L’ipomée cannibale
Ill.: creazilla.com, pikping & pngitem.com, montage: jardinierparesseux.com
Les cuscutes (Cuscuta spp.) sont parmi les plantes parasites les plus fascinantes. Elles forment des tiges filandreuses et volubiles, apparemment sans feuilles (bien qu’elles aient en fait de minuscules feuilles bien espacées sous forme d’écailles), qui s’enroulent autour des tiges de leur plante hôte et volent leurs nutriments. La plupart n’ont plus aucune trace de chlorophylle verte (ou la perdent peu de temps après la germination) et se présentent donc dans des couleurs voyantes comme le jaune, l’orange, le rouge ou le rose. Elles ressemblent à une attaque massive de spaghettis fins!
Avec leurs couleurs presque fluo et l’absence de feuilles visibles, bien des jardiniers prennent les cuscutes pour des champignons, mais ce n’est pas du tout le cas. Elles font partie des Convolvulacées et sont de ce fait essentiellement une sorte d’ipomée (gloire du matin ou belle-de-jour) qui a pris un tournant évolutif surprenant. Non contente de s’enrouler autour de sa plante hôte avec des tiges volubiles afin d’atteindre le soleil – la caractéristique la plus évidente d’une ipomée – la cuscute a commencé à produire de courtes racines aériennes, appelées haustoriums, qui pénètrent les tissus de l’hôte, volant ses glucides, son eau et ses minéraux. La cuscute s’attaque même à ses propres sœurs: les ipomées (Ipomoea spp.)! Oui, elle est essentiellement une cannibale!
On trouve différentes cuscutes presque partout au monde: des climats tempérés – où elles poussent comme des annuelles et ont tendance à être de taille relativement modeste (rarement plus de 1 m de haut) – aux régions subtropicales et tropicales – où elles sont pérennes et poussent parfois avec assez de vigueur pour couvrir des arbres entiers. Il en existe quelque 200 espèces.
De la graine à la floraison
Les capsules de graines de cuscute produisent généralement de nombreuses graines minuscules à enveloppe très dure qui tombent au sol à l’automne. Capables de survivre pendant 20 ans ou plus, les semences germent mieux à la surface du sol ou à peine couvertes de terre. Les espèces de climats tempérés commencent à germer au printemps lorsque les températures dépassent 10 °C.
Même le semis est essentiellement sans feuilles: ses cotylédons n’étant que rudimentaires, donc ses pousses ressemblent déjà à un spaghetti végétal dès leur germination. Et la jeune cuscute est pressée. Elle n’a que 5 à 10 jours pour se fixer à une plante hôte et commencer son parasitisme, faute de quoi elle meurt. Ainsi, elles poussent à une vitesse fulgurante: pour une plante, du moins! En effet, elle peut croître de jusqu’à 7,5 cm par jour, voire 15 cm pour certaines espèces tropicales.
La cuscute ne laisse pas cela au hasard: elle recherche activement un hôte. Premièrement, la tige volubile tourne dans le sens inverse des aiguilles d’une montre comme un lasso de cowboy, complétant un cercle environ une fois par heure, s’allongeant au fur et à mesure, jusqu’à ce qu’elle touche à une tige, puis elle commence à s’enrouler autour d’elle. On vient récemment de découvrir qu’elle peut également sentir des composants chimiques volatils émis par les plantes environnantes. Elle pousse alors dans la direction de la plante qui lui est la plus attrayante, s’éloignant des plantes moins compatibles. Si la tige entre en contact avec une tige morte ou une plante hôte inadéquate (elles ont tendance à préférer les plantes à fleurs aux gymnospermes et les plantes à tige molle à celles à tige coriace), elle abandonnera rapidement cet hôte et passera à une autre.
Une fois que la cuscute a atteint son hôte, sa tige volubile l’enroule de façon serrée et produit rapidement les haustoriums susmentionnés (racines aériennes modifiées). Ils percent la tige comme les crocs d’un vampire et s’y fixent solidement. En moins de 24 heures, ils commencent à boire la sève de la plante.
Peu après, sa racine, plutôt faible de toute façon, s’assèche et la plante lâche tout contact avec la terre pour devenir entièrement épiphyte. Ensuite, les tiges se multiplient et s’étendent. La cuscute s’allonge généralement de plante en plante au fur et à mesure de sa croissance, formant les masses filandreuses mentionnées.
En été ou au début de l’automne, selon l’espèce, des grappes de petites fleurs campanulées blanches, roses ou jaunes se forment, suivies des capsules de la taille d’un petit pois qui produisent de grandes quantités de graines (chaque plante est capable d’en produire plusieurs milliers par année) qui assureront les futures générations de cuscutes. Les graines collent facilement aux vêtements et aux outils ainsi qu’aux plumes des oiseaux et aux poils des animaux et sont donc facilement transportées vers de nouveaux sites. Les graines d’espèces courantes dans les milieux marécageux peuvent également être transportées par voie d’eau.
