La culture des agrumes en tranchée? Bizarre, mais possible!
La culture des agrumes en tranchée a déjà été populaire en Russie. Photo: lowtechmagazine.com
Si les humains étaient logiques, ils cultiveraient les agrumes (Citrus spp., y compris les orangers, les citronniers et les mandariniers) en plein air dans un climat approprié, soit dans une région tropicale ou subtropicale profitant d’hivers plutôt frais, mais sans gel (la plupart des espèces préférent des températures plus fraîches l’hiver).
Mais ce n’est pas dans nos gènes d’accepter les contraintes de dame Nature: nous essayons toujours de repousser ses limites. Ainsi, vous pouvez voir des agrumes cultivés sur une vaste échelle dans le nord de la Floride et en Espagne dans des zones subtropicales où il y a quand même un risque de gel… ce qui mène à une panique généralisée et un battage médiatique mondial quand les vastes fermes qu’on y trouve sont touchées par le froid. Aussi, plusieurs personnes en cultivent même dans leur maison et récoltent… quelques fruits de temps en temps. Mais le cas le plus extrême dont j’ai entendu parler est la culture d’agrumes dans des tranchées en climat froid, longtemps une spécialité russe.
Ce n’est pas une technique pour les jardiniers paresseux! La culture en tranchée nécessite beaucoup d’efforts et d’expérimentation et il faut vraiment être passionnée des agrumes pour y parvenir. Mais dans un article du Low-Tech Magazine (Fruit Trenches: Cultivating Subtropical Plants in Freezing Temperatures), le journaliste Kris De Decker explique comment les Russes, cherchant un approvisionnement local fiable d’agrumes dans la première moitié du XXe siècle, ont repoussé les limites des endroits où la culture d’agrumes était possible au point de réussir à les cultiver dans des régions aux hivers vraiment froids, où les températures pouvaient chuter à -30 °C et où le sol pouvait geler à une profondeur de 50 cm.
Il faut dire que cette culture n’a jamais été commercialement viable, mais la rentabilité n’était pas un problème dans la Russie communiste. Le pays, qui ne cultivait essentiellement pas d’agrumes auparavant, voulait devenir autosuffisant dans leur production, coûte que coûte. Entre 1925 et 1950, la production est passée de presque rien à 30?000 hectares, ce qui donnait 200?000 tonnes de fruits par année, assez pour atteindre l’autosuffisance. Le gros de la production était des mandarines, car le mandarinier (Citrus reticulate) est plus rustique que les autres agrumes, mais il y avait aussi des oranges et des citrons.
Diverses techniques ont été utilisées pour cultiver des agrumes au-delà de leur zone normale, y compris le choix et le développement de clones extrarésistants au froid, l’utilisation d’arbres nains et semi-nains taillés pour courir sur le sol afin de profiter de la chaleur de fond, la plantation sur des pentes exposées au sud et le paillage. Mais ces efforts n’apportaient des résultats probants que dans les régions où les températures n’étaient jamais inférieures à -15 °C. Pour cultiver des agrumes dans les régions encore plus froides, il a fallu creuser des tranchées.
Une technique (partiellement) inspirée de Versailles
Que les agrumes puissent survivre et prospérer dans les climats tempérés tant qu’ils sont à l’abri du gel était déjà connu depuis plus de deux siècles. À Versailles, notamment, les agrumes sont cultivés dans un édifice spécial appelé orangerie, et ce, depuis 1686. D’ailleurs, des structures similaires étaient courantes dans les grands domaines à travers l’Europe du 17e au 19e siècle jusqu’à l’introduction des serres modernes dans les années 1840. Il y avait même des orangeries en Russie, notamment au domaine de Kuskovo à Moscou.
Les gens confondent souvent l’orangerie avec une serre, mais l’orangerie n’est pas couverte de vitre comme une véritable serre. En général, c’est plutôt un bâtiment robuste avec un toit opaque et des murs épais sur trois côtés qui ne laissent entrer aucune lumière. Un côté, généralement orienté au sud, a d’énormes portes munies de panneaux de vitre afin que les agrumes, cultivés dans de grands pots, appelés bacs d’orangerie, puissent être transportés à l’intérieur pour l’hiver et remis à l’extérieur pour l’été.
Traditionnellement chauffées par un poêle à charbon qui rejetait beaucoup de fumée noire, les plantes passaient alors l’hiver en bonne partie couvertes de suie et reçurent donc relativement peu de lumière. Et les températures étaient maintenues à peine au-dessus de zéro. Cependant, une des caractéristiques des agrumes est leur capacité de tolérer 3 à 4 mois annuellement de quasi-obscurité et de températures proches de zéro, un trait que les plantes réellement tropicales ne partagent pas.
C’était suffisant pour les maintenir en vie et même assurer une bonne production. Et aussi pour faire plaisir aux propriétaires du château, qui pouvaient mettre des fruits exotiques sur leur table afin d’impressionner les invités.
La culture en tranchée
Évoluant lentement jusqu’aux années 1950, la culture en tranchée a fini par repousser les limites de la culture des agrumes jusqu’à dans des régions aux hivers vraiment froids et enneigés.
La profondeur des tranchées variait selon la profondeur habituelle du gel dans la région et allait de 80 cm à 2 m. Elles étaient orientées d’est en ouest pour un ensoleillement optimal pendant l’hiver et légèrement inclinées pour capter plus de lumière. De toute évidence, une attention particulière était également nécessaire pour permettre un bon drainage. La tranchée comptait uniquement sur la chaleur du fond et les rayons du soleil pour éviter le gel
On plantait directement dans le sol au fond de la tranchée des agrumes nains ou taillés pour maintenir un port rampant. La vitre coûtant cher, elle était utilisée avec parcimonie, seulement quelques panneaux ici et là pour fournir de la lumière et même alors, étaient recouverts de nattes de paille lors des périodes froides. Sur le reste de leur longueur, les tranchées étaient plutôt recouvertes de planches de bois épaisses, puis de nattes de paille pour assurer une isolation supplémentaire. Le recouvrement était surélevé ou enlevé les jours où les températures étaient au-dessus de zéro et remis en place la nuit.
Le libre-échange et l’accès facile à des agrumes bon marché venant d’autres pays qui en est résulté ont pratiquement anéanti les différentes pratiques agricoles marginales de la Russie soviétique qui nécessitaient une importante main-d’oeuvre sous-payée, dont la culture à grande échelle d’agrumes en tranchée. Mais certains Russes cultivent encore aujourd’hui leurs propres agrumes de cette façon dans leur datcha.
Si vous expérimentez cette culture, n’hésitez pas à me présenter vos expériences, mais, personnellement, je n’ai pas l’intention de creuser des tranchées partout sur mon terrain pour la culture des agrumes. Je laisserai cela à des jardiniers autrement plus travaillants!
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