentionner les autres facteurs de diminution de la forĂȘt primaire au QuĂ©bec et plus gĂ©nĂ©ralement en AmĂ©rique du nord.

    On pourrait aussi questionner le rĂŽle de ces vers de terre dans la forĂȘt de demain, changĂ©e par le rĂ©chauffement climatique et l’industrialisation de la foresterie depuis plusieurs gĂ©nĂ©ration.

    Je trouve ici l’analyse un peu simpliste malheureusement et dangereuse sur le fond pour les nĂ©ophytes en biologie/Ă©cologie. Car tous les vers de terre ne sont pas mauvais, et la cause de la disparition de la forĂȘt nordique est affectĂ© minoritairement par ce facteur. Ça demanderait soit d’Ă©toffer sous forme de dossier sur l’avenir de notre forĂȘt borĂ©ale, soit de spĂ©cifier plusieurs faits importants.

    Enfin, pourquoi ne pas questionner le simple fait de faire de l’agriculture sur les terres de l’ancien inlandsis nord amĂ©ricain ? Les peules qui vivaient dans ces rĂ©gions nordiques Ă©taient trĂšs nomades et vivaient de la chasse, de la pĂȘche et de la cueillette. Dans des cas moins documentĂ©s et plus probablement rare, de cultures, notamment dans les zones densĂ©ment peuplĂ©es (comme MontrĂ©al) et d’espĂšces amĂ©ricaines adaptĂ©es au climat et au sol.
    Ainsi, L’arrivĂ©e de colons europĂ©ens voulant cultiver la terre a apportĂ© son lot d’incohĂ©rences dont les vers de terre. La question qui peut se poser ensuite est toute naturelle : comment cultiver dans nos rĂ©gions nordiques sans vers de terre ?

    On peut aussi mettre en parallĂšle cette question Ă  la rĂ©alitĂ© nord europĂ©enne, lĂ  aussi il y a eu un glacier continental et lĂ  aussi, l’humain Ă  changĂ© sa terre et sa biodiversitĂ©.

    • Merci de vos commentaires que j’espĂšre les gens liront avec intĂ©rĂȘt, mais sachez que mon rĂŽle n’est pas d’Ă©crire un livre par jour, mais un simple article de blogue. Si l’article stimule une certaine rĂ©flexion, c’est dĂ©jĂ  bien de mon point de vue. Notez en passant qu’aucun ver de terre n’est indigĂšne au QuĂ©bec.

      • lebletantoine dit :

        Vous avez raison ! Ou s’il y en a, on ne le sait pas encore. Malheureusement, nous manquons de recherches poussĂ©es dans ce domaine. J’aurais plutĂŽt dĂ» parler d’espĂšces d’AmĂ©rique du Nord Est. Merci !

  6. Polatouche dit :

    Est-ce dangereux d’y amener des vers de terre de mon jardin si je veux retransplanter des plantes indigĂšnes (Matteuccie fougĂšre-Ă -l’autruche , gingembre sauvage)de mon jardin Ă  une forĂȘt privĂ©e? Si je nettoie les racines Ă  l’eau avant de les amener, est-ce suffisant pour Ă©liminer les vers? Merci

  7. […] le rĂ©cent blogue Quand les vers de terre envahissent les forĂȘts nord-amĂ©ricaines, j’ai Ă©crit au sujet du problĂšme des vers de terre europĂ©ens qui envahissent l’AmĂ©rique du […]

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