La fascinante histoire de la pelouse
Le tapis vert de Versailles, l’une des première pelouses conçues strictement pour l’ornementation. Photo: Remi Jouan, Wikimedia Commons
Conquérante de la banlieue, la pelouse y a fait tranquillement sa place. Voici sa fascinante histoire, des prés communaux du Moyen Âge jusqu’au jardin de Downton Abbey, en passant par les tondeuses bon marché.
Le tapis vert, une mode décortiquée
S’il y a un élément qui domine nos banlieues, c’est bien la pelouse. Ce tapis de verdure s’étend sur de vastes surfaces, dominant le paysage dès qu’on quitte le centre-ville, son béton et son asphalte. Rares sont les maisons qui n’en ont pas… et beaucoup de maisons n’ont comme décoration vivante que la pelouse. Mais d’où vient cette mode si dominante?
Les débuts de la pelouse
Les premières pelouses furent probablement les prés communaux, courants en Europe au Moyen Âge. Les citoyens du village avaient le droit d’y faire paître leurs vaches, moutons, chevaux, etc. Ce broutage constant donna une prairie très courte qu’on appela pelouse, de l’occitan pelosa, issu du latin pilosus pour «poilu», sans doute parce que l’aspect de la surface couverte d’herbe tondue rappelait celui des poils. L’aristocratie adopta le style autour de ses châteaux, toujours maintenu, au début, par le bétail. On disait à l’époque que c’était pour se montrer bon chrétien (un rappel des nombreuses références aux moutons, aux bergers et aux pâturages dans la Bible), mais dans cette période de grandes perturbations, une pelouse dénudée de végétation haute permettait aussi de voir venir l’ennemi de loin.
Jardins à la française et à l’anglaise
Quand André Le Nôtre conçut les jardins de Versailles pour Louis XIV, à la fin du XVIIe siècle, il y inclut un vaste «tapis vert» (aussi appelé «allée royale»), un parterre de végétation tondue au moyen de faux et situé dans la grande perspective du château. Certainement l’une des premières pelouses d’apparat de l’histoire. Le climat frais et humide du centre ouest de l’Europe permettait une telle innovation. Il est difficile d’imaginer la pelouse évoluer sous les climats chauds et arides de la Mésopotamie ou de l’Égypte. De telles pelouses se répandirent partout en Europe, car tous les nobles voulaient imiter le Roi-Soleil.
Mais le règne du jardin à la française, hautement géométrique et aux haies précisément taillées, conçu pour montrer la puissance de l’humain et sa domination totale de la nature, fut de courte durée. Il fut presque balayé de la carte moins d’un siècle plus tard avec l’arrivée du jardin à l’anglaise, largement sous l’influence du paysagiste anglais Capability Brown (1716 à 1744).
Ce style proposait un retour à une allure plus naturelle, une redécouverte de la nature… mais d’une nature améliorée. Brown concevait des paysages bucoliques au parcours sinueux marqués de collines artificielles, de lacs aux formes asymétriques, de ruisseaux en serpentin, de bosquets apparemment naturels, etc. Pour relier tous ces éléments, une pelouse ondulante et verdoyante. L’entretien était encore surtout fait par le bétail, qu’on empêchait d’approcher de la résidence par des ha-ha ou sauts-du-loup, des fossés spécialement conçus pour paraître invisibles de loin. Rappelez-vous l’aménagement du terrain, avec sa pelouse verte à perte de vue et ses grands conifères, de la série télévisée Downton Abbey. Du pur jardin à l’anglaise.
Il faut souligner que la plate-bande à l’anglaise, avec ses mélanges de fleurs, n’est pas la même chose que le jardin à l’anglaise, et est d’ailleurs beaucoup plus moderne, datant du début du XXe siècle.
L’idée du jardin à l’anglaise était de montrer que le propriétaire avait les moyens de consacrer de vastes quantités de terrain de grande valeur à des fins strictement esthétiques. On y tenait des garden-partys et des déjeuners sur l’herbe avec des centaines d’invités. Seulement les plus riches pouvaient se permettre un tel luxe.
Mais avec l’arrivée des premières tondeuses, timidement dans les années 1830, mais surtout à partir des années 1860, d’abord la petite noblesse, puis la classe bourgeoise s’emparèrent du style. Dès lors, il n’était plus nécessaire d’engager des équipes d’employés travaillant à la faux, un seul homme (engagé, bien sûr) pouvant tondre une vaste pelouse en seulement quelques jours.
Ainsi le prix d’entretien d’une pelouse chuta passablement. Toute la classe supérieure voulait un jardin à l’anglaise autour d’un petit manoir d’apparence la plus luxueuse possible, même si l’échelle de la pelouse était très réduite par rapport à celle des grandes propriétés.
À la Belle Époque, les sports sur gazon — croquet, tennis, jeu de boules, polo, etc. — devinrent populaires et aussi l’idée révolutionnaire qu’il était sain pour le corps et l’esprit de se balader dans la nature. Cela a mené à la création des parcs urbains dominés par la pelouse, ce qui est d’ailleurs toujours le cas aujourd’hui.
