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L’odeur d’un jardin

L’entrée du Jardin botanique Roger-Van den Hende

Il y a quelques jours, j’ai visité mon jardin botanique local, le Jardin botanique Roger-Van den Hende, à Québec, pour la première fois depuis le début de la pandémie COVID-19. Il avait été fermé tout le printemps et l’été, et ne s’est ouvert que le 17 septembre. C’est un jardin que je visite normalement une douzaine de fois par été, un endroit où je vais pour faire de belles découvertes horticoles et pour me détendre et oublier toutes mes frustrations. Donc, comme vous pouvez l’imaginer, j’avais hâte de le revoir.

Panneau montrant les restrictions COVID-19
Le panneau indique, entre autres, que le port du masque est obligatoire.

Le panneau à l’entrée du jardin affichait les restrictions habituelles du COVID-19 — éloignement social, lavage des mains, etc. — et, surtout, soulignait qu’un masque devait être porté à tout moment. Alors, j’ai mis mon masque (j’en garde maintenant un dans ma poche à tout moment) et je suis parti faire une sorte de grand tour du jardin.

De toute évidence, certaines choses n’avaient pas été faites comme d’habitude. En particulier, les annuelles, qui composent habituellement une grande partie des jardins de l’entrée et aussi qui remplissent les plates-bandes d’essai, n’avaient jamais été plantées. Le potager aussi était essentiellement vide. Et le cœur du jardin est l’Herbacetum, un jardin systématique où les plantes herbacées sont regroupées par famille botanique et les annuelles y faisaient également défaut, à l’exception de celles qui s’étaient ressemées spontanément.

Papillon en mosaïculture sans végétation
Le papillon en mosaïque n’avait pas son manteau d’annuelles colorées habituelles.

Il y a également une mosaïculture, un papillon géant, dont les ailes, habituellement couvertes d’annuelles à feuillage coloré, étaient vides, sauf pour 2 jeunes bouleaux qui y avaient germé.

Cela dit, les vivaces, les arbres et les arbustes étaient là, il y avait des grimpantes partout sur la longue pergola, la roseraie fleurissait modestement avec les dernières fleurs de la saison, le petit ruisseau du jardin d’eau coulait et était entouré de fleurs d’automne: il y avait beaucoup de choses à découvrir et à redécouvrir.

Il n’y avait pas beaucoup de gens dans le jardin, mais alors, l’annonce de sa réouverture avait été très modeste. Rien encore dans les médias, entre autres. Je n’ai compté que 5 autres personnes au total, dont un couple avec qui je me suis arrêté pour parler. Je ne connaissais pas leurs noms, mais je les avais déjà vus auparavant… probablement dans ce même jardin.

En tout cas, dans les jardins, on parle volontiers aux étrangers. Il existe une sorte de camaraderie entre les amoureux des jardins qui leur permet de converser librement dans ce milieu, même avec des personnes qu’ils n’ont jamais rencontrées auparavant.

Le couple trouvait que le jardin avait l’air passablement négligé, alors que j’étais plutôt du point de vue contraire. Sachant que le Jardin n’avait pas pu engager cet été l’équipe d’étudiants qui habituellement fait son entretien et que seulement une poignée d’employés permanents avaient eu à entretenir le jardin au complet, je l’ai trouvé dans un état étonnamment bon. Par contre, nous avons tous convenu que c’était merveilleux d’être à nouveau dans le jardin après une si longue absence.

Quelque chose manquait

Pendant que j’errais, me penchant pour vérifier une étiquette ici et là, vagabondant d’un bord à l’autre du jardin en fonction de ce qui attirait mon attention, le genre de chose que vous faites dans un jardin que vous connaissez bien, mais qui est toujours plein de surprises, j’avais cette étrange sensation que quelque chose manquait, mais je ne pouvais pas mettre le doigt dessus. J’avais l’impression de le voir à travers un miroir. Mais même quand je me promenais dans la roseraie, notant les variétés qui avaient survécu à l’hiver (dans ma région aux hivers froids, garder un rosier plus d’un an peut être tout un défi!), je n’ai toujours pas pu identifier la source de mon malaise.

Ce n’est qu’en sortant du jardin d’ombre, vers la fin de ma visite, que j’ai subitement compris.

cerfeuil musqué (Myrrhis odoratus) à l'automne
Je pense qu’il s’agit de cerfeuil musqué (Myrrhis odoratus), mais sans pouvoir le sentir, je ne suis pas certain.

Je regardais une ombellifère jaunissant au feuillage profondément découpé et je me demandais si c’était bien le cerfeuil musqué (Myrrhis odoratus). Comme il n’y avait pas d’étiquette visible et étant donné à quel point deux ombellifères différentes peuvent se ressembler, je n’étais pas sûr, alors je me suis penché pour frôler une feuille et ensuite sentir mes doigts (comme son nom le suggère, le cerfeuil odorant dégage une odeur de réglisse sucrée) pour découvrir que je ne pouvais rien sentir. Le masque m’empêchait de sentir quoi que ce soit!