Puis, dans les zones tempérées, la plante mère meurt, sa besogne alors terminée.
Une plante mal aimée
Comme vous pouvez l’imaginer, la cuscute n’est pas un grand ami du fermier ni du jardinier, car elle endommage son hôte et peut sérieusement réduire la récolte. Cela a conduit à toutes sortes de noms communs avec des connotations négatives, comme «cheveux du diable» ou «griffes du diable».
En plus de voler des minéraux, des glucides et de l’eau, la cuscute peut également transmettre des virus, des bactéries et d’autres maladies d’une plante à une autre.
Dans les champs agricoles, la cuscute s’est révélée très sensible aux herbicides, à la fois pré-émergents et non sélectifs, et disparaît après quelques années de traitement. Ainsi, les cuscutes deviennent de plus en plus rares dans certaines régions. Par contre, c’est encore une mauvaise herbe très nuisible dans d’autres.
Dans le jardin familial, il est préférable d’éliminer la cuscute en arrachant ses semis dès que vous les voyez. Une fois qu’ils se sont fixés à leur plante hôte, par contre, ils peuvent être difficiles à éradiquer, car ils peuvent repousser à partir de tout haustorium laissé sur la plante. Ainsi il est souvent nécessaire de rabattre sévèrement la plante hôte afin de contrôler la cuscute.
Notez que la solarisation du sol s’est avérée inefficace contre la cuscute. Cependant, si l’on remplace ses plantes hôtes par des espèces qu’elle ne peut pas parasiter (les graminées, par exemple) pendant 4 ou 5 ans, souvent on peut faire table rase.
Ne mettez pas des cuscutes arrachées dans le composteur, du moins pas lorsque la formation des graines a commencé. Mettez-les plutôt à la poubelle dans un sac en plastique scellé.
Plantes sensibles à la cuscute annuelle
Les cuscutes sont habituellement des généralistes et s’attaquent à une vaste gamme de plantes. Les végétaux suivants se sont avérés particulièrement sensibles aux cuscutes courantes dans les climats tempérés. La liste serait beaucoup plus longue dans les zones tropicales où les arbustes et les arbres sont également touchés. Et pour rendre justice au diable, c’est vrai que la cuscute attaque et aide également à supprimer certaines espèces considérées comme de mauvaises herbes, comme l’ortie et l’herbe aux poux.
Légumes et fines herbes
Ail
Asperge
Aubergine
Betterave
Carotte
Fenouil
Marjolaine
Melon
Menthe
Oignon
Patate douce
Pois
Poivron/piment
Pomme de terre
Sarriette d’été
Tomate*
Cultures agricoles
Betterave à sucre
Haricot mungo
Lentille
Lespédéza
Lin
Luzerne
Pois chiche
Sésame
Soja
Trèfle
Plantes ornementales
Aster
Chrysanthème
Coléus
Dahlia
Fougères
Haricot lablab
Hélénie
Impatiens
Ipomée
Lierre commun
Mimule
Pervenche
Pétunia
Quenouille
Trompette de Virginie
Verge d’or
* Certaines variétés de tomates résistent à la cuscute.
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La cuscute: elle n’est peut-être qu’une mauvaise herbe, mais au moins elle est une mauvaise herbe fascinante
Je n’ai jamais vu cette plante de toute ma vie et, pourtant, j’en ai arraché beaucoup, des mauvaises herbes! Est-elle très répandue au Québec et, si oui, dans quelles régions?
Oui, elle est assez généralisée au Québec (dans la moitié sud, du moins, mais en diminution sur son territoire. Je n’en ai jamais vu dans mes propres plantations n’ont plus, mais dans la nature, oui.
bonjour le paresseux,
jamais vu non plus, je touche du bois !
bonnes fêtes
Willy
?
J’en ai vu à certains endroits sur le bord du fleuve. Comme une masse de fils sur les autres plantes…
Plutôt jolie, quand on ne connaît pas ses habitudes de cannibalisme… 🙂
?
La nature est vraiment fascinante!
?
Allô, merci beaucoup pour l’info. Je viens de les découvrir dans mes hydrangées à St-Georges en Beauce et c’était la première fois que j’en voyais. J’avoue être un peu découragée… Je pense bien que je devrais tailler tout de suite mes hydrangées pour éviter qu’elle n’arrive à faire des graines? En les arrachant, des petits bouts de filament se cassent et tombent par terre… Pourrait-elle se multiplier de cette façon ou s’il lui faut absolument une graine?
Elles peuvent aussi se propager de façon végétative par ces petits bouts. Vous faites bien de tailler vos hydrangées. Essayez d’enlever tous les fragments que vous pouvez et gardez cette zone à l’oeil.
Désolée, je viens de voir que M. Hodgson est décédé. Toutes mes sympathies ses proches.