En Amérique
Les Nord-Américains plus nantis suivirent attentivement les modes européennes et, surtout à partir des années 1870, les maisons commencèrent à s’entourer de gazon, d’abord à la campagne, mais bientôt tout autour des villes. C’était la naissance de la banlieue, jadis comme aujourd’hui dominée par la pelouse. L’innovation nord-américaine fut de placer la maison de banlieue non pas près de la rue, à l’européenne, mais en plein milieu du terrain, et de l’entourer de pelouse, dans le but de montrer très clairement qu’on était à l’aise.
C’est aussi à cette époque qu’on commença à vendre les mélanges de semences de graminées et de trèfle, non pas pour nourrir le bétail, mais pour créer de belles pelouses. Bientôt, le gazon se vendit aussi en rouleaux.
Avec l’arrivée des tondeuses bon marché et de la semaine de travail de 40 heures juste avant la Seconde Guerre mondiale, donnant à tous un samedi de congé (le dimanche étant bien sûr consacré à la vénération de Dieu!), la classe moyenne était prête à quitter la ville et à s’établir dans les banlieues jusqu’alors réservées aux riches. Et chaque petite maison devait s’entourer de gazon. D’ailleurs, ce fut bientôt non seulement une mode, mais souvent la loi.
La pelouse de graminées
Les premières pelouses furent composées de toute plante capable de survivre à une tonte régulière. Non pas uniquement des graminées, mais un mélange de plantes: trèfle, plantain, pissenlit, camomille, etc. Ne furent bannies des pelouses que les plantes piquantes qu’on arrachait à la main.
Pendant ce temps, le golf gagnait aussi du galon et bien que monsieur et madame Tout-le-Monde n’avaient pas encore les moyens de jouer à ce sport d’élite, ils voyaient les verts de golf, où toute plante autre que les graminées était bannie, et ils voulurent la même chose. Quand les herbicides capables de tout tuer sauf les graminées sur une pelouse arrivèrent sur le marché, après la Seconde Guerre mondiale, ils connurent un succès instantané. À la même époque, l’automobile devint réellement accessible et, par conséquent, les banlieues explosèrent.
La pelouse aujourd’hui
Très honnêtement, peu de choses ont changé depuis la démocratisation de la pelouse dans les années 50, sinon que les banlieues sont encore plus vastes. Quand, au début du XXIe siècle, la plupart des pays ont banni les pesticides cosmétiques utilisés sur les gazons, et ce, pour des raisons écologiques et de santé humaine, beaucoup de propriétaires ont réussi à contourner la loi en en trouvant d’autres et en continuant d’empoisonner l’air, le sol et les cours d’eau dans leur quête d’une pelouse parfaite.
Malgré tout, les attitudes évoluent peu à peu. Si vous laissez fleurir trop de pissenlits, on vous regarde toujours de travers, comme dans les années 50. Mais ce qui est désormais différent est que, s’il n’y a plus aucun pissenlit, on vous soupçonne désormais d’empoisonner l’environnement et la réaction n’est guère mieux. D’ailleurs, dans certains concours d’aménagement paysager, si votre pelouse est trop parfaite, on présume qu’il y a eu utilisation d’herbicides et on vous enlève des points!
L’écopelouse, soit une pelouse qu’on ne fait que tondre, qu’on n’arrose pas, qu’on ne traite pas aux pesticides ni aux herbicides, qu’on ne fertilise pas autrement que par l’herbicyclage, soit en laissant les résidus de tonte sur place et où toute plante est la bienvenue, gagne modestement du terrain. On voit aussi de plus en plus de potagers sur les terrains, même en façade. Nous sommes maintenant fiers de montrer que nous cultivons nos propres légumes plutôt que d’en avoir honte.
Je crois que la pelouse sera un élément de notre paysage périurbain pendant encore très longtemps, mais j’espère qu’elle continuera d’être de plus en plus naturelle. Après tout, qu’est-ce qu’il y a de si mauvais à avoir quelques fleurs jaunes dans un tapis vert?
Merci pour ce brin d’histoire ! C’est toujours interessant de vous lire ! ?
?
Bonjour, est ce que vous pourriez en dire plus sur l’écopelouse et surtout comment convertir sa pelouse en écopelouse ?
Merci
C’est une belle histoire, et comme vous dites, quelques pissenlits…ça va, mais à la vitesse où ils se propagent, bientôt votre terrain devient un champs de pissenlits. Il y a quand même des solutions écologiques pour y remédier.
Bonjour. J’ai commencé une mode dans mon quartier avec des pissenlits et ce succès à suivi mis à part un récalcitrant qui nous dévisage pendant 2 semaines au printemps mais c’est un type bien et cela passe pendant qu’il fait des tous sur son terrain pour arracher ces fleurs jaunes moi les oiseaux y dansent allegrement…?