Hamamélis de Virginie (Hamamelis virginiana) en fleurs.
Hamamélis de Virginie (Hamamelis virginiana).

J’ai levé les yeux et j’ai remarqué aussitôt que je me tenais tout près un grand hamamélis de Virginie (Hamamelis virginiana) en pleine floraison, mélangeant ses fleurs jaunes curieusement froissées avec un feuillage brunissant. Normalement, j’aurais remarqué son parfum sucré intense avant même de le voir, mais pas aujourd’hui. J’ai vérifié autour de moi, puis, ne voyant personne à proximité, j’ai baissé le masque sous mon nez pendant une seconde et j’ai respiré profondément. Oui, là voilà! Le parfum enivrant auquel j’étais habitué!

C’est là que j’ai réalisé que ce qui manquait, et ce, depuis le début de la visite, c’était l’odeur: l’odeur d’un jardin.

L’odeur d’un jardin

Je doute que l’eau de toilette le Jardin sente vraiment le jardin… mais les jardins ont une odeur. Photo: Parfumo

Je n’avais jamais vraiment remarqué que les jardins avaient une odeur. Du moins, pas avant ce jour. Et manifestement, ce n’est pas un parfum fleuri constant, quelque chose sur lequel on pourrait mettre le doigt, mais une très légère odeur qui change avec les saisons et même la météo. Mais ils ont bel et bien une odeur et elle fait partie de leurs attraits.

Sans le masque, j’aurais pu, dès le début de la visite, sentir les feuilles d’automne, la terre humide, la pelouse fraîchement tondue, des pommes pourries et un mélange d’autres odeurs végétales. Au lieu de cela, je sentais pendant la visite «l’eau de masque»: un mélange de textile avec un soupçon de détergent à lessive (je portais un masque réutilisable). Le parfum «eau de masque» est bien réel :  je le remarque chaque fois que je mets mon masque, mais m’y accoutume rapidement et, dans un instant, ne le note plus.

C’est pourquoi toute la visite du jardin avait semblé être une expérience étrangement éthérée, comme si j’étais un fantôme qui ne faisait pas tout à fait partie du monde qui m’entourait. Ou comme si je manquais quelque chose de mineur, même presque insignifiant, mais quand même vital.

Qui savait que j’étais si attaché aux parfums? Mais, apparemment, je le suis. Et peut-être que vous l’êtes aussi.

Honnêtement, je ne comprends pas pourquoi le Jardin insiste pour que les visiteurs portent un masque. Six personnes réparties sur 6 hectares, et ce, en plein air, ce n’était certainement pas une situation de foule où le risque de propagation d’un virus est grand. Mais je comprends que, dans la situation d’une pandémie mondiale, il faut avoir certaines règles et que, en tant que personne adulte et responsable, je dois montrer l’exemple.

Pourtant, j’attends avec impatience le jour où je pourrai visiter le jardin sans masque et en humer librement sa beauté olfactive autant que je me rince l’œil avec sa beauté visuelle.

Je retourne d’ailleurs au jardin aujourd’hui. Et peut-être, juste peut-être, je baisserai mon masque pendant quelques secondes pour prendre une profonde inspiration!

Photos de www.jardinierparesseux.com sauf mention contraire


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Étiquettes + Jardinage COVID-19, Jardin sans odeur, Jardin COVID-19


  1. Comme vous devez le savoir, ce jardin est la propriété de l’Université Laval. Je crois que pour plus d’informations vous pourriez rencontrer les personnes qui font l’entretien Et elles vous expliqueront tout ce qui a été fait pour préparer ce jardin dans le futur. Vous aurez les informations sur la raison des grosses toiles noires sur le jardin etc.. je vous souhaite une belle visite.

  2. Voilà une très belle confession, Jardinier Paresseux! Je note moi aussi avec un certain déplaisir, la persistance du parfum eau de masque à chaque fois que j’en pose un sur mon visager, et ce parfum ne rappelle en aucune façon celui varié et multiple des jardins. Profitez bien de votre deuxième visite en temps de pandémie au Jardin Roger-van-den-Hende! 😉

  3. J’ai aussi cette plante cerfeuil musquée, que j’ai depuis plusieurs années mais j’ignore où je me l’ai procuré je l’a met un peu plus en vedette depuis deux ans, je l’adore, j’ai su qu on pouvait en faire un succédané de sucre, pouvez vous m’en parler d’avantage?

  4. Merci pour cette description très évocatrice de votre visite et des parfums manquants 🙂

  5. Texte magnifique de sensibilité, malgré le confinement des parfums ou est-ce le confinement de nos nez?

  6. Merci pour vos textes que je lis presque religieusement chaque lundi matin et surtout merci d’avoir touché mon âme .

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