Une légende urbaine. Nous avons acheté une maison dont le terrain était traité à l’anti-mousse, anti-lichen, anti-tout quoi… aujourd’hui nous ne tondons (pas très souvent) qu’une partie du terrain pour y mettre chaises longues et salon de jardin et un petit cheminement pour se balader, le reste étant fauché 2 fois par an. En 6 ans un équilibre s’est fait tout seul dans le jardin, nous ne sommes pas envahis par telle ou telle plante. Les pissenlits ont trouvé leur bordure favorite, les ficaires et pervenches leur sous-bois, les pâquerettes décorent la pelouse et les scabieuses et sénéçons se mêlent aux graminées dans les zones de fauche. Nous avons même conserver Quelques ronciers pour avoir des mûres et servir de gîte à la faune. Mais c’est sûr qu’on nous prend pour des grosses fénéasses dans le quartier, les débuts sont difficiles, il faut assumer. Mais quand le voisin se plaint de ne pas voir de chauves-souris, oiseaux et d’avoir des taupinières en quantité… on se dit qu’on est sur la bonne voie et on espère égrainer chez les autres !
Bonjour,
Est ce que vous pourriez nous en dire plus sur l’écopelouse et surtout sur comment convertir une pelouse en écopelouse ?
Merci
Info ici: https://jardinierparesseux.com/2016/07/18/lecopelouse-le-gazon-a-son-plus-simple/
Très bel article, De plus en laissant apparaître des adventices, on y découvre des plantes passionnantes. J’ai appris a apprécié l’achilée millfeuille, la lierre terestre, la verge d’or du Canada, ……..
??
J’ai lu votre article avec beaucoup d’intérêt. Auriez-vous de l’information sur l’origine des ornements de jardin en ciment, comme les lions, les cygnes, les mulets ?
j’ai reçu en cadeau deux éléphants qui ont fort probablement près de 60 ans d’existence et internet ne ne me donne pas les résultats que je veux, c’est à dire comment cette mode a débuté, qui les fabriquait,
Bonne journée
C’est le genre de question qui prendra beaucoup de recherche. Les anciens Égyptiens faisant déjà utilisation de ce produit 2000 ans AEC, mais pas nécessairement pour les ornements de jardin.
Entretien des jardins au XVIIe siècle
Coupe du gazon
L’idée de remplacer la prairie fauchée deux ou trois fois par an par un gazon coupé ras remonte au XVIe siècle, avec l’apparition des jardins d’agrément. Des armées de jardiniers équipés de faux coupaient alors sans relâche. On ne coupait l’herbe que quand elle était haute. Oubliez les parterres soigneusement entretenus en permanence d’aujourd’hui.
A titre d’exemple, un contrat de septembre 1675 signé par Colbert avec Henri Dupuis, qui portait sur des travaux de jardinage à effectuer à Versailles, précise que les tapis de gazon « seront fauchés quatre à cinq fois par an », ce qui fait à peine une fois tous les deux mois, donc, à la vitesse où pousse le gazon en Ile-de-France entre mars et fin octobre, on fauchait des herbes de 30 cm de haut à chaque fois.
Le reste du temps le travail était effectué par quelques animaux domestiques d’ornement, voire par de simples lapins placés dans des cages grillagées sans fond que l’on déplaçait régulièrement.
Sur andrelenotre.com
Merci pour cette information.
Quel article particulièrement intéressant rehaussé de photos; celle de Downton Abbey fait rêver! Depuis que j’ai pris connaissance de votre article sur l’écopelouse (2016), j’ai mis vos directives en pratique. Malgré les canicules successives, le «tapis» demeure toujours vert, eh oui, ça fonctionne! Merci!
?
Merci pour cet article! C’est plus fort que moi, j’adore voir et marcher sur une belle pelouse bien fournie! Quant aux pissenlits, oui, je les trouve très jolis, en jaune, mais quand la fleur disparaît, la plante qui reste au sol n’est pas belle du tout, gris-vert, et s’étend. Sans être maniaque j’en enlève chaque printemps, et j’en ai de moins en moins!
Merci pour cet article! Le gazon tondu est donc un héritier des prétentions aristocratiques, mais son aspect bien propre, bien pur de toute “mauvaise herbe” n’a-t-il pas aussi des racines dans le puritanisme? A noter qu’Il existe encore une obligation légale d’éliminer les “mauvaises herbes” susceptibles de contaminer les jardins des voisins! Il faut pourtant apprendre à changer de perspective : le gazon tondu est un grand ennemi de la biodiversité, il consomme beaucoup d’eau pour l’arrosage et d’énergie pour la tonte, exige beaucoup d’engrais, surtout azoté, et est très souvent traité par des herbicides sélectifs et autres pesticides : c’est un non sens écologique.
[…] Sources:Green Guerrillahttps://jardinierparesseux.com/2020/07/30/la-fascinante-histoire-de-la-pelouse/ […]
[…] Hodgson, L. 2020. La fascinante histoire des pelouse. Jardinier paresseux. https://jardinierparesseux.com/2020/07/30/la-fascinante-histoire-de-la-pelouse/#comments […]